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TROISIEME HOMELIE SUR ST PAUL
Par St Jean Chrysostome
En cette année St Paul, apôtre des nations.
Grandeur de la charité de saint Paul, elle l’a porté à aimer ses ennemis, à faire du bien à ceux qui ne lui faisaient que du mal, à désirer le salut des Juifs qui le maltraitaient, à s’affliger de leur réprobation, à chercher des raisons pour les excuser ; cette charité qui lui inspirait la plus grande tendresse pour les étrangers comme pour ses compatriotes, un si vif intérêt pour le salut de tous les hommes, qui faisait prendre à son zèle tant de formes diverses, qui lui faisait étendre ses attentions jusque sur les choses temporelles, qui lui faisait prodiguer pour autrui et sa personne et son argent. — Il n’était pas seulement animé de la charité, il était devenu tout charité. — Nous devons tâcher d’imiter le grand apôtre dans une vertu qui est la principale, la première de toutes, qui l’a élevé au comble de la perfection.
Heureux Paul d’avoir montré toute l’ardeur du zèle dont l’homme est capable, et d’avoir pu s’envoler jusqu’aux cieux, s’élever au-dessus des anges, des archanges et des autres dominations ! Quelquefois il nous invite ; par son seul exemple, à devenir les imitateurs de Jésus-Christ : Soyez, dit-il, mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ. (I Cor. II, 1.)
Quelquefois, sans parler de lui-même, il cherche à nous élever jusqu’à Dieu, en nous disant Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme des enfants chéris. (Eph. VI, I.) Ensuite, pour montrer que rien ne contribue tant à cette imitation, que de vivre de manière à être utile aux autres, et de chercher en tout l’avantage de nos frères, il ajouté aussitôt : Marchez dans l’amour et la charité. Après avoir dit : Soyez les imitateurs de Dieu, il parle aussitôt après de la charité, pour faire voir que c’est surtout cette vertu qui nous rapproche de Dieu ; toutes les autres lui sont inférieures, et sont propres à l’homme, telles que les combats que nous livrons à la concupiscence, la guerre que nous faisons à l’intempérance, à l’avarice ou à la colère : aimer nous est commun avec Dieu. C’est ce qui faisait dire à Jésus-Christ : Priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous deveniez semblables à votre Père céleste. (Matth. V, 44.)
Convaincu que la charité est la principale de toutes les vertus, saint Paul s’est appliqué spécialement à la représenter en lui. Aussi, personne n’a plus aimé ses ennemis que cet apôtre, personne n’a plus fait de bien à ceux qui voulaient lui faire du mal, personne n’a tant souffert pour ceux qui. l’avaient persécuté. Il ne regardait pas ce qu’il souffrait, il considérait que ceux qui le faisaient souffrir étaient ses frères : plus ils s’emportaient contre lui, plus il avait compassion de leur fureur. Et comme un père qui verrait son enfant attaqué de frénésie, serait d’autant plus touché de son état, et pleurerait d’autant plus, que, dans la violence de ses transports, ce pauvre enfant le maltraiterait davantage de la langue, des mains et des pieds : ainsi, le grand Apôtre redoublait ses soins pour ceux qui le persécutaient, regardant leur maladie comme d’autant plus grave, que les démons les animaient davantage contre lui. Ecoutez avec quelle douceur, avec quelle tendresse il cherche à justifier des hommes qui l’avaient battu de verges cinq fois, qui l’avaient lapidé, qui l’avaient chargé de chaînes, qui étaient altérés de son sang, qui désiraient chaque jour de le mettre en pièces : Je puis leur rendre ce témoignage, dit-il, qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais ce zèle n’est pas selon la science. (Rom. X, 2.) Et ensuite voulant réprimer les fidèles qui insultaient aux Juifs, il leur dit: Prenez garde de vous élever, et tenez-vous dans la crainte ; car si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, vous devez craindre qu’il ne vous épargne pas vous-mêmes. (Rom. II, 20 et 21.) Comme il voyait que le Seigneur avait prononcé une sentence de condamnation contre les Juifs, il faisait ce qui était en son pouvoir, il gémissait continuellement sur leur sort, il s’affligeait, il réprimait ceux qui insultaient à leur chute, il s’efforçait, autant qu’il était possible, de leur trouver au moins quel que ombre d’excuse. N’ayant pu les persuader, vu leur opiniâtreté et leur endurcissement, il recourait à de continuelles prières, et disait : Il est vrai, mes frères, que je sens dans mon cœur une grande affection pour le salut d’Israël, et que je le demande à Dieu par mes prières. (Rom. X, 1.) Il leur fait concevoir d’heureuses espérances ; et pour qu’ils ne persistent pas jusqu’à la fin, pour qu’ils ne meurent pas dans le désespoir, il leur dit : Les dons et la vocation de Dieu sont immuables ; il ne s’en repent point. (Rom. II, 29.) Tout cela annonce un homme qui était fortement occupé de leur salut, qui le désirait ardemment, comme lorsqu’il dit encore : Il sortira de Sion un libérateur, qui bannira l’impiété de Jacob, (Is. LXIX, 20. — Rom. II, 26.) Dans l’excès de la douleur dont il était pénétré, en voyant leur réprobation, il cherche de toute part un adoucissement à sa peine, et il dit tantôt : Il sortira de Sion un libérateur qui bannira l’impiété de Jacob ; tantôt : Les Juifs n’ont point cru que Dieu voulût vous faire miséricorde, afin qu’un jour ils reçoivent eux-mêmes miséricorde. (Rom. XI, 31.) C’est ce que faisait aussi le prophète Jérémie, lorsque s’efforçant, contre toute raison, de justifier. les Juifs coupables, il disait tantôt : Si nos iniquités s’opposent à notre pardon, pardonnez-nous, Seigneur, à cause de vous (Jér. XIV, 7) ; tantôt : La voie de l’homme ne dépend point de l’homme, l’homme ne marche point et ne conduit point ses pas par lui-même (Jér. X, 23) ; et ailleurs encore: Souvenez-vous que nous ne sommes que poussière (Ps. CII, 14). Car c’est la coutume des saints qui intercèdent pour les pécheurs, quoiqu’ils n’aient rien à dire de, solide, d’imaginer au moins une ombre de justification, et, sans s’exprimer d’une manière exacte et conforme à la vérité du dogme, d’employer des raisons qui les consolent dans la tristesse qu’ils éprouvent en voyant périr leurs frères. Ne cherchons donc pas l’exactitude des idées dans de pareils discours, que nous devons regarder comme l’expression d’une âme affligée, qui s’efforce de justifier des coupables.
Mais, était-ce seulement à l’égard des Juifs, et non à l’égard des étrangers, que saint Paul signalait sa tendresse ? il était d’une douceur sans bornes pour les autres hommes comme pour ceux de sa nation. Ecoutez ce qu’il dit à Timothée : Il ne faut pas qu’un serviteur de Dieu s’amuse à contester ; mais il doit être modéré envers tout le monde, capable d’instruire, patient envers ceux qui ont fait des fautes ; il doit reprendre avec douceur ceux qui résistent à la vérité, dans l’espoir que Dieu pourra leur donner un jour l’esprit de pénitence pour la leur faire connaître, et qu’ainsi ils sortiront des pièges du démon, qui les tient captifs et les assujettit à ses lois. (II Tim. II, 24, 25 et 26.) Voulez-vous savoir comment il traite avec les pécheurs, écoutez ce qu’il dit en écrivant aux Corinthiens : J’appréhende de ne pas vous trouver, à mon arrivée, tels que je coudrais ; et un peu, plus bas : J’appréhende que Dieu ne m’humilie lorsque je serai revenu chez vous, et que je ne sois obligé d’en pleurer plusieurs, qui étant déjà tombés dans les impuretés, les fornications et les dérèglements infâmes, n’en ont point fait pénitence. (II Cor. XII, 20,21.) Il disait en écrivant aux Galates : Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. (Gal. VI, 19.) Ecoutez, au sujet de l’incestueux de Corinthe, comment il s’afflige autant que le coupable, comment il sollicite pour lui les Corinthiens, en leur disant : Donnez-lui des preuves effectives de votre charité et de votre amour. (II Cor. II, 8). Et lorsqu’il le retranchait de la communion des fidèles, il ne le faisait qu’avec une grande abondance de larmes : Je vous ai écrit, dit-il, dans une extrême affliction, dans un serrement de cœur, et avec une grande abondance de larmes, non dans le dessein de vous attrister, mais pour vous faire connaître la charité toute particulière que j’ai pour vous. (II Cor. II, 4.) il dit aux mêmes Corinthiens : J’ai vécu avec les Juifs comme juif, avec ceux qui étaient sous la loi, comme si j’eusse été sous la loi. Je me suis rendu faible avec les faibles, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous. (I Cor. IX, 20, 21 et 22.) Il dit encore ailleurs : Afin que je présente tous les hommes parfaits en Jésus-Christ. (Colos. I, 28.) Voyez-vous une âme qui s’élève au-dessus de toute la terre? il désirait de présenter tous les hommes à Dieu, et il les lui a présentés tous autant qu’il était en lui. Comme s’il eût été le père du monde entier, il s’inquiétait, il s’agitait, il courait, il s’empressait d’introduire tous les hommes dans le royaume céleste, ménageant les uns, exhortant les autres, priant, suppliant, promettant, effrayant les démons, chassant les corrupteurs des âmes, agissant en personne, par lettres, par des discours, par des effets, par ses disciples, par lui-même, relevant ceux qui étaient tombés, affermissant ceux qui étaient debout, guérissant les infirmes, animant les lâches, épouvantant les ennemis de la foi par ses menaces, ou les intimidant de ses regards, se trouvant partout comme un excellent général, défendant la tête, les flancs, l’arrière garde, les bagages, centurion, tribun, soldat, sentinelle, se faisant tout pour le bien de l’armée.
Et ce n’était pas seulement dans les objets spirituels, mais aussi dans les temporels, qu’il montrait ce zèle et ce soin attentif. Ecoutez comme il écrit à tout un peuple pour une seule femme : Je vous recommande notre sœur Phébé, diaconesse de l’église de Cenchrée, afin que vous la receviez au nom du Seigneur, comme on doit recevoir les saints ; et que vous l’assistiez dans toutes les choses où elle pourrait avoir besoin de vous. (Rom. XVI, 1 et 2.) Vous connaissez, écrit-il à ce même peuple, la famille de Stéphanas ; vous savez ce qu’ils ont été et comment ils se sont conduits : ayez pour eux la déférence qui leur est due. (I,Cor. XVI,15.) En effet, c’est l’usage des saints, de ne pas négliger, dans leur amitié, même ces sortes de secours. C’est ainsi que le prophète Elisée n’aidait pas seulement dans les choses spirituelles la femme qui l’avait reçu, mais qu’il s’empressait de lui témoigner sa reconnaissance, même dans les choses temporelles : Avez-vous quelque affaire, lui dit-il, et puis je parler pour vous au roi ou à son ministre de confiance? (IV Rois, IV, 13.) Et pourquoi s’étonner que la charité de saint Paul usât des recommandations par lettres, lorsque faisant venir des personnes, il n’a pas cru indigne de lui de s’occuper des frais de leur voyage, et d’en faire mention dans une lettre : Donnez, écrit-il à Tite, donnez le meilleur ordre que vous pourrez pour le voyage d’Apollon et de Zénas, le jurisconsulte, afin qu’il ne leur manque rien. (Tite, III, 13.) Mais s’il écrivait avec tant d’ardeur pour recommander des personnes qu’il faisait venir, à plus forte raison eût-il tout fait s’il les eût vues en péril. Voyez, lorsqu’il écrit à Philémon, avec quel zèle il s’emploie pour Onésime, combien sa lettre est tournée adroitement et pleine de tendresse. Or, un homme qui n’a pas craint d’écrire une lettre exprès pour un seul esclave, et pour un esclave fugitif qui avait volé son maître, songez quel il (344) devait être à l’égard des autres hommes. La seule chose dont il se faisait une honte, c’était de négliger quelque objet qui eût rapport à leur salut. Voilà pourquoi il mettait tout en œuvre et en usage pour ceux qu’il fallait sauver, et ne ménageait ni ses paroles, ni son argent, ni sa personne ; lui qui s’est livré mille fois à la mort, à plus forte raison aurait-il prodigué l’argent s’il en avait eu. Que dis-je, s’il en avait eu? je puis montrer qu’il n’a pas épargné l’argent, quoiqu’il n’eût rien. Et ne regardez pas ces paroles comme une énigme, mais écoutez-le lui-même qui dit : Je donnerai volontiers tout ce que j’ai, et je me donnerai encore moi-même pour le salut de vos âmes. (II Cor. XII, 15.) Parlant aux Ephésiens, il leur disait : Vous savez que ces mains ont fourni tout ce qui m’était nécessaire, à moi et à ceux qui étaient avec moi. (Act. XX, 34.)
Ce grand homme, embrasé de la charité, la première de toutes les vertus, avait un cœur plus brûlant que la flamme même. Et comme le fer jeté dans le feu devient feu tout entier, de même Paul, enflammé du feu de la charité, était devenu tout charité. Comme s’il eût été le père commun de toute la terre, il imitait, ou plutôt il surpassait tous les pères, quels qu’ils fussent, pour les soins temporels et spirituels : ses paroles, son argent, sa personne, sa vie même, il sacrifiait tout en un mot pour ceux qu’il aimait. Aussi appelait-il la charité, la plénitude de la loi, le lien de la perfection, la mère de tous les biens, le principe et la fin de toutes les vertus. C’est ce qui lui faisait dire : La fin des commandements est la charité, qui naît d’un cœur pur et d’une bonne conscience (I Tim. I, 5) ; et encore : Ces commandements de Dieu : Vous ne commettrez point d’adultère, vous ne tuerez point, et s’il y en a quelque autre semblable, sont compris en abrégé dans cette parole : Vous aimerez le prochain comme vous-même. (Rom. XIII, 9.)
Puis donc que la charité est le principe et la fin de tous les biens, et qu’elle les renferme tous, tâchons d’imiter le grand Apôtre dans une vertu qui l’a élevé au comble de la perfection. Ne me parlez ni des morts qu’il a ressuscités, ni des lépreux qu’il a guéris (Dieu ne vous demandera rien de cela) ; acquérez la charité de Paul, et vous obtiendrez une couronne parfaite. Et qui est-ce qui le dit? le docteur lui-même de la charité, qui la préférait au don des prodiges et des miracles, et à tous les autres. Comme il l’avait beaucoup pratiquée, il en connaissait parfaitement le pouvoir. C’est la charité surtout, je le répète, qui l’a élevé au comble de la perfection, qui l’a rendu digne de Dieu. Aussi disait-il : Désirez les dons les plus excellents ; mais je vais vous montrer une voie plus excellente encore. (I Cor. XII, 31.) C’est de la charité qu’il parle, comme de la voie la meilleure et la plus facile. Marchons-y donc sans cesse dans cette voie, afin que nous puissions voir Paul, ou plutôt le Maître de Paul, et obtenir des couronnes incorruptibles, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.