DE LA DIVINE LITURGIE
Viimati muudetud: 06.03.2015
Annoncer la Bonne Nouvelle est aujourd’hui, comme hier et comme demain, l’une des principales responsabilités de l’Eglise dans le monde depuis que le Seigneur, après sa Résurrection en a chargé ses disciples. C’est là un mystère qui engage profondément l’expérience de toute vie chrétienne et qui la rattache à l’existence humaine dans le monde créé où vivent les hommes.
Cette Bonne Nouvelle, qui n’est pas une simple nouvelle agréable mais la vie, c’est-à-dire la conviction que Dieu a envoyé son Fils pour notre salut, nous allons essayer maintenant de mieux la cerner par une méditation sur la célébration de l’Eucharistie, puisque mieux que tout autre acte la divine Liturgie (le sacrifice de la messe) témoigne la présence du Dieu personnel en communion dans l’Eglise qui est son Corps avec les hommes.
Par conséquent, la première fonction de la divine Liturgie est de reconnaître que notre être, image du Dieu Vivant, est appelé « à mettre en lumière pour tous l’économie du mystère tenu caché depuis toujours en Dieu, en Celui qui a créé toutes choses » (Ep 5, 9). Saint Maxime le Confesseur explique que lors de la célébration eucharistique, le monde entier se révèle comme une église : la nef, dit-il, est l’univers sensible ; les anges constituent le chœur et l’esprit de l’homme le Saint des Saints : « Ainsi l’homme, à ce moment-là, devient la jointure entre le divin et le terrestre » et de « lui se diffuse la grâce sur toute la création » puisque « son âme, sous la conduite du Verbe, offre l’univers à Dieu comme sur un autel ».
« En toutes choses, faites eucharistie », lisons-nous dans la première épître de Paul aux Thessaloniciens (5, 18) : à l’Eucharistie comme sacrement répond en effet l’Eucharistie spiritualité, qui entraîne la métamorphose de tout l’être de l’homme et de tout l’être par l’homme. Ici, l’Esprit Saint est impassiblement réparti et se communie en entier, et le pain eucharistique bénit tous ceux qui y participent. Alors, l’inouï se fait entendre et l’ineffable se fait dire ineffablement, et il y a place pour que l’homme vive : les boiteux, les aveugles, les invalides sont invités au repas mystique, à la Vie véritable, là même où le monde à venir devient l’intérieur de la Parole biblique ; les petits enfants, les malades, les avilis, les déchus et ceux qui ne sont pas des êtres sont invités aussi au festin du Royaume.
Comprenons-nous bien, chers amis, la divine Liturgie est célébrée pour que les affamés soient rassasiés, pour que les assoiffés soient désaltérés, pour que ceux qui souffrent et qui pleurent soient consolés. Oui, notre messe est vraiment taillée à la mesure de l’homme ; et elle fait fi de tous ces spécialistes que notre théologie ne concerne pas, parce que lors de la célébration de l’Eucharistie, la Parole de Dieu et la parole de l’homme se rencontrent en une offrande réciproque : l’une révèle, invite, se communique; l’autre supplie, adore, se donne.
« En toutes choses, faites eucharistie », a si bien dit l’Apôtre !
« Nous tous qui dans ce mystère représentons les Chérubins… »
Cette hymne qui nous introduit dans la liturgie des fidèles ne supprime-t-elle pas d’emblée l’opposition entre le temps de l’éternité, de la réalité céleste et le temps de la réalité terrestre ? Ne nous place-t-elle pas dans l’affirmation de l’unité du passé, du présent et du futur qui permet l’acceptation complète et la sanctification de chaque instant de notre existence tout comme de l’histoire humaine tout entière ? Tant il est vrai que dans pareille situation, il convient de définir toute vie liturgique comme un témoignage d’espérance par lequel les hommes ne s’opposent plus et ne se tourmentent plus vraiment, puisque c’est le tout qui appartient enfin à tous et non plus une partie seulement. Si à notre époque beaucoup ont perdu le sens même de Dieu, si pour eux, la notion de la divinité est totalement « hors du jeu », n’est-ce pas qu’ils n’ont pas compris que toute célébration liturgique est à la fois éminemment sociale et ecclésiale ? Du coup, la prière, la foi, l’amour, la charité cessent d’être « miens » et deviennent « nôtres » et la relation entière de l’homme avec Dieu devient relation de Dieu avec son peuple.
Partant, ce témoignage d’espérance que porte en elle notre Liturgie eucharistique découle de ce que :
– en premier lieu, elle possède sa propre vision du monde, qui non seulement peut, mais doit être transposée dans la vie actuelle ;
– de ce qu’en second lieu, elle recèle une conception de l’homme qui pourrait se révéler particulièrement nécessaire aujourd’hui ;
– de ce qu’elle donne une interprétation de l’histoire et de ses problèmes, de la vie morale et de ses possibilités qui est tout particulièrement nécessaire aujourd’hui ;
– de ce qu’enfin elle donne une interprétation de l’histoire et de ses problèmes, de la vie morale et de ses possibilités qui mérite d’être tout particulièrement soulignée à notre époque.
Ceci, parce que la divine Liturgie sauvegarde à tout moment la nature unifiée de l’homme, par opposition à l’angoisse d’un bon nombre de nos contemporains, fortement tributaires des transformations scientifiques et philosophiques récentes, et qui font désormais très difficilement la distinction entre le naturel et le surnaturel, séparant ainsi volontiers leur âme du corps et leur esprit de la matière. Mais que se passe-t-il quand. à la fin de la messe, nous sommes invités à nous retirer en paix ? Est-ce que notre participation au mystère eucharistique conduit vraiment à la transfiguration et au renouvellement de la Création et de l’homme en Christ ?
C’est en cela que réside la seule et vraie (pour nous) question.
Voyons les choses comme elles se présentent dans la réalité : il ne suffit pas de parler au monde pour le changer. Le monde au contraire a besoin d’une expérience de la Croix, d’une victoire héroïque de l’ascèse qui l’introduira dans la vraie dimension du Royaume à venir afin que soient déifiés, sanctifiés et l’espace et le temps. Et dans une telle vision, il ne peut y avoir de place pour un Evangile dit « simplement social ».
Alors, pourquoi, oui pourquoi notre incapacité à rencontrer l’homme d’aujourd’hui ? Sans aucun doute à cause de notre mauvaise présentation du témoignage, qui asphyxie l’homme du XXème siècle par des constructions normalisantes au lieu de lui affirmer son intégrité et qui bien souvent nous enferme tous dans une sorte d’autodéfense de formes mortes.
Reconnaissons-le humblement : nous avons fait de notre présence dans le monde « une somme de chrétiens sans unité ni communauté ».
Malgré le lyrisme de tant de nos contemporains humanitaires, écrit un éminent représentant de notre Eglise en France, nous savons bien qu’il y a de la mort et qu’il y a de l’enfer dans l’homme, qu’il y a de la mort et qu’il y a de l’enfer entre les hommes.
La seule nouvelle qui soit pour toute existence humaine bonne nouvelle, c’est le message des apôtres devenu celui de l’Eglise « CHRIST EST RESSUSCITE ! » Qu’on le reconnaisse ou non, aucune forme de la vie et de la culture n’échappe en effet à l’universalité de l’Incarnation.
C’est pourquoi le mystère de l’Eucharistie nous exhorte à toujours œuvrer non pas dans le sens d’adapter l’Eglise à la mentalité du monde, mais l’Eglise avec le monde d’aujourd’hui à la Vérité divine.
Les Pères de l’Eglise, ne l’oublions pas, n’ont pas uniquement gardé la foi tout en accomplissant l’intégration dans leur théologie des réalités créées de leur époque, pour les élever au-dessus du niveau du temps ; ils ont aussi durement travaillé afin que l’Eglise transforme et sauve le monde.
Frères chrétiens, pour conclure, demandons à Dieu qu’il nous donne « de réunir tout ce qui est sur la terre et dans les cieux sous un seul chef, le Christ » (Ep 1, 10) afin que seul le Seigneur « soit tout à tous » (1 Co 15, 28) ; car c’est par là et par là seulement que passera notre solidarité avec le monde et notre démonstration qu’existentiellement l’Eglise est bien le monde transfiguré.
+Stephanos, métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie