Avaleht/Traditions/NOEL EN PROVENCE
NOEL EN PROVENCE
La veille de Noël La vèio de Nouvè : la crèche
C’est le moment où, dans les familles, on fait la crèche. Certains situent ces préparatifs plusieurs jours auparavant. Cela ne paraît pas logique car le feuillage doit être bien frais pour le jour de Noël, et aujourd’hui, dans les appartements chauffés, il se conservera difficilement jusqu’au 2 février.
Nous avons d’ailleurs bien des témoignages nous parlant de la promenade dans les collines pour aller recueillir toute cette précieuse verdure. Marie Mauron par exemple raconte le départ des enfants du village, à l’aube, pour aller couper buis, thym, olivier et pin, autant de feuillages qui serviront à garnir la crèche. Au passage ils s’empresseront également de ramasser » les cailloux mousseux dont il feront des chaînes de montagne et les lichens argentés ou dorés sur lesquels, mollement, pourront se poser les santons « .
Lazarine Nègre, la félibresse « Lazarine de Manosque » quant à elle, se souvient : » en nous levant, nous mangions une écuelle de soupe, et nous partions tout ravigotés, gais comme des pinsons, pour aller chercher le verbouisset… avec ses boules rouges comme des cerises au mois de juin et coupes que tu couperas! … »
Enfin, Marie Gasquet nous fait partager l’ambiance chaleureuse et conviviale des collines en cette veille de Noël, prélude joyeux à la fête familiale : » Les vallons des Alpilles se remplissaient de rires. Le pays s’en allait par bandes à la montagne… A la nuit tombante, tous se retrouvaient, les épaules chargées de verdure, au plateau de l’arc de Triomphe, et l’on se mettait en route chantant des marches guerrières mêlées à des Noëls. »
Les collines ne retentissent plus de chants, mais nous pouvons toujours aller y chercher la mousse et la verdure et, surtout, nous emporterons notre sécateur de façon à ne pas abîmer et arracher les plantes, le thym, par exemple qui, bien taillé fait de si jolis oliviers.
Toute cette « flore de Noël » mérite d’ailleurs que nous nous y arrêtions un peu :
– Le thym, la ferigoulo, né, paraît-il, des larmes de la Belle Hélène, pousse spontanément sur tout le pourtour de la Méditerranée, utilisé depuis la plus haute antiquité dans la cuisine, mais aussi en médecine, produits de beauté, antimite, et même pour embaumer les morts !
– Le petit houx ou fragon, lou verbouisset vo calendau, tiges de 50 à 80 cm, garnies de fausses feuilles, dont les piquants sont destinés, d’après la légende, à protéger de la voracité des oiseaux ses jolies petites boules rouges. Les racines étaient utilisées en médecine populaire comme diurétique, fébrifuge et contre la jaunisse et la goutte. Les poètes n’ont pas oublié cette plante de Noël. Le félibre J.-B. Gaut a composé un Noël en 1869 où il évoque le fameux verbouisset :
» Lou blound Jèsus dintre la paio
» Ero neissu
» Er, sus soun su,
» Ounte tant de trelus dardaio
» Ei péu divin,
» Tant rous, tant fin
» Vias verdeja, dintre l’androuno,
» Uno courouno
» De verbouisset
» Qu’espandissé,
» Que pèr éu plus tard rougissè ! »
» Le blond Jésus était né sur la paille et sur sa tête où tant de lumière brillait, sur ses cheveux divins, si blonds, si fins, on voyait verdoyer, derrière lui, une couronne de verbouisset qui s’épanouissait et qui, pour lui, plus tard, rougirait ! »
– Le laurier-tin, lou faveloun vo carenau, dont les branches, garnies de gaufres, d’oranges, et illuminées de chandelles, étaient, autrefois, suspendues à une poutre au-dessus de la table du gros souper. Ce qui nous donne l’occasion de préciser que l’arbre de Noël n’est absolument pas traditionnel chez nous ; coutume née au 16ème siècle dans l’Europe du nord, adoptée en Allemagne au 17ème siècle, elle pénétrera en France après 1870. En 1912 naquit en Amérique, à Boston, l’idée de mettre des arbres illuminés sur les places publiques, cette coutume atteignit la France après la Première Guerre mondiale et devint générale après la seconde. Dans les Souvenirs de Bougneto, Marius Boyer, d’Aubagne, né vers 1910 raconte comment, au retour de la messe, il découvrait l’arbre de Noël garni entre autres papillotes et sucreries, d’oranges et de mandarines dans lesquelles étaient piquées des feuilles de laurier en guise de décoration.
– Le lierre, l’èuse, liane aux feuilles toujours vertes, aux petites baies sombres, symbole de la force végétale, de l’amour fidèle, très utilisé en médecine populaire (et dans notre jeunesse pour rêver à celui que l’on devait épouser !). Elle permet de faire de très jolies bordures pour la crèche et des chemins de table pour le gros souper.
– Le romarin, lou roumanin, peut figurer les cyprès dans la crèche. Très utilisé pour parfumer la cuisine et pour confectionner du « vin de romarin » ; il était aussi fort employé en médecine populaire. Une vieille légende assure que ses fleurs sont couleur bleu ciel, parce que la Vierge Marie, lors de la fuite en Egypte, se reposant auprès d’un buisson de romarin, y avait étendu son manteau.
Nous avons retrouvé de nombreux témoignages évoquant les souvenirs qu’ont laissés la préparation et la décoration des crèches familiales. Comment par exemple, on transformait les feuilles de papier d’argent du chocolat en rivières et en ruisseaux ; comment quelques nuages de farine faisaient office de neige et quelques poignées de sable fin dessinaient les sentiers vers lesquels cheminaient le petit peuple des santons. Tout était utile à cette entreprise de construction, bois, pierre, papiers de toutes sortes, cartons et l’imagination de tous, grands et petits, allaient bon train pour disposer les collines, les ponts et les chemins, sans oublier les prairies de mousse et la petite grotte chez certains, l’étable chez d’autres, où était couché l’Enfant-Jésus entre l’âne et le bœuf.
La magie d’une crèche vient souvent de la luminosité qu’elle diffuse, du jeu réussi des ombres et des lumières. Pour l’illumination finale, chez Lazarine de Manosque, on plaçait « … devant la crèche une veilleuse qui brûlait nuit et jour jusqu’à la Chandeleur « . Charles Maurras, lui, se souvient de son émerveillement d’enfant lorsqu’il découvrait la crèche illuminée de cierges et garnie des soucoupes de blé vert. Chez d’autres, comme Louis Deluy, « … nous nous servions de mandarine, coupée par le milieu, remplie d’huile; la peau intérieure de la mandarine tenait lieu de mèche, l’autre partie retournée dessus. C’était très joli « .
En cette veille de Noël, on commence aussi à préparer de bonnes choses, comme le raconte Simone Chamoux. Sa grand-mère Marie d’origine marseillaise, tenait à maintenir les traditions de son terroir jusqu’à Nyons où elle résidait, en confectionnant la véritable pompe à huile. Aussi » La veille de Noël, tout de suite après midi, elle sortait de l’armoire un tablier blanc et le nouait sur sa blouse de travail. Elle emprisonnait ses beaux cheveux dans un grand mouchoir d’indienne et retroussait ses manches jusqu’aux coudes. Car la pompe de Noël, ça se fait avec respect « .
La table du gros souper La taulo dou gros soupa
L’heure du « gros souper » de ce 24 au soir approche, nous devons préparer la table, elle doit être belle et accueillante pour la famille qui sera rassemblée autour d’elle.
Tout d’abord, mettons une nappe. Une seule ? Oui, si nous en croyons les souvenirs de Marie Gasquet qui parle » d’une nappe damassée » tandis que Louis Deluy se souvient que » Le couvert était dressé sur une nappe blanche, plusieurs bougeoirs échelonnés sur la table « .
Mais pourtant si nous lisons Marchetti (Explication des usages et coutumes des Marseillais, 1863) » Nous mettons trois nappes l’une sur l’autre, pour la révérence que nous portons à ce saint jour, et nous les laissons pour cela sur la table durant les trois fêtes… Nous en mettons trois parce qu’ayant été consacrés par le baptême à La Trinité, non contents de faire toutes choses en son nom et son honneur, nous tâchons d’en conserver toujours quelques vestiges et quelques traces en nos actions « . Mais Mistral, lui aussi dans le si beau passage de ses Memori précise » sus la triplo touaio blanco » (sur les trois nappes blanches).
Bien d’autres explications sont avancées pour justifier cette coutume des trois nappes, la plus grande posée la première, puis la moyenne, puis la plus petite, de façon à ce que l’on voit bien les trois niveaux. La référence à la Sainte Trinité, par exemple, se retrouve dans la formule que les ménagères prononçaient, selon certains renseignements, en disposant les nappes : » Uno pèr lou Paire, uno pèr lou fiéu, uno pér lou Sant Esperit. « . Par ailleurs, le chiffre 3 est un nombre fondamental dans toutes les religions ; il intervient souvent dans la vie du Christ. En souvenir de Jésus, Marie et Joseph. Pour les trois services du repas (les poissons et légumes, les desserts, le café autour duquel les hommes fument la pipe), ce qui ne me paraît pas très commode pour les maîtresses de maison ; mais, toutefois, cette explication est corroborée par Henri Oddo : » Le souper comprend trois services ; pour y correspondre, la table est couverte de trois nappes de dimensions différentes. » Enfin, dernière explication possible : en prévision des trois repas, gros souper le 24 au soir, repas de midi le 25, repas du midi le 26 appelé chez nous deuxième fête de Noël ; on enlève après chaque repas la nappe qui a servi. Louis Deluy le confirme : » pour les grandes fêtes religieuses, et surtout pour Noël, on festoyait trois jours durant : le gros souper la veille, le dîner le jour de Noël, puis le lendemain de Noël. Le couvert restait mis trois jours. » Et au cours d’une enquête menée par le groupe » La couqueto » en 1994, nous avons eu plusieurs témoignages de familles chez qui, encore aujourd’hui, on met trois nappes et on ne débarrasse pas complètement la table pendant ces trois jours : la coutume n’est donc pas entièrement oubliée.
Il faut maintenant mettre le couvert et garnir la table avec ce que l’on a de plus beau dans les armoires. Et Marie Gasquet, outre la nappe damassée, les cristaux chantants, les assiettes peintes ou les couteaux à manche de nacre, se souvient d’un rituel qui mérite quelques explications : » Le surtout, maintenant, c’est une jatte de Moustiers remplie d’eau claire. Durant le Bénédicité, ma mère y posera sept roses de Jéricho qui ressusciteront au beau milieu du désert. »
Il ne faut pas confondre, comme on le fait trop souvent, la « rose de Noël » avec la « rose de Jéricho ». L’hellébore noir ou rose de Noël, renonculacées aux fleurs teintées de rose pâle, verdâtres après la floraison, aux feuilles palmées, croît sur les terrains calcaires, riches en humus. Elle peut se cultiver dans les jardins. Elle fleurit de décembre à février. La rose de Jéricho, rose de Judée ou fleur de Judée est une crucifère dont le nom scientifique est emastatica hiérochuntia. C’est une plante hygrométrique en forme de thym, originaire d’Arabie, de Syrie et d’Egypte. Elle est couleur « rose des sables ». Placée dans un verre d’eau, elle s’épanouit pour être exposée dans la crèche ou sur la table de Noël, son épanouissement dure cinq à dix jours. Retirée de l’eau, la plante se recroqueville à nouveau et peut resservir des années durant. Cette plante figure sur la liste des objets de dévotion, ce qui lui confère une valeur religieuse et sacrée reconnue. Les premières roses auraient été importées par des pèlerins ou des croisés.
Marcel Provence raconte dans Noël au pays de Provence, 1930 : » Près de la veilleuse et des soucoupes herbues, deux petits vases de verre à l’eau limpide portent avec fierté deux roses de Jéricho desséchées… Si dans cette nuit calendale, les roses de Jéricho s’épanouissent, c’est la prospérité pour la famille et pour le mas. Pecaire ! Si les roses gardent leur sécheresse, c’est peut-être bien du pas trop bonheur, quelque malheur qui menacera l’oustalado. » Selon l’Ecclesiaste, les roses de Jéricho symbolisent la Vierge et si on les place au centre de la table, c’est pour que la mère de Jésus soit elle aussi présente au cœur de la fête. La coutume voulait également qu’au moment d’une naissance, on pose la rose desséchée auprès de la future mère, afin qu’elle s’épanouisse lorsque l’enfant naîtra. Autrefois on achetait les roses de Jéricho à la grande foire de Beaucaire de juillet, mais il est bien difficile maintenant d’en trouver.
Les trois « sietoun » (petites assiettes) de blé semées pour Sainte Barbe et maintenant bien vertes, seront disposées sur la table avec trois bougies, à Aix, trois oranges confites ; toujours ce chiffre trois dont nous avons déjà parlé. Nous pouvons utiliser la même verdure que pour la crèche, mais pas de gui, qui est réputé porter malheur ; cette croyance est encore vivante dans un certain nombre de familles.
Dans certaines maisons, une partie des desserts figure sur la table en décoration, par exemple des compotiers de fruits. Dans d’autres, on intercalait soucoupes de blé, bougies et corbeilles de fruits qui resteront sur la table durant tout le souper.
Et « la part du pauvre » dont on parle souvent ? Marchetti l’évoque (1683) : » Une coutume qui se pratiquait dans toutes les familles et qui se garde encore en quelques-unes. C’est qu’on y faisait pétrir expressément pour les pauvres, à qui l’on distribuait après avec beaucoup de charité tout le pain que l’on avait fait. Le jour de Noël, chaque famille en prenait un pour lui donner à manger et réservait pour cet effet le premier service des viandes qui étaient servies ce jour-là à table. »
Dans beaucoup de foyers, on demandait aux enfants de donner leur part du repas au pauvre de passage à qui ils la remettaient eux-mêmes. Pour les récompenser de cette bonne action accomplie, en revenant s’asseoir à leur place, ils trouvaient dans l’assiette le double de ce qu’ils avaient donné. Dans certains villages, les hommes chargés d’une nombreuse famille faisaient le tour des maisons, une grande corbeille au bras, où on leur mettait des victuailles. On nous a signalé, en 1976, qu’à Solliés-Ville, on donnait dans l’après-midi du 24, de la nourriture à treize pauvres, appelés dans les vieux documents, « les treize apôtres ».
Témoignages d’une époque révolue ? Voire… Mais il est toujours possible, en pratiquant cette » charité de cœur » qui compte aussi dans la vie, de faire place à notre table familiale aux endeuillés, aux éprouvés, aux isolés, pour qui, sans cela, Noël ne serait pas la fête de l’espoir et de la lumière.
La Bûche de Noël Anan pausa cacho-fio
Tel est le sens exact du mot, qui se dit également calendau ou calignau, dans le Grand Trésor. Cette tradition perdure encore dans certaines familles, qui ont la chance d’avoir une vraie cheminée et un verger!
Cette cérémonie du feu est une tradition très ancienne ; la bûche représente le Christ sacrifié pour nos péchés, symbolisés par les libations, explique Marchetti. Le feu est signe de joie et de lumière, puisque cette fête de Noël serait une christianisation de la fête païenne du Natalis Invictus, du soleil invaincu dans cette période du solstice, suivant une technique recommandée par le pape Saint Grégoire (+ 6104) : faire nasser les fêtes du culte des idoles à la louange du vrai Dieu et qu’ainsi, en conservant la joie de ces fêtes, les gens puissent plus facilement goûter les joies intérieures.
La cérémonie consiste donc à mettre une bûche dans la cheminée avec un rituel qui était autrefois bien établi mais sans doute simplifié maintenant lorsqu’il est pratiqué. Cette bûche doit être une grosse branche d’arbre fruitier cerisier, poirier, mais pas de figuier, pour plusieurs raisons : il brûle mal, la fumée donne mal à la tête, le Christ a maudit l’arbre stérile, ce serait l’arbre auquel Judas s’est pendu (pas solide pourtant, puisque, lorsque nous étions enfants, on nous interdisait de monter aux figuiers, car les branches « cassaient comme du verre »).
Seule exception signalée : du bois d’aubépine aux environs de Monteux. Le plus âgé et le plus jeune de la famille portent la bûche dans la cheminée, après lui avoir fait faire trois fois le tour de la table ; l’aïeul l’arrose d’un peu de vin cuit, ou d’huile, ou, dans la Gavotine, de bouillon de cuisson des crouzets, en récitant une formule nous avons plusieurs versions, dont la plus connue étant celle de Mistral : » Alègre ! Alègre ! Mi Bèus enfant, Diéu nous alègre ! Emé Calèndo tout bèn vèn… Dièu nous fagne la gràci de vèire l’an que vèn, E se noun sian pas mai, que nous fugues pas mens ! »
» Allégresse! Allégresse ! Mes beaux enfants, Dieu nous réjouisse, Avec Noël, tout vient bien… Dieu nous fasse la grâce de voir l’an qui vient, Et si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins ! »
Ensuite le feu est allumé et on peut se mettre à table.
La tradition voulait qu’au « premier coup » de cloche de la messe de minuit, on éteigne la bûche, qu’on la couvre de cendre. Le lendemain, on la rallumait et elle devait brûler jusqu’au jour de l’An. Les charbons qui restaient étaient utilisés pour soigner les animaux malades, broyés dans leurs aliments, et un morceau, que Marie Mauron appelle « Le Trésor Saint » était mis dans la cheminée l’année suivante. Les cendres étaient utilisées en médecine populaire, protégeaient contre l’incendie et débarrassaient les poules de leurs « pipidons », comme nous disions quand nous étions gosses ? Et puis il y a cette croyance curieuse, rapportée par Marchetti, qui veut que les braises déposées sur la table du gros souper ne brûlent pas les nappes. Ce serait un symbole marial : la Vierge était impénétrable aux feux de la concupiscence représentée par ces charbons. Le rite aurait encore été pratiqué au siècle dernier, mais les braises déposées sur un plateau ou une pelle…
Nous pourrions signaler quelques traditions perdues, mais néanmoins intéressantes :
=> Le pain calendal dont parle Mistral » Le gros pain calendal, qui ne s’entamait qu’après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait « . On en portait un morceau aux animaux et Marchetti assure que les mariniers et les pêcheurs ne s’embarquaient guère sans en emporter avec eux pour en jeter dans la mer quand elle était coléreuse.
=> La réconciliation : Marchetti nous raconte cette coutume des visites entre personnes ayant quelque chose à se reprocher, visites accompagnées de telles libations qu’elles furent interdites en 1602 ! Combien je préfère, tout simplement lou brinde porté par le père de Marie Gasquet : » Je lève mon verre à nos amis, à ceux qui nous ont été doux, qui nous ont fait du bien. Je le lève à mes ennemis ; que notre cacho-fiô et nos lumières luisent au fond de leur cœur pour y détruire toute haine. Et maintenant, je bois à nous tous, à la santé de nos corps, à la joie de nos âmes, à la beauté de la Provence, à nos cœurs unis. A l’amitié, à l’amitié de Noël ! »
=> Les échanges de cadeaux entre la ville et la campagne : Marchetti parle des échanges de pompes entre les femmes. Visiblement, il n’aimait pas la pompe ! La gazette du Midi du 24.12.1836 écrit : » Des paysannes viennent de leur village, pliant sous le poids des pompes et des corbeilles de raisins conservés dès les vendanges et pendues aux poutres de la bastide. En retour de leurs offrandes qu’elles font aux riches citadins, elles reçoivent du sucre, de la morue et du café. »
=> La nourriture des bêtes : ce soir là, les bêtes avaient double ration, comme le raconte Lazarine : » Les gens, les bêtes, tout le monde faisait Noël ! […] Le premier servi était le cheval. On coupait un gros pain dans une grosse gamelle et on l’arrosait d’une bouteille de bon vin. Quand le pain était bien imbibé, mon père allait le mettre dans la mangeoire, et le cheval faisait Noël. Au chardonneret que nous avions en cage, on donnait un morceau de pompe à l’huile avec du sucre. Après, venait le tour du chien, un gros plat de gratin de morue. Oh ! Si vous l’aviez vu comme il était heureux, le brave chien ! » Nous pourrions maintenir la tradition, en donnant des graines aux oiseaux sur les balcons. Ils se régaleront demain matin, si toutefois ils ne sont pas chassés par les funestes pies qui s’attaquent à tous les petits oiseaux.
Le trajet pour aller à la messe L’escourregudo per ana à la messo
Maintenant, bien sûr, tout le monde y va en auto! Mais je me souviens de fameuses « resquillades » sur les trottoirs verglacés de la rue Paradis ! Autrefois, c’était plus poétique : » La belle nuit ! Le vent s’arrête, les étoiles dansent, la lune brille comme une perle, le bruit des cloches se prolonge en bourdonnant, là-bas, au loin, dans la plaine. Des mas, les gens courent vers l’église, c’est l’heure du pastrage » (Baptiste Bonnet). » Je vois encore les hommes dans leur cape de bure, les femmes dans leur pèlerine à capuche, et les enfants ; tout le monde marchait joyeusement, muni de sa lampe à huile, vers ce clocher, cette église qui nous attendait pour la messe de minuit et où pétillait un bon feu de bois. » Ce sont les souvenirs de Gilberte à Uvernet (Ubaye).
La messe de minuit La messo de miejo-nue
Quelle est l’origine liturgique des 3 messes qui étaient célébrées cette nuit-là, jusqu’à une époque récente ? Primitivement, il n’y avait à Rome qu’une seule messe solennelle le 25 au matin. En 445, le pape Sixte 3 institua la messe de minuit, et au 6ème siècle s’y ajouta la messe de l’aurore, à laquelle succédait la messe du jour.
Mais Lou felibre de Nosto-Damo (1904) attribue ces cérémonies à une jolie légende : Un jour, au Paradis, une délégation des étoiles, menée par la bello brihanto, l’étoile du berger, qui guida les mages vers l’étable, demande à Dieu le Père que la messe de minuit leur soit dédiée. Dieu le leur accorde, à perpétuité. L’aube vient ensuite se plaindre que les étoiles se moquent d’elle et demande une messe, elle aussi, cette nuit là. Le Seigneur lui accorde la messe de l’aurore. Arrive enfin le soleil, jaloux, auquel on consacre la messe du jour. » E vaqui coume, pèr Nouvè, ami miejo ni niue, se dis la messo dis Estello ; a la primo, quand li gau canton, aquelo de l’aubo; e, lon dejour, la messo soulenno don soulèu. »
Bien des traditions, signalées par différents auteurs, se sont perdues : les lâchers d’oiseaux dans l’église (en particulier le roitelet la petouso) à Entraigues, Mirabeau, Mazan, Lagnes. De même que, à Saint-Maximin, la quête des enfants pauvres dans les rues du villages, jusqu’à la guerre de 1914 (C. Seignolle) ; mais aussi les farces signalées par Bérenger-Féraud (1885) : » Pendant la messe de minuit, les dévotes ont grandement à craindre de trouver de l’encre au lieu d’eau bénite dans le bénitier (aujourd’hui les églises sont trop éclairées, et les bénitiers souvent vides…), de rencontrer, en sortant de l’église, des pois fulminants (des pétards, je suppose ?) sous leurs pieds, si elles n’ont pas eu déjà leur robe cousue à celle de la voisine (difficile avec les minijupes !) » ; et on ne fait plus peta li boufigo : éclater les vessies de porc gonflées d’air en sautant dessus dans certaines paroisses du Var. A Cruis jusqu’à la guerre de 14, les fidèles chantaient en chœur le « minuit chrétien », paroles composées en 1847 par Placide Capeau, de Roquemaure (Gard) sur la demande du curé de son village, musique d’Adolphe Adam, compositeur connu. Cet air, chanté pour la première fois en Provence, est connu dans toute la France.
Mais beaucoup de traditions sont heureusement maintenues, souvent grâce aux groupes folkloriques qui les ont continuées ou reprises avec les offrandes, le chant des noëls, la musique du galoubet et les costumes.
A Marseille, l’offrande du poisson se faisait, autrefois, à l’église Saint-Laurent, paroisse des poissonnières et des pêcheurs, elle se fait toujours, grâce à » L’Escolo de la Mar » dans l’église Saint Ferréol les Augustins, sur le Vieux-Port. La prière traditionnelle est simple et confiante : » Pichoun Jésus, noueste Segnour, les pécheurs et les poissonnières viennent vous faire l’offrande du plus beau poisson en signe d’affection et de reconnaissance. Vous qui êtes le maître de tout, qui remplissez de poissons nos filets, qui punissez nos manquements, faites que nous vivions toujours comme il se doit, maintenez la paix et la santé dans nos familles, ainsi soit-il. » Cette offrande est également signalée dans quelques paroisses de Nice.
Le pastrage, lou pastrage : l’adoration des bergers représentée à Noël dans les églises est une ancienne tradition. La procession des bergers avance vers l’autel au son du tambourin et du galoubet, précédée d’un petit char garni de verdure et tiré par un mouton. Au fond du char se trouve l’agneau sans tache offert par la corporation des bergers à l’Enfant Jésus. D’autres offrandes, apportées par les enfants du village, venaient compléter celle-là : fruits, confitures, fougasses… Ce pastrage a toujours lieu aux Baux, peut-être un peu « touristique » ? A Barbentane, à Arles, à Marseille, à la paroisse de Chateau-Gombert avec le Roudelet Felibren. A Séguret, presque tout le village participe à la cérémonie Li Bergié, à la procession dans les rues du village, jusqu’à la crèche vivante dans l’église. Beaucoup de groupes folkloriques, dans toute la région, animent les veillées et font « l’offrande » devant la crèche. Offrandes évoquées d’une façon amusante dans les Noëls, ceux de N.-D. des Doms, par exemple :
» léu pourtarai à sa maire
» De la un plen escaufaire,
» Un gros froumage à son paire,
» E Janetoun un agnèu.
» E tu pourtaras, moue paire,
» Un plen plat de brigadeu. »
» Moi, je porterai à sa mère du lait, un plein coquemar, un gros fromage à son père, et Janeton un agneau. Et toi tu porteras. mon père un plein plat de bouillie. » Ou encore
» Lou gros e gras coumpaire l’Andredochi porto un couchoun tout viéu eun couniéu, pèr lou bouta à l’asti pèr Iou fiéu. Lou bon Guillot porto dedins sa biasso forço fromajoun e un jamboun, uno grosso fougasso a l’enfantoun. Un gros capoun à la gaio-estoufèio, li dounnara Martin, de bon matin, emb’uno fricassèio de boudin. Margot fara un plen plat de poutage, de sabourous lausan, e puis Grand-Jan Ié métra de froumage per l’enfant. »
» Le gros et gras André porte un cochon tout vivant et un lièvre, pour mettre à la broche pour le fils. Le bon Guillot porte dans sa besace force petits fromages et un jambon, une grosse galette pour l’enfançon. Un gros chapon en daube, lui donnera Martin, de bon matin, avec une fricassée de boudin. Margot fera un plein plat de ragoût, des lasagnes savoureuses, et puis grand Jean mettra du fromage pour l’enfant. »
Curieux régime pour un bébé de naissance, mais enfin l’intention y est ! A Aix, à la cathédrale Saint Sauveur, on peut entendre, exécuté à l’orgue, le « jeu du rossignol » réservé pour cette seule circonstance.
Texte établi d’après : Nadine Cretin « Noël : chants de la Grande Nuit » in Revue « Histoire » et Marion Nazet « Noël Provençal » Ed. Edisud PP 9-18 et 35-43.