L’Eglise, un lieu pour renaître
Viimati muudetud: 06.03.2015
Ce thème, je serais tenté de le préciser par » l’Eglise, lieu de notre nouvelle naissance ou de notre naissance d’en haut « , ou encore » l’Eglise, sein maternel de notre nouvelle naissance « .
En effet, être chrétien, c’est renaître, naître à une nouvelle vie qui est une vie d’en haut. Il faut pour cela revenir à l’entretien de Nicodème avec le Seigneur dans l’évangile selon Saint Jean : Il y avait parmi les pharisiens un homme qui s’appelait Nicodème, un des notables juifs. Il vint de lui à Jésus et lui dit : » Rabbi, nous le savons, tu es un maître qui vient de la part de Dieu. Personne ne peut accomplir les signes que tu accomplis si Dieu n’était avec lui « . Jésus lui répondit : » en vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître (là il y a un terme grec qui veut signifier » à la fois, de nouveau ou d’en haut » et dans l’évangile de Saint Jean, dans les paroles du Seigneur telles qu’il nous les rapporte, on retrouve souvent cette ambiguïté qui permet au Seigneur de passer d’un niveau à un autre). [À moins de naître] d’en haut, nul ne peut voir le royaume de Dieu « . Nicodème lui dit : » Comment un homme peut-il naître une fois qu’il est vieux ? peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître » ? [Nicodème entend l’expression naître de nouveau, une seconde fois.] Jésus répondit : » en vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’esprit, nul ne peut entrer au royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’esprit est esprit.
Ce texte nous renvoie à un autre passage, le prologue de l’évangile de Saint Jean, où nous lisons, parlant du Verbe incarné : Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, Il a donné le pouvoir de devenir enfant de Dieu. A ceux qui croient en Son nom, qui ne sont pas nés du sang ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu. Je sais bien qu’il existe deux versions de ce texte mais celui-ci est le plus couramment retenu et semble bien être le texte authentique de Saint Jean.
Il nous précise bien que le Christ est venu, s’est incarné afin que les hommes puissent devenir enfants de Dieu, qu’ils naissent non plus seulement d’une essence terrestre et charnelle mais aussi de Dieu lui-même, qu’ils naissent véritablement d’en haut.
Devenir chrétien, c’est donc accéder à une vie nouvelle, recevoir une vie nouvelle, être engendré comme enfant de Dieu, et ceci au sens le plus fort. Et cette vie nouvelle que l’on reçoit ainsi est une participation à la vie divine, à la vie incréée de Dieu. Un auteur qui connaissait bien un Père de l’Eglise écrivait ceci à propos de cette divinisation du chrétien, de cette naissance à une vie nouvelle : La grâce est la vie même de Dieu communiquée à un homme, non pas en image, si ressemblante que cette image puisse être, mais réellement et en vérité. Par la grâce, par le don de l’Esprit Saint, par la venue en nous de l’énergie divine, nous sommes pénétrés de Dieu, imprégnés de Dieu. Nous vivons en Lui, nous participons de sa nature comme le fer rouge participe du feu et tout en restant fer il devient feu, brillant et brûlant comme le feu.
De là ces expressions si connues et si peu comprises que : par la grâce nous sommes fils de Dieu, fils du Père, dans le Christ, dans le fils unique, membres de Jésus Christ et Dieu nous-mêmes. Expressions qui ne sont pas de simples figures mais qui renferment dans nos insondables profondeurs des réalités aussi merveilleuses que certaines. Tel est le mystère de la sanctification : par la grâce, nous sommes déifiés. Cette expression qu’emploient sans cesse les Pères de l’église, chez qui on retrouve si souvent cette image du fer rouge pénétré par le feu pour exprimer cette condition nouvelle de l’homme qui participe ainsi à l’énergie divine, à la grâce divine. Cette vie divine que nous recevons est intimement liée, et même identique d’une certaine manière à ce que le Nouveau Testament appelle la charité. Non pas la charité au sens dévalué que ce mot a en français, mais au sens d’un amour oblatif, d’un amour qui se donne, d’un amour qui n’est pas conditionné par l’amour de l’autre, par la réponse que nous recevons à notre attente.
Cette vie divine, au fond, correspond à ce que les prophètes appelaient la loi nouvelle, la loi de nouvelle alliance. En effet, sous l’Ancien Testament, le peuple juif, le peuple de Dieu, obéissait à une loi extérieure, gravée sur les tables de pierre que Moïse avait reçues sur le Mont Sinaï. Et les prophètes, ayant constaté l’échec de cette économie qui avait surtout permis à l’homme de prendre conscience de sa faiblesse, de l’impossibilité d’obéir à la loi de Dieu par ses propres forces, en comptant seulement sur sa volonté et sur ses capacités humaines, les prophètes avaient annoncé une nouvelle alliance où cette loi ne serait plus simplement une loi extérieure, consistant en des mots, mais une loi inscrite au fond de l’être, une loi identique au don de l’esprit saint. « Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur » (Jérémie, chapitre 31).
Nous retrouvons cela dans le prophète Ezéchiel : » Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous observiez mes lois » C’est pour cela que lorsque le Seigneur, dans l’Evangile, nous dit qu’il nous donne un » commandement nouveau « , » une loi nouvelle « , il ne s’agit pas d’une loi extérieure. Ce n’est pas une loi qui consiste dans les mots. C’est une loi qui est une vie véritablement inscrite dans nos cœurs, une loi de vie, une loi qui jaillit de l’être nouveau qui nous est donné. Quand le Seigneur nous dit : » Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.
Il n’y a pas de plus grand amour que donner sa vie pour ceux qu’on aime « , le Christ veut dire que cette loi nouvelle va être identique au don du Saint Esprit. Il la formule avec des mots, extérieurement, mais cette loi ne peut être observée par nous que si elle est en même temps inscrite dans nos cœurs, que si à cette loi correspond un être nouveau, une présence de l’Esprit Saint, de l’énergie divine dans notre cœur, qui nous donne à la fois le sens, la compréhension de ce que Dieu veut, de ce que Dieu est, et qui nous donne en même temps l’impulsion, le mouvement pour y obéir, pour la suivre. Bien sûr cela ne fait pas l’économie de notre liberté : il faut que nous consentions à ce mouvement, à cette impulsion, à cette vie qui est au fond de nous. Mais au point de départ il y a ce don de Dieu qui est le don de la vie nouvelle le don de la déification, qui fait que nous participons vraiment à ce que Dieu est. Dieu est amour, nous dit Saint Jean. Et cette vie nouvelle que nous recevons, c’est précisément la charité, c’est précisément l’amour vrai.
Dans la première épître de Saint Jean, au chapitre 4, nous lisons : Bien aimés, aimons-nous les uns les autres puisque l’amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu car Dieu est amour. Ces paroles sont vraiment le cœur de la révélation chrétienne, de la révélation du Nouveau Testament, de la nouvelle alliance. La nature de Dieu, ce que Dieu est essentiellement, c’est amour, c’est charité dans ce sens supérieur du mot. Et la charité qui est en nous est une véritable participation à ce que Dieu est. Ce n’est pas une simple vertu humaine, ce n’est pas une simple disposition psychologique : cela suppose véritablement une participation à ce que Dieu est par nature, à la nature incréée de Dieu.
Lorsqu’au fond de notre cœur nous découvrons ce sens de l’amour, que nous sommes inclinés à aimer véritablement les autres, que nous découvrons tout au fond de nous mêmes, bien en dessous de toute l’agitation superficielle de notre âme, de toutes les tendances qui s’agitent en nous, il y a ce sens intime de la charité, de l’amour vrai qui, pour un chrétien est ce qu’il y a de plus essentiel en lui, qui est vraiment inscrit dans le fond de son cœur, ce n’est pas quelque chose d’humain que nous découvrons, mais bien une participation à ce que Dieu est.
C’est vraiment la présence en nous de la grâce incréée de Dieu que nous découvrons ainsi. Ainsi donc cette vie nouvelle à laquelle nous naissons, c’est la vie de la charité, mais une vie proprement divine. Quiconque aime est né de Dieu : c’est vraiment une nouvelle naissance, un nouvel être qui nous est donné car Dieu est amour. Nous participons vraiment à ce que Dieu est et c’est cet amour qui est le cœur de la vie chrétienne, qui en est l’essentiel.
Tout le reste s’y ramène, comme le Seigneur l’a souvent dit dans l’Evangile. Saint Augustin (dont l’enseignement, sur certains points, n’est pas absolument conforme à la tradition des pères grecs, mais en l’occurrence, il est dans la ligne même de l’Evangile), Saint Augustin a donné un très bon commentaire de la première épître de Saint Jean : C’est donc la charité seule qui distingue les fils de Dieu des fils du diable. Ils peuvent bien tous se signer du signe de la Croix du Christ, répondre tous amen, chanter tous alleluia, se faire tous baptiser, entrer dans les églises, bâtir des basiliques, les fils de Dieu ne se discernent des fils du diable que par la charité. Ceux qui ont la charité sont nés de Dieu.
Ceux qui ne l’ont pas ne sont pas nés de Dieu. (Indice considérable et discernement capital.) Aies tout ce que Dieu voudra, si cela seul te manque, tout le reste ne sert de rien. Mais si tout le reste te manque, et que tu n’aies que cela, tu as accompli la loi. Tu as en toi cette vie divine, cette vie incréée.
Et comme disait justement Saint Grégoire de Nazianze, dans l’église empirique, dans l’église visible : » il y en a qui semblent être dedans et qui sont dehors » parce qu’ils n’ont pas la charité. Il y en a aussi, pour de multiples raisons qui ne dépendent pas de leur volonté et que Dieu seul connaît, qui ne sont pas visiblement dans l’église : ils semblent être dehors et ils sont dedans. Ceci ne doit cependant pas relativiser l’importance de l’église visible et des sacrements visibles.
Dans ce texte de l’entretien avec Nicodème, le Seigneur précise bien qu’il faut renaître de l’eau et de l’esprit. Le Seigneur lie l’eau du baptême et le don de l’Esprit Saint. C’est la voie normale établie par le Christ. Qu’il y ait des suppléances pour les hommes qui ne peuvent pas connaître le Christ et l’Eglise, Dieu le sait, Dieu, qui est le salut de tout homme, en a disposé dans sa sagesse et dans son amour, mais il reste qu’il y a une voie normale qui a été établie positivement par le Christ : le baptême est la voie d’entrée dans cette vie nouvelle.
Mais cet engendrement qui commence avec le baptême ou plus largement avec l’initiation chrétienne, où la grande tradition de l’Eglise n’a jamais séparé baptême, chrismation et eucharistie, cette nouvelle naissance n’est pas achevée une fois pour toutes. En effet, elle n’est pas donnée dans sa plénitude tout de suite. Cet engendrement est continuel et progressif. Il constitue toute la vie chrétienne. De notre baptême à notre mort, nous avons à croître et à développer en nous cette vie nouvelle. Le Christ doit sans cesse, de plus en plus, être engendré en nous. Toute la vie du chrétien est un engendrement, grâce à la collaboration de notre liberté. Il faut que nous consentions à cette vie nouvelle déjà déposée en germe en nous par le baptême pour qu’elle se développe, pour qu’elle puisse peu à peu produire tous ses effets.
L’apôtre Paul y a beaucoup insisté dans ses épîtres pastorales, notamment dans l’épître aux colossiens, chapitre 2, où il parle de sa vie apostolique comme d’un combat continuel pour les colossiens et tant d’autres afin, dit-il, » qu’ayant leur cœur étroitement rapproché dans l’amour, ils parviennent au plein épanouissement de l’intelligence (au sens de communion profonde et vitale avec Dieu et non au sens d’intellectuel), qui leur fera pénétrer le mystère du Christ « . Déjà, dans son épître aux Galates (chapitre 4), Saint Paul disait : Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son fils né d’une femme afin de nous conférer l’adoption filiale. Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son fils qui crie : Abba, Père ! mes petits enfants, que j’enfante à nouveau dans la douleur jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous. Saint Paul souligne le fait que par l’incarnation du Christ, Dieu nous a adoptés pour ses fils. Le jour de la Pentecôte, Dieu a envoyé, par le Christ ressuscité, son esprit dans l’église et en plus, l’apôtre Paul a enfanté constamment ces chrétiens jusqu’à ce que le Christ soit formé en eux. Cette formation du Christ a quelque chose de continuel et de progressif dans la vie du chrétien. Ajoutons, si nous voulons percevoir toute la dimension de cette vie nouvelle, qu’elle ne sera achevée en nous qu’au jour de la parousie par notre résurrection corporelle. Dans la première épître aux corinthiens, Saint Paul dit, en parlant de la résurrection : Je l’affirme, frères, la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu.
Ni la corruption de l’incorruptibilité. Oui, je vais vous dire un mystère : nous serons transformés. En un clin d’œil, au son de la trompette finale, les morts ressusciteront, incorruptibles, et nous, nous serons transformés. Il faut en effet que cet être corruptible revête l’incorruptibilité, que cet être mortel revête l’immortalité. Nous retrouvons ici l’expression de l’évangile de Saint Jean, la chair et le sang sont hérités du royaume de Dieu mais déjà, par le baptême, nous recevons les prémices de cette nouvelle naissance qui est un don de Dieu et qui se développe au cours de notre vie chrétienne. Finalement, c’est la transformation, la transfiguration de notre corps lui-même au jour de la résurrection qui achèvera cette naissance et qui fera que, dans notre corps lui-même, ressuscitée, transfigurée, la vie divine répandra tous ses effets. Nous sommes donc là en présence d’une vie qui a une tendance eschatologique, qui nous oriente vers cet accomplissement final qu’est la résurrection et l’instauration du royaume définitif de la Jérusalem céleste. Voilà ce qu’est cet engendrement, cette nouvelle naissance par laquelle nous entrons dans la vie chrétienne, cette nouvelle naissance qui fait de nous à la fois des membres du Christ, des fils de Dieu et qui nous fait entrer dans le royaume de Dieu au sens que l’Evangile donne à ce mot. De cet engendrement, l’Eglise est le lieu et le sein maternel.
C’est ici que nous pouvons éprouver une difficulté. En effet, la réalité de l’Eglise est sans doute le point de la doctrine chrétienne le plus difficile à comprendre et à accepter pour l’homme d’aujourd’hui. Beaucoup de nos contemporains échappent tout de même à l’athéisme et admettent plus ou moins consciemment l’existence de Dieu, d’une façon parfois vague. Il leur est déjà plus difficile de voir dans le Christ plus qu’un maître de sagesse ou une personnalité particulièrement exemplaire. Trop peu nombreux sont ceux qui aujourd’hui peuvent proclamer avec Saint Pierre : » tu es le Christ, le fils du Dieu vivant « , ou encore : » le salut n’est en aucun autre car il n’est sous le ciel aucun autre nom donné par les hommes par lequel nous devions être sauvés » (les Actes, chapitre 4).
Admettre que le Christ les l’unique Sauveur de l’humanité n’est pas facile pour l’homme d’aujourd’hui. On tombe aisément dans le syncrétisme qui nous présente dans le christianisme une voie parmi les autres, une simple forme d’une recherche spirituelle qui n’a rien d’exclusif. Or nous ne pouvons être sauvés que par le Christ. S’il advient que les hommes peuvent être sauvés sans même connaître le Christ, ils sont tout de même sauvés par Lui. Un peu comme le paralytique de l’Evangile qui a été guéri par le Christ sans savoir qui l’avait guéri. Il est plus difficile encore pour l’homme d’aujourd’hui, et peut-être aussi pour nous mêmes, d’admettre la nécessité de l’Eglise et de reconnaître son rôle essentiel dans notre vie chrétienne.
Pour beaucoup d’homme aujourd’hui, l’Eglise constitue une difficulté insurmontable. Même parmi les chrétiens orthodoxes croyants, pratiquants, il en est sans doute plus d’un qui ne réalise pas toute l’importance de l’Eglise, qui ne lui accorde pas sa juste place dans sa vie spirituelle. En effet, pourquoi ne pouvons nous pas aller à Dieu directement, nous adresser au Christ directement en faisant l’économie de tout intermédiaire et de toute médiation humaine dont il est trop facile de voir les lacunes et les défauts.
Quelle nécessité y a-t-il de s’agréger à un corps social, à un peuple, fut-il le peuple de Dieu ? Quel besoin avons-nous de nous soumettre à l’autorité d’une hiérarchie et d’une tradition. Pourquoi l’Eglise ?
Pourquoi surtout, l’Eglise sous son aspect institutionnel – encore que l’on ne peut pas dire que l’Eglise soit une institution, ce n’est pas une vue juste sur ce qu’elle est car alors on la verrait de façon trop humaine.
Pourtant, la réponse est simple : c’est parce que le Christ a voulu qu’il en soit ainsi. Lorsque Pierre eût confessé sa foi dans sa messianité, le Christ lui déclara : » et moi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église « . dans le texte grec de l’Evangile, le Christ emploie ce mot église qui était dans la Bible grecque des septante, la traduction d’un mot hébreux qui avait d’ailleurs son équivalent en araméen, qui signifie l’assemblée, l’assemblée d’Israël, qui désigne le peuple d’Israël surtout comme assemblée liturgique.
Ce terme avait été repris peu avant l’époque du Christ par des groupes juifs qui attendaient ardemment la venue du messie et qui estimaient devoir constituer le groupe fidèle qui allait accueillir le messie, le nouvel Israël régénéré qui accueillerait le roi messianique.
Le Christ, en employant cette expression, marque bien qu’il a l’intention de fonder et de bâtir sur les apôtres, et sur Pierre le premier, qui résume en lui tout le corps apostolique, de bâtir sur lui ce peuple nouveau, cet Israël renouvelé, héritier de toutes les promesses et en qui s’accomplirait le dessein, tout le destin d’Israël et l’avènement du Royaume de Dieu. L’emploi de ce mot montre bien que son intention, sa mission, son œuvre va être de fonder une Eglise, entendue dans ce sens.
Le Seigneur Jésus affirmait ainsi sa volonté d’établir une Eglise et de s’associer des hommes pour en être avec Lui et en Lui le fondement. Pierre lui-même, dans sa première épître, dira aux chrétiens qu’ils ne sont pas des individus isolés dans leur relation avec Dieu, mais qu’ils sont les membres d’un peuple dont l’ancien Israël était l’ébauche, la préparation et la promesse. »
Vous êtes une race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis afin que vous annonciez les perfections de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (première épître de Pierre, chapitre 2). Saint Pierre reprend ici des termes de la tradition biblique du deutéronome qui était appliquée au peuple d’Israël.
Saint Paul, dans son épître aux éphésiens, reprend l’image de la pierre de fondation que le Christ a utilisée à Césarée de Philippe à propos de Pierre pour souligner l’importance du ministère apostolique dans l’Eglise : » Vous êtes concitoyens des Saints et membres de la famille de Dieu, édifiés que vous êtes sur le fondement des apôtres et les prophètes dont Jésus Christ lui-même est la pierre angulaire » (chapitre 2).
Cette volonté du Christ d’établir une Eglise, de nous sauver dans et par l’Eglise, n’a cependant rien d’arbitraire et de gratuit. La fondation de l’Eglise par le Christ s’identifie avec le but même de toute sont œuvre de salut, de toute son œuvre rédemptrice. Le péché, et ceci est clair dès les premiers chapitres de la Genèse, le péché est essentiellement une œuvre de division : en se séparant de Dieu, l’homme brise le lien qui l’unit aux autres hommes. Toute l’histoire de l’humanité en témoigne depuis la faute d’Adam. Depuis le meurtre d’Abel par Caïn, la Tour de Babel jusqu’aux meurtres, aux génocides et aux Goulags de notre temps. Le mystère du Salut accompli par le Christ, au contraire, est essentiellement une œuvre de réunification. Et s’est unie à notre nature humaine exsangue et disloquée afin de lui communiquer l’énergie vivifiante de son Esprit Saint et ainsi, la re-souder et la réunifier en la faisant participer à sa vie divine.
C’est ce but unique de toute son œuvre rédemptrice que le Christ exprimait devant son Père dans sa prière après la Cène : » je leur ai donné la gloire (au sens biblique du mot, c’est à dire le rayonnement de la divinité, l’énergie du Saint Esprit) que tu m’as donnée afin qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et Toi en moi, afin qu’ils soient parfaitement un « . Toute l’œuvre du Christ est de nous communiquer cette vie divine qui fait l’unité du Verbe et du Père dans la Trinité, que le Christ peut ressusciter et possède en plénitude dans son humanité, qui est la vie que l’Esprit Saint a communiquée à l’Eglise à travers le corps apostolique au jour de la Pentecôte. Le Seigneur Jésus a voulu faire de nous les sarments de la vraie vigne dont il est le cep et les membres de son corps dont il est la tête. C’est cela être membre de l’Eglise.
Ce n’est pas simplement faire partie d’un organisme social analogue à tant d’autres, ni entrer dans une institution purement humaine. C’est s’identifier au Christ, c’est devenir membre de ses membres, c’est se soumettre à la puissance unifiante de son esprit qui veut nous arracher à notre existence solitaire, à notre individualisme, à notre égoïsme pour que nous n’ayons plus qu’un cœur et qu’une âme, comme les premiers chrétiens de Jérusalem entre qui tout était commun (pensons au chapitre 4 du livre des Actes des apôtres). Etre membre du corps du Christ, c’est une expression qui doit être prise dans toute sa force. Il ne s’agit pas de dire que l’Eglise est simplement un corps social, analogue au corps personnel du Christ. En réalité, c’est le corps ressuscité du Christ qui est pour nous la source de l’Esprit Saint, c’est à partir de ce corps ressuscité que l’Esprit Saint est répandu sur nous comme le montre si bien le tympan de la magnifique basilique de Vézelay, où l’on voit le Christ ressuscité répandant son Esprit sur les apôtres et sur tout l’univers, toutes les races de l’humanité.
C’est ce don de l’Esprit, cette énergie émanant du corps ressuscité lui-même qui est notre vie nouvelle, qui est cette vie à laquelle nous sommes engendrés, qui est la vie du Christ en nous au sens le plus propre, le plus exact du mot. C’est cette vie incréée qui nous vient du Christ ressuscité et qui nous soude au Christ ressuscité. C’est en ce sens que nous sommes ses membres. De même que dans notre corps physique, nos membres sont irrigués par le sang qui vient de notre cœur, de même dans l’Eglise, tous les membres de l’Eglise, chacun de nous est irrigué par cette énergie divine, par cette force de l’Esprit Saint qui vient du corps même, de l’humanité même du Christ Dieu et homme, passant par son humanité ressuscitée elle-même et nous soudant à ce corps ressuscité du Christ, que nous recevons à l’eucharistie.
D’où le rôle essentiel de l’eucharistie dans l’ecclésiologie : c’est par la communion eucharistique que nous sommes soudés en plénitude à ce corps ressuscité du Christ. Nous le sommes déjà initialement par le baptême et par la chrismation, mais l’initiation chrétienne est scellée par l’eucharistie parce que c’est elle qui nous fait vraiment participer au corps ressuscité du Christ, et non pas seulement pour quelques instants, où la présence matérielle des Saints Dons subsiste en nous après la communion, mais pour que d’une façon constante dans notre vie chrétienne, si nous ne nous séparons pas du Christ par le péché, nous soyons vitalement irrigués par cette vie divine qui émane de Lui, qui fait que nous sommes en communion constante avec Lui, que nos sentiments, que notre vie psychologique elle-même soit intimement liée à la vie du Christ, que nous ayons, comme le dit Saint Paul, les sentiments du Christ, que ce ne soit plus nous qui vivions mais le Christ en nous véritablement.
Dans la mesure où tous les membres de l’Eglise sont animés de cette vie, voyez qu’ils ne peuvent être qu’un, qu’ils ne peuvent être qu’unis puisque c’est la même vie, c’est le même esprit qui les anime, de même que les membres d’un corps physique animés d’un même sang sont un dans le même organisme.
Corps du Christ, l’Eglise, au moins dans sa condition présente, terrestre, est un organisme hiérarchisé où tous n’ont pas la même fonction. Certes, tous, des patriarches au plus humble des chrétiens, sont d’abord des chrétiens. Ils sont animés par cette vie, ils sont des fidèles eux-mêmes appelés à faire leur salut, à recevoir le don déifiant de l’Esprit Saint pour la rémission de leur péché et pour la vie éternelle. Et cela est pour chacun le plus important et le plus fondamental. Etre prêtre, évêque, patriarche n’est pas être un chrétien supérieur du point de vue de cette vie divine. Mais certains à l’intérieur du corps, dans leur union avec tous, ont reçu du Christ une fonction particulière.
Ce fut le cas des apôtres, qui reçurent ce privilège, avec Pierre le premier, d’être les fondements de l’Eglise, la pierre sur laquelle repose tout l’édifice. Sous cet aspect leur fonction était unique, incommunicable : elle ne pouvait être transmise à des successeurs. Mais, animés par l’Esprit du Christ, les apôtres ont établi pour chaque lieu où ils fondaient l’église des évêques, qui ont perpétué au cours des siècles et dans le monde entier un autre aspect, transmissible celui-là, de leur ministère : rendre présent, en tout lieu, par la prédication de la parole divine et la célébration des mystères et des sacrements de l’Eglise, le Christ et ses actes sauveurs. Les évêques et les prêtres qu’ils se sont choisis comme auxiliaires sont ainsi dans l’Eglise comme de vivantes icônes du Christ, en qui nous devons considérer que leur divin prototype, le Christ, sans nous arrêter, lorsque nous révérons une icône, au bois dans lequel ces icônes sont taillées, sans nous laisser heurter ou scandaliser par leurs défauts humains, inévitables tant que l’Eglise n’est pas encore entrée dans sa phase glorieuse, qui serait inaugurée par le retour du Christ à la fin des temps. Ici encore nous sommes en présence d’une volonté formelle du Christ. Les évêques et tous ceux qui sont associés, d’une façon ou d’une autre, à leur ministère, sont les envoyés du Christ que le Christ veut voir traiter comme lui-même et, ultimement, comme son Père.
Dans Saint Matthieu, il dit aux apôtres : » qui vous écoute m’écoute, qui vous rejette me rejette. Or celui qui me rejette, rejette celui qui m’a envoyé « . Ce mot envoyé, dans la tradition hébraïque, a un sens très fort : être l’envoyé de quelqu’un signifie le représenter, c’est en quelque sorte être sa présence vivante. Ou encore, » Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie « , dit le Christ aux douze. Nous devons bien mesurer toute la force de ces paroles du Seigneur et en percevoir toute l’exigence. Comme on comprend alors l’exhortation de Saint Ignace d’Antioche, le Théophore, l’un des premiers Pères de l’Eglise qui, dans ses lettres, écrivait : » que tous révèrent les diacres comme Jésus Christ, comme aussi l’évêque, qui est l’image du Père, et les presbytres (nous dirions les prêtres) comme le sénat de Dieu et comme l’assemblée des apôtres. Sans eux, on ne peut parler d’Eglise « . Donc l’Eglise est hiérarchisée, structurée et c’est à travers cette hiérarchie que cette grâce de Dieu, que cette vie divine nous est communiquée, que nous sommes engendrés. » Qu’il n’y ait rien en vous, continue, dans une autre lettre, Saint Ignace, qui puisse vous séparer, mais unissez-vous à l’évêque et au préposé, en image et leçon d’incorruptibilité. De même que le Seigneur n’a rien fait ni par lui-même, ni par les apôtres sans son Père, avec qui il est un, ainsi vous non plus, ne faites rien sans les prêtres et n’essayez pas de faire passer pour raisonnable ce que vous faites à part, mais faites tout en commun « .
On voit ce souci d’éviter tout schisme, tout esprit de clan, tout esprit de parti, mais de faire tout dans l’unité autour de l’évêque, et on peut dire plus largement : dans la communion autour de l’unité ecclésiale. Le sens de l’Eglise, de l’unité de tous à l’intérieur de l’Eglise, autour de ceux qui représentent, sur le plan hiérarchique le Christ, est une grâce, un don de l’Esprit Saint.
A ce don, nous devons correspondre et coopérer activement. Il faut que nous aimions par dessus tout cette unité de l’église et, pour cela, fuir tout esprit de parti, de division ou de schisme. A chaque liturgie, le prêtre (ou le diacre) proclame : » aimons-nous les uns les autres afin que dans un même esprit nous confessions le Père, le Fils et le Saint Esprit, Trinité consubstantielle et indivisible « . Nous ne pouvons vraiment glorifier le Père que dans la mesure où nous vivons de cette communion ecclésiale.
C’est donc en Eglise que va s’accomplir notre engendrement progressif à la vie nouvelle. En Eglise, dans la communion avec la hiérarchie de l’Eglise, dans le respect et l’amour de son unité. Et je terminerai par là, en vous lisant un passage de Saint Paul, dans son épître aux éphésiens, où il résume bien tout cela et où il en tire les conséquences sur le plan pratique [car habituellement, Saint Paul présente d’abord, dans ses épîtres, une partie doctrinale où il expose le contenu du mystère chrétien ; puis une partie pratique où il en tire les conséquences concrètes pour le détail de notre vie].
Dans cette épîtres aux éphésiens (chapitre 4), Saint Paul se réfère d’abord au mystère de l’Ascension et de la Pentecôte et il applique à ce mystère ce verset du psaume 68 : » Monté dans les hauteurs, Il a capturé des prisonniers, il a donné des dons aux hommes « . Il est monté. Qu’est-ce à dire, sinon qu’Il est aussi descendu dans la région inférieure de la terre ? Et Celui qui est descendu, c’est aussi le même qui est monté au dessus de tous les cieux afin de remplir toute chose et de remplir l’univers de cette grâce, de ce rayonnement incréé de sa divinité, à travers son corps ressuscité.
C’est Lui encore qui a donné aux uns d’être apôtres, aux autres d’être prophètes ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les Saints pour l’heure du ministère, en vue de la construction du corps du Christ. Car ce corps du Christ est aussi le temple véritable, le lieu du culte pour la Nouvelle Alliance, le lieu où le divin et l’humain se réunissent.
C’est une autre image à côté de celle de l’engendrement d’un corps, celui du Christ, pour exprimer la même réalité. En vue de la construction du corps du Christ au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu. Pour Saint Paul, la connaissance n’est jamais intellectuelle ni cérébrale, mais la pénétration du mystère par une communion intime. Et à constituer cet homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ. Ce que Saint Augustin a appelé le Christ total, le Christ avec son corps personnel, ressuscité et auquel sont soudés tous ses membres, les hommes divinisés, déifiés par la grâce de l’Esprit.
Ainsi nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de doctrine, au gré de la passion des hommes et de leur astuce à nous fourvoyer dans l’erreur.
Mais vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toute manière vers celui qui est la tête, le Christ, dont le corps tout entier reçoit concorde et cohésion par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l’actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même dans la charité. Chaque mot mériterait d’être commenté. On voit à la fois le caractère progressif de cette croissance dans le Christ.
C’est une naissance nouvelle qui est continue, qui est l’essentiel de la vie chrétienne, mais en même temps qui est une œuvre collective, qui est une œuvre de rassemblement, de réunion dans le Christ pour construire ce temple nouveau, pour édifier, faire naître le Christ total.
Saint Paul passe ensuite aux conséquences pratiques : Je vous dis donc et je vous adjure dans le Seigneur de ne plus vous conduire comme le font les païens avec leurs vains jugements et leur pensée enténébrée. Ils sont devenus étrangers à la vie de Dieu à cause de l’ignorance qui a entraîné chez eux l’endurcissement du cœur ; et leur sens moral une fois émoussé, ils ont livré à la débauche au point de perpétrer avec frénésie toutes sortes d’impuretés. Mais vous, ce n’est pas ainsi que vous avez appris le Christ, si du moins vous l’avez reçu dans une prédication et un enseignement conformes à la vérité qui est dans Jésus.
L’expression » vous avez appris le Christ » est belle : toute la vie chrétienne, c’est que le Christ vive en nous. A savoir qu’il vous faut abandonner votre premier genre de vie et dépouiller le vieil homme, qui va se corrompant au fil des convoitises décevantes, pour vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement et revêtir l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité.
Revêtir le Christ, revêtir l’homme nouveau en mourant au vieil homme, c’est encore une autre manière d’exprimer cette nouvelle naissance qui doit s’accomplir en Eglise. Dès lors, plus de mensonge. Que chacun dise la vérité à son prochain. Ne sommes-nous pas membres les uns des autres ? Toute la charité chrétienne est fondée sur ce fait que nous sommes membres les uns des autres. Ce n’est pas une simple philanthropie sentimentale, mais c’est cette conscience d’être membres du Christ, d’être animés par la même vie, par le même esprit. Il ne faut pas donner prise au diable.
Que celui qui volait ne vole plus. Qu’il prenne plutôt la peine de travailler de ses mains au point de pouvoir faire le bien en soutenant les nécessiteux. Que de votre bouche ne sorte plus aucun mauvais propos, mais plutôt toute bonne parole capable d’édifier quand il faut et de faire du bien à ceux qui l’entendent.
Ne contristez pas l’Esprit Saint de Dieu qui vous a marqués de son sceau pour le jour de la rédemption. Contrister l’Esprit Saint, c’est justement aller contre cette unité, c’est aller contre l’inspiration intérieure de l’Esprit, qui nous appelle à être un dans le Christ.
Aigreur, emportement, clameur, outrage, tout cela doit être extirpé de chez vous avec la malice sous toutes ses formes. Montrez-vous au contraire bons et compatissants les uns avec les autres, vous pardonnant mutuellement comme Dieu vous a pardonnés dans le Christ. Oui, cherchez à imiter Dieu comme des enfants bien aimés et suivez la voie de l’amour, à l’exemple du Christ qui nous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur.
Quant à la fornication, à l’impureté sous toutes ses formes, ou encore à la cupidité, que leur nom ne soit même pas prononcé parmi vous. C’est ce qui sied à des saints. Pour un chrétien, il n’y a pas de différence entre morale et spiritualité, il y a des exigences de vie chrétiennes qui sont les exigences mêmes de cette vie nouvelle.
Ce ne sont pas des préceptes extérieurs, ce ne sont pas des lois contraignantes qui nous sont imposées du dehors.
Conférence donnée par Père Placide (Monastère de Solan – la Bastide d’Engras – 4 juin 2001)