Avaleht/Traditions/LE « CHRISTOPSOMO » OU LE PAIN DU CHRIST

LE « CHRISTOPSOMO » OU LE PAIN DU CHRIST

Le « Christopsomo » ou le pain du Christ – une coutume populaire grecque pour le jour de la Nativité

Le  » Christopsomo  » que l’on pétrit de nos jours encore dans bien des régions de la Grèce, un grand pain rond magnifiquement ornementé de diverses représentations et décorations, fait partie d’une des nombreuses coutumes populaires qui rehaussent l’éclat festif de la Nativité.
Ce pain dit  » du Christ  » n’est pas un gâteau. C’est bien du pain (artos) qui n’est consommé que le jour de Noël, soit à la table du midi, soit la veille au soir :  » le pain béni  » de la table familiale et de toute la maison, qui non seulement nourrit les hommes mais aussi les animaux domestiques. On le trouve à Noël surtout dans les campagnes où il est consommé en signe de communion entre tous les membres qui vivent sous le même toit. Fruit du labeur des hommes et par conséquent don noble né du produit de la terre, il porte en lui l’espérance de la foi en la puissance divine et le rappel que le blé enfoui dans la terre attend son heure pour donner une abondante récolte.
Le Christopsomo de Noël est une coutume qui se perpétue dans les régions de l’Ouest et du Centre de la Grèce, dans le Péloponnèse, dans les îles ioniennes et de la Mer Égée (sauf en Crète et à Chypre).
Sa fabrication respecte scrupuleusement deux techniques, définies par le caractère sacré de la fête et toute la symbolique qui s’y ajoute. La première technique concerne le pétrissage et les éléments qui entrent dans la composition de la pâte ; la seconde relève de la décoration et de son apparence finale.

1) Comme c’est le cas pour tous les pains festifs, on n’utilise que des éléments nobles et chers : du blé de première qualité et du sésame, auxquels ont peut rajouter de l’anis, du sucre, de la cannelle, de l’eau de rose, des raisins secs, des clous de girofle. Dans certaines régions il ressemble un peu à nos pains d’épices. Mais le plus important, c’est le rite qui est associé au pétrissage :  » La farine est passée par un tamis particulièrement fin et elle est déposée dans une cuvette blanche. On n’achètera pas le levain vendu dans le commerce mais il sera préparé bien avant par la maîtresse de maison. Avant de commencer à pétrir, celle-ci fera d’abord son signe de croix, ensuite elle formulera une prière pour le bien et la prospérité de la maison et seulement après elle se mettra à la tâche  » (coutume de la région de Corinthe).

2) Suit l’ornementation de la partie supérieure du pain, traditionnellement rond tel la prosphore ou l’artos de l’artoclassia. Au centre du pain deux bandes de la même pâte seront disposées en forme de croix ou à défaut une vraie croix de bois (rapportée à l’occasion d’un pèlerinage). Ou encore on incrustera la croix au moyen d’un sceau en bois (comme pour les prosphores), que l’on trouve aisément au Mont Athos. II en existe toute une collection au Musée Benaki d’Athènes. Sur les bords du pain et au centre de la croix on dépose des noix entières ou des amandes (ce qui symbolise le don de la terre puisque à cette époque de l’année on ne trouve que des fruits secs).
Après quoi, avec une fourchette ou un couteau ou des ciseaux ou une tige de coquelicot, on sculpte les divers motifs propres à la fête. Les scènes représentées sont habituellement d’origine agricole ou champêtre : par exemple en Macédoine centrale on dessine la charrue et le bœuf, les amas autour de la maison ou un tonneau. On ajoute des biscuits (de la même pâte) de forme longiligne ou une série de petites croix que l’on nomme  » agneaux  » ou  » chevreaux « . On y dessine aussi une marguerite comprenant autant de pétales que les membres de la famille et sur laquelle on dépose un toit qui rappelle celui de la maison. Sur le bas à droite un animal symbolise les habitants de la propriété ; en-haut à droite un ensemble de figures pour désigner les troupeaux. Enfin, en-haut à gauche un sarment de vigne pour signifier le vignoble (coutume du village de Levadia).
C’est ici qu’apparaît la dextérité de la maîtresse de maison puisque la préparation du Christopsomo lui incombe.

Certaines femmes réalisent de vrais chefs-d’œuvre : une sorte de monde animé, avec sa maison, ses moutons, ses représentations de tous les travaux des champs. Un tel effort suppose beaucoup d’amour et une grande patience. Et encore une fois précisons que toutes ces scènes sont mélangées avec des dessins à caractère religieux : des petites croix, l’étoile de Bethléem, des mains jointes qui rappellent celle du divin Nouveau-né bénissant le pain. (coutume de Céphalonie).
Et pour que le tout soit haut en couleurs, on répand de partout sur le pain ainsi orné des amandes décortiquées, agencées comme des fleurs, du sucre et beaucoup de sésame.
C’est le maître de la maison qui est chargé de  » célébrer, pourrait-on dire, le rite festif qui consiste à rompre le pain « . Le jour de la fête à midi il présidera la table en commençant par souhaiter à tous bonne fête et en chantant le tropaire de la Nativité. Ensuite il distribuera à chacun sa part de pain (on y glisse parfois une pièce de monnaie), morceau par morceau.
Mais ici ou là, d’autres coutumes viennent enrichir ce geste initial.

Ainsi par exemple :

1. II arrive que déjà la veille au soir on pose le  » pain du Christ  » sur la table et à côté une assiette avec des produits de la récolte, un verre de vin et le vase à encens. La mère de famille prélève des petites bouchées de ce pain et les jette dans le vin. Ensuite le père encense d’abord les icônes de la maison, ensuite le pain, la mère et les autres membres présents. II fait de même dans l’étable, les champs, auprès des bêtes et dans tous les alentours de la propriété. Puis il revient à l’intérieur de la maison, il mange une petite bouchée de ce pain et il boit une gorgée du vin qui se trouve dans le verre. Suivent ensuite la mère et tous les autres présents. C’est une sorte de communion familiale et l’un des membres boit aussi une gorgée de vin pour les bêtes et tout le domaine (coutume du village de Serrés).

2. La veille au soir on déposait le Christopsomo au centre de la table et tout autour on y disposait des fruits. Sur le pain on plantait un rameau d’olivier, et sur le rameau on enfourchait des figues, des pommes et des oranges. Ensuite tous les membres de la famille soulevaient la table, la secouant de haut en bas et disant trois fois :  » Le Christ est né, joie dans le monde ; chandelier de la table, table de la Toute Sainte Vierge Marie  » (coutumes d’Asie Mineure).

3. La veille au soir on prend le  » pain du Christ  » et on le porte près du feu de la cheminée. Là le maître de la maison jette sur les flammes du vin et de l’huile. Si la flamme grandit, c’est bon signe pour la maison. Si la flamme s’éteint, c’est le contraire. Après quoi chacun prend sa part de pain et il arrive que le plus chanceux y trouve une pièce de monnaie. (A ce moment là, comme pour Pâques, on tire des coups de feu ou on jette des pétards). On pétrit aussi des  » pains du Christ  » plus petits que l’on distribue aux connaissances et aux pauvres (coutume de Zakynthos et, autrefois, de Céphalonie).
4. La célébration de Noël terminée (en Grèce elle a lieu vers 5 h du matin), le prêtre va de maison en maison et  » élève le pain « . Puis il le place sur sa tête, le presse et le casse en deux. Si la partie la plus grande se trouve du côté de sa main droite, alors cela annonce que la récolte de blé et de maïs sera abondante (coutume agricole de Roumeli).
En conclusion, disons qu’en célébrant la naissance du Dieu-Homme, l’homme n’oublie pas d’y associer la terre qui le nourrit. Dans le cas présent, le Christ vient en apportant avec lui les dons que Dieu offre à sa création et qui nous rappellent les largesses de sa divine bonté. Il était donc tout naturel que les coutumes populaires unissent ces deux éléments, l’un d’ordre divin, l’autre d’ordre humain, donnant ainsi l’occasion au peuple d’intégrer dans l’art liturgique celui aussi de son vécu quotidien, qui a pour objet le travail de la terre ou celui des troupeaux.

 

Démètre S. LOUKATOS Le propre de Noël et des Fêtes Ed. Philippotis – Athènes 1984, pp. 69-73