Avaleht/Spiritualité/Jalons pour mieux vivre le Carême

Jalons pour mieux vivre le Carême

A.- De la crainte de Dieu

Ceux qui prennent la peine de suivre l’office des matines ont le privilège d’écouter les « anavathmi » (ce sont des graduels par groupes de trois « antiphones », ils suivent le ton de chaque semaine), qui nous invitent à nous élever de notre condition de pécheurs à la sérénité, la pureté et la sainteté du ciel. Les graduels, composés par St Théodore le Studite sont formés de trois antiennes comprenant chacune trois stances (sauf pour le ton huit qui lui comprend quatre antiennes de trois stances). Nous retiendrons d’abord la troisième antienne du ton trois, elle nous donne le premier thème de notre méditation : « Celui qui craint le Seigneur et marche dans ses voies bienheureux sera-t-il ; pour nourriture il aura le fruit de vie ».

Le thème de la « crainte de Dieu » puise profondément ses racines dans les textes sacrés de notre Eglise et dans la vie des figures qui ont vécu sa sainte et puissante tradition. A notre tour allons cueillir les fleurs dans les pages de l’Ecriture Sainte et des Pères de l’Eglise, en nous référant au texte du graduel. Il a pour source David, le poète : « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies ; tu jouis alors du travail de tes mains ; tu es heureux et tu prospères. » (Ps 127, 1-2).

Dans un autre psaume (111, 1), on trouve encore : « Bienheureux l’homme qui craint Dieu » ou ceci, toujours dans le psautier : « La crainte du Seigneur est pure, elle subsiste toujours » (18, 10).

Bien sûr, nous n’allons pas parcourir tous les textes des Ecritures saintes qui traitent de ce sujet, mais il est bon aussi de rappeler dans Proverbes ce qui suit : « Le commencement de la sagesse réside dans la crainte de Dieu » (1, 7) et « avec la crainte de Dieu on s’écarte de tout mal » (15, 27).

Dans le Nouveau Testament on remarque que la crainte de Dieu est une vertu et que son absence conduit à l’impiété et au blasphème. Quand St Luc nous parle du centurion, il note : « Il était pieux, vivait dans la crainte de Dieu, ainsi que tous les siens, faisait beaucoup d’aumônes aux pauvres et priait Dieu sans cesse ». (Act 10, 2). A Antioche, Paul s’adresse aux « hommes d’Israël qui craignent Dieu » (Act 13, 16) et à ses frères qui descendent de la famille d’Abraham et qui « craignent Dieu », et ailleurs dans Romains 11, 10, il oppose la crainte de Dieu à l’orgueil qui obscurcit les yeux pour ne pas voir. Et, quand il écrit aux chrétiens de Corinthe, c’est pour rappeler que la crainte de Dieu est la condition indispensable pour que se développe et croisse la sainteté : « … bien-aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit, achevant notre sanctification dans la crainte de Dieu ». (2Co 7, 1).

Pour sa part l’apôtre Pierre s’efforce d’éclaircir le malentendu qui existait à son époque entre la liberté et l’esclavage ; le serviteur de Dieu est bien plus libre que tous ceux qui croient jouir de la liberté sans croire en Dieu. Et c’est pourquoi il donne ce conseil : « C’est la volonté de Dieu que, par votre bonne conduite, vous imposiez silence aux insensés qui vous méconnaissent. Comportez-vous en hommes libres, non en hommes dont la liberté n’est qu’un voile qui cache la vie, mais en agissant comme des serviteurs de Dieu. Soyez respectueux pour tout le monde, aimez les frères, craignez Dieu, respectez le roi ». (1 Pierre 2, 15-17).

C’est cette même crainte de Dieu qu’enseigne l’ange de l’Apocalypse : « Craignez Dieu, dit-il, et rendez-lui gloire, car l’heure de son jugement est venue ; adorez celui qui a fait le ciel, la terre et la mer et les sources d’eau ». (Apoc 14, 7).

On pourrait conclure ici avec les paroles du livre de l’Ecclésiaste : « Ecoutons maintenant tout le résumé de ce discours: craignez Dieu et gardez ses commandements, car c’est là tout l’homme ». (Eccl 12, 13).

Pourtant, il nous faut nous engager dans une voie nouvelle, là où la crainte de Dieu s’affronte à l’amour. Cette ouverture nous la devons surtout à St Jean le Théologien, l’évangéliste de l’amour, qui nous dit dans sa première lettre (4, 18) : « La crainte n’est pas dans l’amour ; au contraire, l’amour parfait banni la crainte parce que la crainte suppose une punition et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour. Nous devons aimer parce qu’il nous a aimés le premier ». Alors quoi : craindre ou aimer ?

Pour mieux saisir tout cela, il nous faut sans aucun doute nous tourner vers les Pères de l’Eglise, qui distinguent deux sortes de crainte. Pierre de Damas fait cette distinction : « Deux sont les craintes de Dieu. La première, qui fait office d’introduction, nous éloigne du mal. La seconde, la parfaite, est pour celui qui s’applique aux bonnes œuvres » (cf. troisième discours). La première crainte est par conséquent la peur, je dirai « la frousse » de Dieu qui nous préserve de l’enfer et de la punition ; la seconde est qualifiée de parfaite car il n’y a en elle, ni repentir tardif ni blâme.

Dans son cinquième discours, Abba Dorothé, nous en donne à sa manière l’explication de façon pratique : « Si donc les saints, qui aimaient Dieu, le craignent, comment donc comprendre que l’amour chasse la crainte ? Tout simplement parce que le saint nous apprend qu’il existe deux sortes de crainte : la première est initiatique, la seconde parfaite. La première est faite pour les commençants, c’est-à- dire pour les hommes pieux ; la seconde est celle des saints, c’est-à-dire de ceux qui ont atteint la perfection et qui vivent l’amour parfait ». Par conséquent : un tel accomplit-il la volonté de Dieu par crainte de l’enfer ? Alors qu’il n’est qu’à ses débuts ; il n’a pas encore commencé à faire le bien pour Dieu, mais il agit par peur des blessures. Un autre accomplit-il la volonté de Dieu par amour pour Lui et ce faisant Lui est-il agréable ? Alors, il a compris ce qu’est le bien et il sait ce que signifie « être avec Dieu » et il possède l’amour parfait. Cet amour-là le mène à la crainte parfaite, car il craint Dieu non pas par peur des blessures ni à cause de l’enfer, mais parce qu’il goûte à la douceur de Dieu dont il ne désire pas se priver. Ainsi donc, la crainte parfaite qui naît de l’amour chasse la première crainte, celle des commençants et c’est la raison pour laquelle il est dit que l’amour parfait chasse la peur. Et Abba Antoine de conclure, dans le « gerontikon » : « Moi je ne crains pas Dieu, mais je l’aime car l’amour chasse la crainte ».

Mais cette crainte parfaite ne vient qu’après l’acquisition de la première, celle des commençants. Elle naît de la vraie foi et elle n’est acquise que par la seule force du Christ. « En tant que crainte pure, dit Théodore d’Edesse, elle purifie l’âme », car elle est revêtue de la même puissance que l’amour parfait ». Pour St Maxime le Confesseur, elle est éternelle, car elle s’accomplit dans l’amour et le respect de la toute-puissance de Dieu. Quant à l’autre crainte, l’initiatique, elle n’est que circonstancielle car elle tire son origine du péché. Et de ce fait, dès que la cause est supprimée par la « métanoïa », elle disparaît en même temps que la peur de l’enfer, de la punition et des blessures.

C’est maintenant que nous comprenons mieux le graduel du troisième ton:

« Bienheureux sont ceux qui craignent Dieu ; ils gravissent les marches des commandements de Dieu. La cause de leur bonheur réside dans le fait qu’ils jouiront en abondance des fruits de la vie ». C’est plus que le psaume de David qui se limite aux fruits qui récompensent le travail des mains de l’homme. Car le vrai bonheur, c’est de mettre sans cesse en pratique les volontés du Seigneur, sans quoi, dit St Nicodème l’Hagiorite, il est impossible de craindre véritablement Dieu. L’un ne va pas sans l’autre : il n’y a de vraie crainte sans obéissance aux volontés de Dieu.

Aussi difficile et incroyable que cela puisse paraître, il n’y a pas d’autre voie pour trouver Dieu. Je formulerai cela autrement : connaître mystiquement Dieu, c’est le propre de la sainteté ; discerner sa présence, c’est passer par l’autre, par le frère et par la possibilité qu’il nous donne de rendre effectif notre amour pour lui, au-delà de son bien et de son mal, de ses convictions et de ses non-convictions.

L’homme moderne n’aime pas qu’on lui parle de vertus ou de commandements divins. Il préfère parler des droits et de la liberté à son profit, ou encore des devoirs de la société en sa faveur. S’il se tourne vers Dieu, c’est pour Lui dire son mécontentement ou son « ras-le-bol », ainsi que nous le voyons auprès de certains de nos contemporains humanistes qui sont sans Dieu.

Pourtant le chemin de la paix et du salut passe par la pratique des commandements divins. Ecoutons St Jean Chrysostome : « Quels sont les chemins de Dieu ? Les vertus. Elles sont pour nous des voies qui nous mènent à Dieu. Elles sont multiples afin que notre entrée dans le Royaume soit plus facilement réalisable : les uns brillent dans la virginité, les autres s’accomplissent dans le mariage, d’autres encore s’embellissent dans le veuvage. Ceux-ci sont pleinement comblés, ceux-là n’en bénéficient que de moitié ; les premiers à cause de la droiture de leur vie, les seconds parce qu’ils pratiquent la « métanoïa ».

Craindre Dieu, cela signifie donc agir ce qu’exigent les commandements divins. Et c’est possible.

Cela est magnifiquement illustré par cette exhortation de St Jean Climaque : «Suivez l’exemple du saint martyr Léon, nous dit-il, lequel aima son prochain bien plus que lui-même, dépassant ainsi de loin les limites des commandements ».

« Tu n’as pas conservé pur ton corps après le baptême ? » dit St Jean Chrysostome. « Pourtant tu peux le rendre plus pur encore par la « métanoïa », ou ton argent ou ta compassion. Tu n’as pas d’argent ? Tu peux visiter un malade. Tu as un corps malade et tu ne peux marcher ? Alors accepte cette souffrance en rendant grâce et ta récompense sera grande. Tel fut l’exploit de Lazare et c’est pourquoi il reçut en récompense le repos dans le sein d’Abraham ».

En conclusion, nous citerons encore une fois St Maxime le Confesseur : « « Qui craint Dieu s’humilie ; qui s’humilie, devient doux ; qui devient doux, met en pratique les commandements; qui met en pratique les commandements se purifie intérieurement ; il est saisi par des illuminations divines et ensuite, par la réception des sacrements il est rendu digne de s’unir au divin Epoux du Christ, Verbe de Dieu ».

Telle est, mes amis, la vraie voie qui nous divinise et nous vivifie.

B.- Du regard vers le ciel !

« Ceux qui s’appuient sur le Seigneur, aux ennemis inspirent l’effroi ; ils sont dignes d’admiration car ils regardent vers le ciel » (anavathmi ton6, antienne 3)

Autrement dit, ceux qui fondent fermement leur espoir en Dieu ne craignent pas le Malin parce que, nous dit aussi la 3è antienne du ton 2 : « Ceux qui mettent leur confiance en Dieu ressemblent à la sainte montagne de Sion ; ils ne seront jamais ébranlés pour les siècles ceux qui ont Jérusalem pour demeure ».

Ici nous comprenons que les habitants de Jérusalem sont protégés physiquement et spirituellement : depuis la montagne visible de Sion, nous montons vers la ville céleste qui est Jérusalem, laquelle est aussi inébranlable que la grande et sainte montagne. Il en est de même pour ceux qui jettent l’ancre de leur espoir dans le Seigneur. Rien ne peut les ébranler dans leur foi puisque leurs regards sont toujours tournés vers le ciel.

Espérance, foi, amour sont les trois vertus fondamentales. L’espérance parce qu’elle incite à croire sans hésitation que de toute façon l’on sera toujours exaucé : l’espérance naît de la foi. « Car il a cru en moi, dit le Seigneur dans le psaume 90, 14, je le protégerai parce que je le connais par son nom ; il crie vers moi et je l’exaucerai et je serai avec lui dans la douleur ». Alors, pourquoi serai-je dans le doute ou que craindrais-je désormais ? Le Seigneur ne m’a-t-il pas promis que dans l’éternité il me réserve une place dans sa demeure ? C’est pourquoi Paul dans sa lettre aux Colossiens (3. 2) ne craint pas de dire : « Souciez-vous des choses d’en- haut et non de celles de cette terre ». Et aussi : « Ce qu’aucun œil n’a vu, ce qu’aucune oreille n’a entendu ce qui n’est monté au cœur d’aucun homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment… C’est à nous que Dieu l’a révélé par son Esprit ; car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu ». (1 Co 2, 9-10)

C’est alors et alors seulement, pour reprendre nos antiennes des anavathmi, que nous devenons dignes d’admiration aux yeux de tous, qu’ils soient anges, hommes ou démons.

Voici une petite anecdote pour illustrer cela : le monastère de St Théodose le Cénobite était très pauvre au moment de sa fondation. Si pauvre, qu’il manquait même du strict nécessaire. Lors d’une semaine sainte, les moines n’avaient plus rien à manger. Ils se mirent à s’inquiéter très sérieusement, surtout le jour du samedi saint où ils n’avaient même pas une prosphore pour célébrer la divine liturgie et pour communier le soir de Pâques. Il n’y avait littéralement plus une seule bouchée de pain dans le monastère.

Les moines excités vont voir le Saint. Il les écoute calmement et à la fin de l’entretien, il leur demande de tout préparer pour la grande fête de Pâques : et l’église, et le réfectoire et le repas pascal. Les moines n’en revenaient pas. Ils se mirent à murmurer, mais st Théodose faisait comme s’il n’avait rien entendu. Pourtant l’Higoumène murmura entre ses dents : « n’est-ce pas une injure de croire que Celui qui a nourri de la manne son peuple et qui a multiplié les cinq pains au point de rassasier toute une foule a perdu sa force et sa générosité ? ». L’heure cependant s’écoulait ; la nuit commençait à poindre. Soudain on frappe à coups répétés à la porte du monastère. Un moine va ouvrir et oh surprise : un inconnu apparaît accompagné de tous les biens de la terre. On le fait entrer. Il s’explique : « je devais porter ce chargement à une skite non loin de chez vous. Arrivés à hauteur de votre porte, les chameaux ne voulaient plus avancer. J’ai eu beau leur crier dessus et les frapper, rien n’y fit. Alors, je me suis dit que peut-être la volonté de Dieu est que je dépose mon chargement ici. Les vivres sont à vous, serez-vous en ». Il y avait de quoi tenir jusqu’à la Pentecôte.

« Quel est le fils, lisons-nous dans Hébreux 12, 7-8, que son père ne châtie pas ? Si vous êtes dispensés du châtiment dont tous les fils ont leur part, vous êtes illégitimes, vous n’êtes pas de vrais fils. »

« Et leurs tentations et les tristesses qui nous assaillent sont destinés à purifier nos âmes de ses rouilles, et si tout cela, dit st Macaire, nous le supportons avec espérance, alors notre âme se purifiera et se fortifiera dans l’épreuve et la descente sur nous de l’Esprit saint pour nous libérer de nos malheurs et de nos passions se manifestera pleinement ».

Malheur à nous si le démon du découragement et de la détresse s’empare de nous. Abba Pomène nous dit à propos du découragement, qu’il n’y a pas de pire passion. Et st Jean des Carpates ajoute : »le pire des péchés c’est le découragement ».

Car le découragement peut nous plonger dans des péchés plus grands encore. Pensons ici à Judas : voyez où l’a conduit le découragement : à la pendaison. Pensons aussi à Pierre et à ce qu’il advint de lui après les larmes versées à cause de son reniement : il est qualifié de coryphée.

Pourtant ce n’est pas facile d’acquérir l’espérance sans la droiture de la pensée et du cœur. Et plus encore nous avons besoin de l’acquérir par l’expérimentation des dons du Seigneur, parce qu’ils nous informent, quand nous les recevons, que les biens futurs sont déjà présents et que ce qui est attendu est déjà acquis puisque Dieu Lui- même en est le garant. « Sans cette attente, dit st Maxime le Confesseur, aucun retour vers le bien n’est possible ».

Dans un des apophtegmes des pères du désert, on trouve ceci : « Celui qui croit en Dieu, a peur de l’enfer ; celui qui a peur de l’enfer, se garde des passions, supporte les malheurs de la vie ; celui qui supporte les malheurs de la vie, acquiert l’espérance en Dieu ; et cette espérance en Dieu détourne nos pensées des soucis terrestres et lorsqu’enfin nos pensées se séparent d’eux, alors on entre en possession de l’amour pour Dieu ».

David nous recommande d’espérer dans le Seigneur « depuis la garde du matin jusque tard dans la nuit ». (Ps. 129, 6)

Et st Paul nous recommande d’espérer avec joie parce que c’est elle qui nous sauve même si nous ne voyons pas ce à quoi nous croyons car « une espérance dont on voit l’objet n’est plus une espérance ». (Ro 8, 24)

Notre vie est pleine de ces espérances que l’on ne voit pas : le semeur sème avec beaucoup de peine et ne se pose pas de question quant à l’avenir des graines ; le marin affronte la mer sans savoir au départ s’il atteindra le port et l’étudiant consacre de nombreuses années à ses études parce qu’il espère un jour recevoir sa récompense. Tous espèrent sans voir l’objet de leur désir.

Mes amis, jour et nuit donc, gardons notre espérance en Dieu. Jetons notre ancre d’espérance dans le ciel : là se trouve notre sécurité et avec elle notre salut.

C.- Des yeux du cœur

« Vers le ciel je lève les yeux de mon âme, ô Sauveur, en ta lumière sauve-moi (afin que je vive en toi) » (ton 6, antienne 1)

Notre poète ici, ouvre le ciel avec les yeux du cœur pour regarder son Sauveur, le Christ. Il nous dit par-là que si nous levons nos yeux intérieurs vers le ciel, ce n’est

pas par romantisme mais c’est pour que Dieu voit notre cœur contrit et notre attitude d’humilité. Et Dieu nous regarde à sa manière : Il voit non pas le visage comme c’est le cas pour les humains, mais notre cœur au plus profond de nous-mêmes.

Ce graduel en effet, nous montre l’homme tel qu’il est en lui-même : tantôt il lutte ; tantôt il succombe ; tantôt il se relève ; tantôt il se blesse et se décourage, mais il se tourne aussi vers son Dieu, sa seule lumière, son seul salut : oui Seigneur, je lève vers toi les yeux de mon âme, pour que tu fasses briller en moi Ta lumière…

Souvent les hommes plient les genoux devant les épreuves, les échecs, les maladies. Il leur arrive même dans leur désespoir de s’en prendre directement à Dieu. St Jean Chrysostome nous exhorte à ne pas nous affliger pour le mal que nous subissons mais de persévérer par une vie de droiture.

Ce n’est pas la tentation mais le fait de baisser les bras qui cause notre chute : « tu as péché, dit-il, ton péché est brûlé par les épreuves ; si tu es vertueux, ta vertu te rend brillant de beauté et te comble de joie ». La cause de la chute n’est pas l’épreuve mais la paresse de ceux qui la subissent. La vie sur terre n’est-elle pas une suite d’épreuves et de combats, se demande Job, lui si durement éprouvé ? (Job 7, 1)

Pourtant, tandis que Satan veut prendre notre âme d’assaut, n’hésitons pas à tourner nos yeux vers le Seigneur : nous sommes plongés dans l’obscurité, nous sommes enchaînés par le péché, mais toi Seigneur, toi seul, tu peux toujours me sauver en ta lumière. Et lorsque ta lumière m’illuminera, alors je vivrai en toi.

Platon nous parle de l’homme comme d’un arbre planté dans le ciel. Toutes les plantes ont leurs racines tournées vers la terre qui les nourrit, mais l’homme lui, comme s’il avait pour racine les cheveux de sa tête, se nourrit d’en-haut. Et Philon dit à peu près la même chose lorsqu’il qualifie l’homme « d’arbre céleste puisque c’est du ciel qu’il reçoit sa nourriture pour subvenir aux besoins de son âme immortelle ».

Pourtant st Nicodème l’Hagiorite et avec lui une foule de Pères de l’Eglise, précisent que les hommes, par nature et par grâce, ont leurs racines dans leur cœur intérieur. Par nature, parce que c’est là que réside l’essence de l’âme ; par grâce parce que c’est là aussi que brûle le foyer de la grâce du saint Esprit. « Parce que, dit st Jean Chrysostome, nous recevons la grâce du st Esprit dans le cœur, nous devons le purifier prioritairement, « pour que notre Père qui est dans les cieux, « vous accorde», ajoute st Paul (Eph. 3. 16) «dans sa glorieuse richesse, d’être puissamment fortifiés par son Esprit dans votre être intérieur ; qu’il fasse que le Christ habite dans vos cœurs par la foi ».

Les pères neptiques insistent tous sur le fait que le cœur est pour l’homme le premier des organes, celui qui régit tout et lorsque la grâce inonde les contrées du cœur, elle règne sur les pensées du et sur tous les autres membres.

St Macaire nous offre cette belle image : « Il existe, d’après certains philosophes, des montagnes de feu où broutent des animaux tels que des moutons. Ceux qui veulent les chasser, façonnent des roues en fer sur lesquelles ils fixent des hameçons et les font rouler sur ces montagnes parce que ces animaux-là se nourrissent de feu, et l’eau qu’ils boivent est aussi du feu, et tout est feu pour eux : hors du feu ils sont perdus. Et leurs peaux lorsqu’elles se salissent ne peuvent retrouver leur blancheur éclatante que si elles sont plongées dans le feu.

Ainsi en est-il des chrétiens : ils montent au ciel pour y trouver le feu céleste, le boire et s’en rassasier, c’est ce feu-là qui leur donne du repos, qui étanche leur soif, qui les lave et les purifie. C’est encore ce feu qui sanctifie leur cœur et les fait progresser spirituellement. Il est pour eux l’air qu’ils respirent et leur vie. S’ils le perdent, ils sont comme des poissons hors de l’eau. Mais s’ils le conservent en eux, alors ils sont lavés et purifiés pour prendre part au repas du Seigneur avec tous ceux qui, avec leur cœur pur, voient le Seigneur dans un face-à-face permanent ».

D.- De celui qui sème dans les larmes

Le graduel du ton 7 nous offre ceci dans sa première antienne : « Celui qui sème en plein midi dans les larmes, le jeûne et l’affliction moissonnera ses gerbes de joie en nourriture d’éternelle vie. »

L’expression « celui qui sème dans les larmes » nous prouve que les larmes et la douleur ne sont pas dans notre vie une tempête passagère. C’est la porte étroite dont nous parle l’Evangile.

Amma Théodora nous le décrit très bien en utilisant la langue de nos spirituels : « Luttez pour passer par la porte étroite. De la même manière que les arbres ne peuvent porter des fruits s’ils ne subissent les rigueurs des hivers, ainsi pour nous aussi ce siècle est pareil à l’hiver ; sans de nombreuses tristesses et sans les tentations nous ne deviendrons jamais les héritiers du royaume des cieux ».

Quand trois vieillards, nous informe Abba Matoïs rendirent visite au fameux Abba Paphnoutios Kefalas pour écouter sa parole, ce dernier leur demanda : « Que voulez-vous que je vous dise, une parole spirituelle ou au contraire des phrases charnelles ? Des paroles spirituelles, lui répondirent-ils. Alors il leur dit ceci : « Aimez les larmes plus que le repos, le déshonneur plus que la gloire et le fait de donner bien plus que celui de recevoir ».

Ainsi l’affliction avec sa couronne spirituelle, montre à ceux qui savent lire l’Evangile, l’existence de la croix et la certitude qu’elle nous ouvre des chemins spirituels plus solides et plus permanents que ceux que propose ce monde.

Revenons encore à notre antienne dans une traduction plus large : « Celui qui sème dans l’affliction et le jeûne, les arrosant de ses larmes, celui-ci, quand viendra le temps, moissonnera des fruits avec lesquels il s’en nourrira éternellement ».

« Seigneur, ajoute le psalmiste (125. 4), ramène nos captifs comme des ruisseaux dans le midi », et l’antienne du graduel du ton 3 précise elle, que cette moisson se fera dans la joie de la vie éternelle.

Le mot «midi» a aussi son importance. Les exégètes de l’Ancien Testament comprennent qu’il s’agit de Jérusalem, au retour de la captivité de Babylone. Mais autrefois, les agriculteurs prétendaient qu’il fallait toujours semer après la pluie ou lorsque le vent du midi souffle parce qu’alors la chaleur humide de ce vent colle mieux les semences sur la terre et qu’elles prennent ainsi mieux racines.

Dans l’antienne que nous venons de citer, le midi, c’est notre vie présente. Il nous faut semer en cette vie pour moissonner dans l’autre, puisque selon St Nicodème, « tout comme le vent du midi est humide et brumeux, ainsi en est-il de notre existence sur terre : humide à cause des plaisirs, obscure à cause des passions et brumeuse à cause des soucis et des troubles qu’elle engendre ». Nos semailles sont donc faites d’afflictions et de jeûnes dans les larmes.

On peut comprendre que dans cette vie les chrétiens sont appelés à semer le jeûne et la sobriété ; la garde du cœur et la prière ; les afflictions et l’acceptation des mauvais traitements, et encore la charité envers les pauvres.

« Ce que tu fais, dit un proverbe grec, tu le retrouveras en retour ». Et ce proverbe fait écho à la lettre aux Galates (6, 7-8), « ce que l’homme sème, il le moissonne. Celui qui sème dans sa chair, moissonnera ce que produit la chair : la mort. Celui qui sème dans l’Esprit, moissonnera ce que produit l’Esprit : la vie éternelle ».

Une seule gifle, chantons-nous dans un tropaire de l’office des funérailles, et tout cela disparaît. Tel est le sort des semences que produit la chair avec ses gloutonneries et ses luxures. Mais qui sème selon l’Esprit, par le jeûne, la prière, le don des larmes, la charité, les saintes lectures, celui-là récoltera largement parce qu’il aura semé largement et non point chichement (cf. 2Co 9, 6). Tel est le prix de la sainteté.

Mais jusqu’à quel point faut-il supporter les afflictions et les épreuves? Voici comment nous le recommande St Isaac le Syrien : « un jour un philosophe se fixa une règle : de garder le silence pour de longues années. Son roi, ayant appris cela, fut admiratif et commanda qu’on le lui amène. Il pose des questions au philosophe mais celui-ci se tait obstinément. Le roi se fâche et le condamne à mort pour non- respect de son pouvoir royal. Sans crainte, le philosophe suit ses bourreaux. Mais le roi leur souffle à l’oreille : si le philosophe montre de la peur ou parle, tuez-le ; s’il reste impassible et respecte la règle du silence qu’il s’est donné, ramenez-le moi vivant. Arrivé au lieu de son supplice, et malgré les nombreuses interventions des

soldats qui le gardent, il reste impassible et silencieux et de lui-même pose sa tête sur le billot pour qu’on la lui tranche. Le roi ayant appris cela le laisse libre, il est sauvé ». Et St Isaac continue : « si un philosophe païen est capable de tant de courage, combien ne nous faut-il pas alors accepter les épreuves que Dieu permet pour nous, en rendant grâces car c’est ainsi que nous deviendrons nous-mêmes participants à ses souffrances et à sa gloire » ?

Sommes-nous capables à notre tour de chanter: «C’est dans les épreuves, Seigneur, que tu me fais grandir » Si oui, alors nous atteignons à notre tour Celui qui a étendu les bras sur la Croix pour notre salut.

E.- De la construction de la maison

« Si le Seigneur lui-même ne bâtit la maison des vertus, c’est en vain que nous nous démenons ». (anavathmi ton 3, quatrième stance).

Bien entendu, il s’agit ici de la maison spirituelle qui a pour bâtisseur l’homme et Dieu. Non seulement l’homme ou Dieu, mais ensemble et l’homme et Dieu. Il faut que l’homme le premier commence à bâtir pour que Dieu vienne l’aider et il faut que l’homme demande l’aide d’en-haut pour achever l’œuvre commencée, sans quoi, quand bien même le toit de la maison de notre âme sera posé, rien ne nous garantirait contre une porte mal fixée et susceptible d’être forcée par l’intrus qui est ici le Malin.

Sans l’aide de Dieu, aucune action et aucune parole ne peut aboutir. « Si le Seigneur ne vient pas garder notre cité intérieure, alors c’est en vain que la sentinelle veillera ». (Ps 126, 1-2)

Les murs de notre cité intérieure ne sont pas érigés avec des pierres et du bois mais avec les vertus acquises par notre conformité à la volonté du Seigneur.

Sans cette aide divine nous peinons en vain, même si nous nous adonnons aux jeûnes, aux prières et à toutes sortes d’autres actions. « Sans moi, vous ne pouvez rien » nous dit le Seigneur dans l’Evangile (Jn 15, 5)

Dans la suite de ce graduel du ton 3, nous constatons que le poète commence par nous parler de la « maison des vertus », pour ensuite passer à l’expression « maison de l’âme ». Dans la première, il relie la maison des vertus à l’existence de la ville, faite de nombreuses maisons. Dans la seconde, il est manifestement question de l’âme. Moi, je comprends ainsi : l’une fait mention de notre être raisonnable, l’autre de notre être intérieur. C’est en même temps que nous construisons et notre raison et notre cœur. L’un ne va pas sans l’autre et il en sera ainsi jusqu’à la fin de nos jours.

Mais pour y arriver, la condition première est l’humilité. Sans elle, Dieu ne peut ni achever ni parachever la bâtisse. Si nous nous basons sur nos seules forces, ce sera sans conteste l’échec. On ne peut vaincre seul les passions : « Si tu veux vaincre ou combattre la chair par tes seules forces, nous dit St Jean Chrysostome, alors ce sera en vain ; si Dieu ne détruit pas la maison charnelle et s’il ne bâtit pas la maison spirituelle, c’est en vain qu’il a veillé et jeûné le bâtisseur ». Si tu te considères aussi solide qu’un roc de granit, alors prends garde : tes propres passions te vaincront ; si tu te considères comme terre et poussière, alors le Christ fera de toi un fortin imprenable.

Il existe beaucoup de textes patristiques qui montrent comment construire la maison de l’âme. Ainsi St Nicodème dit : « construit avec discernement et sagesse ». Ainsi St Grégoire de Nysse conseille de « fuir les extrêmes ; la vertu on la trouve dans la voie moyenne ; la médiocrité et les excès de zèle engendrent la méchanceté ». Ainsi Nicétas Stétathos dit : « pour fondation utilise l’humilité ; pour murs les commandements de Dieu ; pour toi l’hésychia, la prière et la douceur parce qu’une telle maison doit servir de demeure à l’Esprit Saint Lui-même ». Et c’est pourquoi nous avons besoin du Seigneur Lui-même comme co-bâtisseur, si je puis parler ainsi. Car là « où Dieu installe sa demeure, là on y trouve tout bien et la garde et la paix et la joie. Ceux qui aiment la loi de Dieu connaissent une grande paix et ne sont pas victimes de scandales ».

Ste Synclétique dit que celui qui ne bâtit pas une maison solide ne doit pas accepter ses amis chez lui. Autrement dit, on ne peut rien enseigner ou donner sans mettre l’autre en danger dans une maison spirituellement délabrée, parce que les paroles qui y sont échangées ne seront pas des paroles de salut mais des paroles d’injustice. Car au lieu de l’humilité, on y rencontrera l’orgueil qui non seulement détruit la maison de l’hôte mais aussi celles des invités. « Malheur, dit Abba Silouane le Syrien, à cet homme dont le nom est plus grand que son travail ».

« Que celui qui a quelque autorité sur les autres dans l’Eglise, dise au Christ : Seigneur protège-moi de ma langue ! Que le simple chrétien dise au Christ : Je suis dans la boue, jusqu’au cou et je pleure devant Dieu en m’écriant, aie pitié de moi » ! Ecrit Abba Paul.

F.- Du combat non pas contre le corps mais contre les passions

Dans une skite où vivaient de saints moines, il y avait beaucoup de miracles. Sa renommée fut grande dans tout le pays. Un jour on y amène un possédé. Les moines refusent par humilité de le guérir. Après plusieurs mois, l’un de ces moines eut pitié de cet homme. Il le fit venir, le bénit avec la croix de bois qu’il avait accrochée à sa ceinture et força le démon à quitter le possédé. « Puisqu’il en est ainsi, dit le démon au moine, je viendrai m’installer en toi ». Ce qui fut fait. Douze ans durant l’esprit mauvais tourmenta le saint homme. Celui-ci supportait avec patience tout son mal et ne cessait de combattre l’esprit impur par le jeûne et la prière incessante, ne se nourrissant que de pépins de dattes et ne buvant que leur jus. Lassé, le démon finit par avouer sa défaite et exprima son désir de quitter le saint vieillard. « Pourquoi donc t’en vas-tu, s’étonna le moine, personne ne te chasse d’ici. Ton jeûne m’a totalement ruiné », lui répondit le démon et il disparut pour toujours.

Cet épisode nous parle du jeûne ; il nous fait comprendre que celui-ci est un moyen et non un but en soi, qui puise sa source dans les choses matérielles afin d’atteindre les vrais sommets spirituels.

D’un point de vue matériel en effet, le corps de l’homme est pareil au tonneau des Danaïdes : plus on le remplit et plus il se vide ; le corps de l’homme n’est jamais rassasié des biens de ce monde : plus on lui en donne, plus il en demande.

Aussi, si le jeûne a quelque valeur, c’est parce que sa racine est avant tout spirituelle et qu’elle a pour prix l’ascèse. Qui brise cette racine met aussitôt en cause l’essence du jeûne : ou il en fait une règle sèche et inutile, et cela relève du contresens, ou il le perçoit comme un but en soi et le considère comme un sacrement, ce qui devient excessif. Parce que les règles du jeûne fixée par l’Eglise ne séparent pas le corps de l’âme, ni les choses matérielles des spirituelles. Bien au contraire puisque ce qui est recherché ici, c’est une symbiose harmonieuse afin que le corps ne nuise pas à l’âme, et l’âme au corps, dès lors que l’un viendrait à désirer le contraire de l’autre.

Un jour un homme très gros rencontra un homme très mince. « Bienvenu à toi, esprit sans corps » dit le gros au mince. « Quelle joie de te rencontrer corps sans esprit » dit le mince au gros : cela fait sourire, mais la leçon de ces propos est que souvent cette union du corps et de l’esprit est assujettie à des dysharmonies, dont la plus importante est l’excès.

Autrement dit, l’absence de jeûne ou l’insouciance pour le jeûne laissent le corps sans gouvernail. Abba Hyperechios qualifie le jeûne de « rennes qui maîtrisent la fougue du cheval » et Abba Jean Kolovos le définit comme une « stratégie pleine de sagesse et d’expérience » et d’ajouter « les nombreuses nourritures ont une puissante emprise en premier lieu sur nos passions corporelles et ensuite spirituelles qui sont les démons… Aussi il nous faut agir comme ces stratèges qui assiègent des villes fortifiées. Ils encerclent toujours ces cités, leur coupant les vivres et l’eau jusqu’à l’épuisement de l’ennemi qui n’aura plus d’autres solutions que celles de déposer les armes et de se rendre. De même, le jeûne apaise nos passions et chasse les démons ». « Si le répit de la gloutonnerie ne prend pas possession de l’âme, dit Abba Pimène, la raison finira par succomber aux assauts de l’ennemi ! ».

Quand on parle du jeûne, on peut aussi être tenté de regarder négativement le corps. Mais le corps en soi ne peut pas être mauvais puisqu’il est créé par Dieu et qu’il est destiné à devenir le temple du Saint Esprit.

Nous jeûnons donc non pas pour détruire le corps parce que le mal s’y est introduit, mais pour soumettre ce même corps à son véritable royaume qui est l’âme. C’est pourquoi les Pères nous enseignent que ce qu’il nous faut « assassiner », ce n’est pas le corps mais les passions. Tel est le sens du jeûne. Et ses règles sont ainsi faites que chacun, selon ses possibilités propres, peut les appliquer à sa juste mesure. « Aujourd’hui, disait un philosophe russe, toute mon Eglise pratique le jeûne ; si je n’agis pas de même, cela veut dire que je me place en dehors d’Elle ! ».

Que l’on soit du monastère ou du monde, le corps de l’homme ne change pas et les passions ici et là sont toujours aussi redoutables. Le jeûne est tout aussi indispensables aux uns comme aux autres, ainsi que le décrit si bien St Isaac le Syrien : « La boulimie, provoque d’abord des vertiges, puis l’alourdissement des membres et des épaules au point que l’on délaisse le travail pour Dieu puisque l’on succombe à la paresse. De là naissent la négligence et l’obscurcissement de la raison qui peu à peu recouvrent l’âme d’un épais brouillard. Puis c’est au tour du découragement: toutes sortes de fantasmes, nés de désirs impurs, prennent possession de l’être intérieur si bien que la volonté elle-même finit par devenir impure ! ».

Bien entendu, chacun de nous, avec l’aide de son père spirituel, doit pouvoir ajuster les règles du jeûne selon ses propres possibilités. La vraie voie en la matière consiste à discerner la sobriété authentique de l’autosuffisance. Nourrissons-nous de telle manière que cela n’allume pas en nous les feux des désirs et des passions mauvaises qui se cachent dans les excès liés à la surabondance et à la satiété de l’estomac. D’autant que le seul jeûne du corps ne suffit pas pour la purification de l’âme. L’âme aussi doit jeûner en se détournant de l’orgueil, de la soif des richesses et de l’argent, de la colère et de la tristesse, des pensées impures et des vains bavardages qui, pour finir, contaminent et l’âme et l’esprit.

St Cassien le Romain écrit : « Nous ne devons pas nous contenter du seul jeûne du corps. Sans l’étude des choses saintes, sans la garde du cœur contre les mauvaises pensées, il est impossible d’accéder à la vraie pureté ».

Nettoyons donc notre coupe intérieure pour qu’elle reste propre extérieurement aussi et gardons-là extérieurement propre pour ne pas la polluer intérieurement. Le combat du jeûne est un double combat, intérieur et extérieur. Parce que « celui qui en même temps veut rassasier son ventre et vaincre le démon de la fornication ressemble à un homme qui s’emploie à éteindre un grand brasier en y jetant de l’huile. De même que l’huile ravive les flammes, de même le fait de trop manger excite l’embrasement du corps ».

En conclusion :

Je dirai que tout au long de cette méditation je me suis efforcé de vous convaincre que ce qui restera pour chacun d’entre nous, ce sera notre capacité à croire et à aimer ; à croire en Dieu et aussi à l’aimer et avec Lui notre prochain.

Notre âme s’est libérée de l’esclavage des biens de ce monde, en sommes-nous vraiment arrivés là dans notre démarche spirituelle avec la certitude que c’est par la grâce de Dieu et selon sa volonté ? Si oui, alors nous recevons aussi l’assurance que nous entrerons dans le Royaume.

Car c’est là l’important : briser les chaînes qui nous lient à la matière pour ensuite anéantir nos plaisirs mauvais, notre soif de domination, nos peurs, nos jalousies et notre servitude effrénée envers l’argent et tout ce qu’il engendre.

« Ce qui est impossible à l’homme est possible pour Dieu » nous a dit Jésus.

Puissions-nous, dans les mains de Dieu, devenir pour nous et pour le monde entier source et cause non pas de perte mais de vraie joie spirituelle, gage de notre propre salut.

 

D’après P. PASCHOS « I DROSSOS TOU PEUMATOS » Athènes 1986 PP 223 à 286. Traduit du grec par notre rédaction