Avaleht/Orthodoxie/POINTS DE VUE ORTHODOXES SUR L’UNITE DES CHRETIENS
POINTS DE VUE ORTHODOXES SUR L’UNITE DES CHRETIENS
Viimati muudetud: 06.03.2015
Le modèle patristique de l’unité
En 1949, alors que le Congrès d’Amsterdam venait de donner naissance au Conseil œcuménique des Eglises, le P. Georges Florovsky caractérisait ainsi la position du théologien orthodoxe parmi ses collègues professant une foi différente : » Le théologien orthodoxe peut et doit représenter moins l' » Orient » contemporain que l’antiquité œcuménique elle-même. L’antiquité est importante, il va de soi, plus par son caractère intégral, synthétique, que par son ancienneté. L’Orthodoxie exprime dans l’économie de l’œcuménisme le moment patristique » (Georges FLOROVSKY, » Une vue sur l’Assemblée d’Amsterdam « , dans Irénikon, 22 (1949), pp. 10- 11.). Il faut assurément appliquer à des situations inédites et à des besoins nouveaux cette vision intégrale et synthétique que les premières générations chrétiennes avaient du mystère de l’Eglise, mais c’est néanmoins en se fondant sur elle et en s’efforçant de n’en rien altérer que l’Eglise trouvera aujourd’hui les voies d’une fidélité vivante.
Dans les perspectives de l’Eglise ancienne, le mystère du salut apparaît fondamentalement comme une œuvre de réunification. Un texte d’inspiration basilienne dira : » En cela se résume toute l’économie du Sauveur : rassembler la nature humaine en elle-même et avec lui, et faire cesser sa division pernicieuse pour restaurer l’union primitive » (Pseudo Basile, Constitutions monastiques, 18 ; PG 31, 1385 A). Accomplie une fois pour toutes par la mort et la résurrection du Seigneur, cette œuvre du salut atteindra effectivement chaque personne humaine, à travers le temps et l’espace, par la célébration eucharistique. Puisque chaque chrétien, mort au péché et ressuscité avec le Christ pour une vie nouvelle dans le baptême, est mystiquement identifié au Corps glorieux du Christ par l’énergie de l’Esprit-Saint dont il est pénétré lorsqu’il a participé au Corps eucharistique, on doit en conclure que tous les chrétiens deviennent, par cette participation, » concorporels » [(ayant ou : formant) un même corps L’expression vient de Eph. 3, 6, et a été souvent reprise par les Pères depuis saint Athanase.
La doctrine des Pères grecs sur l’Eglise-Corps du Christ semble correspondre assez exactement à celle de saint Paul, telle que l’interprète l’exégèse récente : c’est le corps réel personnel glorifié du Christ « qui est le centre et l’origine de l’unité du monde chrétien ; c’est parce que l’union mystique nous identifie tous à ce même corps que nous pouvons être un entre nous » (L. CERFAUX, La théologie de l’Eglise suivant saint Paul, Paris, 1965, p. 236)].
Le » charbon ardent » du Corps divin, lorsqu’il touche l’homme, l’arrache à ses limitations individuelles, et, paradoxalement, le fait accéder à la plénitude de la vie personnelle en l’amenant à renoncer à l’exaltation de son individualité, dans une communion fraternelle qui est à l’image de la Trinité sainte. Ce fondement eucharistique de l’ecclésiologie a été admirablement exposé par saint Cyrille d’Alexandrie (+444) dans ce passage de son Commentaire sur l’Evangile de Jean : » Pour que nous tendions vers l’unité avec Dieu et entre nous, et que nous soyons mêlés ensemble, bien que nous formions tous des individus distincts quant aux âmes et aux corps, le Fils unique a disposé un moyen qu’il découvrit par sa propre sagesse et par le conseil du Père.
En effet, en sanctifiant les croyants en soi dans un seul Corps, le sien, par la communion mystique, il les a rendus concorporels avec lui et entre eux. Qui en effet séparera et écartera de cette union physique ceux qui sont attachés au Christ jusqu’à être un avec lui par ce saint Corps unique? Car si tous, nous participons à un pain unique, nous formons un Corps unique. Le Christ en effet ne peut pas être divisé.
C’est pourquoi l’Eglise est elle aussi appelée le Corps du Christ, et nous ses membres, selon la pensée de Paul (cf. 1Cor. 12, 27)… L’Esprit est un et indivisé, lui qui rassemble par lui-même les esprits de chacun, malgré leur distinction selon l’existence individuelle, et il les fait apparaître tous comme ne formant qu’un seul être en lui-même… Aussi Paul déclare-t-il : » Supportez-vous les uns les autres avec charité, appliquez-vous à conserver l’unité que donne l’Esprit par ce lien qu’est la paix. Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, agit par tous et est en tous (Ephès. 4, 2-6) » (Saint CYRILLE D’ALEXANDRIE. In Joan., 11, 11 : PG 74, 560 A – 561 B). Dans cette perspective, l’Eglise, c’est d’abord l’Eglise locale, c’est-à-dire le groupe de chrétiens qui se rassemblent en un même lieu autour de leur évêque légitime pour célébrer l’Eucharistie.
Chaque Eglise locale n’est pas une partie de l’Eglise universelle ; chacune réalise la totalité du mystère de l’Eglise et s’identifie avec l’Eglise universelle, qu’elle rend présente dans sa plénitude en un point donné de l’espace, dès lors qu’elle reste intégralement fidèle dans sa foi au dépôt transmis par les apôtres (Cette conception de l’Eglise a été remise en valeur en particulier par le P. N. Afanasieff ; mais selon celui-ci, toute Eglise locale qui célèbre l’Eucharistie est de ce fait identique à l’Eglise universelle et peut être en communion sacramentelle avec les autres Eglises locales, même si des divergences dogmatiques les séparent ; cf. N. AFANASIEFF, » Una Sancta « , dans Irénikon, 36 (1963), p. 473.
Ceci ne semble pas conforme aux données de l’histoire, et d’autres théologiens orthodoxes ont rectifié la thèse d’Afanasieff en précisant qu’une Eglise locale n’est vraiment l’Eglise de Dieu et ne peut être en communion avec les autres Eglises que si elle professe une foi exactement conforme à la leur. Cf. Métropolite MAXIME DE SARDES, Le Patriarcat œcuménique dans l’Eglise Orthodoxe, Paris 1975, pp. 27-51). Ceci explique que les notions d' » intercommunion » et d' » hospitalité eucharistique » aient été inconnues de l’Eglise ancienne, qui n’aurait pu leur donner aucun sens. Elle ne connaissait que la communion, ou son refus.
Dans la pensée des chrétiens de cette époque, si un membre d’une Eglise locale participait à l’Eucharistie d’une autre Eglise locale, par exemple à l’occasion d’un voyage, il attestait par là qu’il reconnaissait cette Eglise comme identique à la sienne et à l’Eglise universelle. Des divergences d’opinion, d’usages et de traditions pouvaient bien exister entre ces Eglises, sur des points où un accord général ne s’était pas manifesté et que l’on considérait comme secondaires : elles n’avaient plus aucune importance, et ne faisaient que » confirmer l’accord de la foi » selon l’expression de saint Irénée de Lyon (Saint IRÉNÉE DE LYON, dans EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 24,13 ; SC 41, p. 70). Aucune déficience grave ne peut affecter objectivement une Eglise par ailleurs pleinement fidèle à la Tradition apostolique.
C’est en se référant à un point de ce genre – qu’il estimait personnellement important, mais étranger à la foi elle-même (la non-validité du baptême des hérétiques) – que saint Cyprien de Carthage (+ 258) déclarait : » Ne jugeons personne ou n’écartons personne du droit à la communion pour divergence de sentiment » (saint CYPRIEN DE CARTHAGE, Sent. Episcop. cité dans Saint AUGUSTIN, De Baptismo,VI, 7, 10 ; coll. Bibl. August., 29, pp. 416-418).
Certes, il a existé, à chaque époque de l’histoire de l’Eglise, des groupes rigoristes qui ont rompu la communion avec les autres Eglises pour des questions secondaires. Mais, comme le montre l’historien Socrate (+ vers 440), à propos du schisme novatien, de tels hommes se mettent ordinairement aussitôt à se diviser entre eux et à former sans fin de nouveaux conventicules, manifestant bien que l’esprit de parti l’a emporté chez eux sur l’amour de l’unité de l’Eglise (SOCRATE, Hist. Eccl, 5, 22 ; PG 67, 645).
On voit combien il importait, quand des divergences apparaissaient entre Eglises, d’en peser exactement la nature. S’agissait-il de questions de minime importance ou de traditions différentes, mais authentiques ? Le maintien ou le rétablissement de la communion s’imposait, sans qu’aucune des deux parties puisse prétendre contraindre l’autre à se singer à son sentiment sous menace de rupture de communion. S’agissait-il par contre de questions touchant à la substance de la foi et de la tradition apostolique ?
Alors, tant que les divergences subsistaient, la séparation demeurait la plus douloureuse, mais aussi la plus impérieuse des exigences non seulement de la vérité, mais aussi de l’amour véritable de Dieu et du prochain. Et pour les Pères, le contenu de la foi était indivisible : il n’aurait pu être question d’y distinguer des » articles fondamentaux « , » kérygmatiques « , et des articles de moindre importance : » De même que, dans les monnaies royales, si vous en altérez quelque peu l’empreinte, vous faussez la pièce tout entière, de même, celui qui laisse entamer sa foi dans la plus petite partie l’ébranle tout entière, et il ira toujours en déclinant.
Où sont ceux qui nous accusent d’aimer les querelles à cause de nos discussions avec les hérétiques ?
Où sont ceux qui n’admettent aucune différence réelle entre eux et nous et prétendent que tout est une question d’ambition personnelle ? Qu’ils écoutent Paul proclamant que l’Evangile est bouleversé par une innovation, même petite (cf. Gal. 1, 7) » (Saint JEAN CHRYSOSTOME, Sur l’Epître aux Galates, 1, 6). Selon cette conception, qui demeure celle de l’Eglise orthodoxe, l’Eglise universelle est donc constituée par l’ensemble des Eglises locales en communion entre elles. Elle est, nous disent les Pères, l’unique arche de salut donnée aux hommes par Dieu pour leur permettre d’échapper à la condamnation ; unique épouse du Christ, elle est la mère spirituelle qui seule peut les enfanter par le baptême à la vie nouvelle, en faire des fils adoptifs de Dieu ; Corps du Christ, elle est le seul lieu où les hommes soient véritablement unis à Dieu et entre eux par l’action sanctifiante de l’Esprit. Est-ce à dire qu’aucun homme ne peut être sauvé et sanctifié en dehors d’une appartenance formelle à l’Eglise visible ?
Certaines allusions montrent que les Pères reconnaissent que le Saint-Esprit est libre de ses dons et peut les communiquer sans passer par les voies normales du salut, là où il trouve des cœurs bien disposés : » Beaucoup de ceux qui nous sont extérieurs nous appartiennent, eux dont les mœurs devancent la foi et à qui ne manque que le nom, alors qu’ils possèdent la réalité elle-même « , déclare saint Grégoire le Théologien (+ 390)(Saint Grégoire le théologien, Or 18, 6 ; PG 35, 992 BC.), qui n’hésite pas à ranger parmi eux son propre père ; et de sa sœur, il dit : » Toute sa vie était purification et perfection… J’ose le dire, le baptême ne lui apporta pas la grâce, mais la consécration » (Id, Or. 8, 20 ; PG 35, 812 C). Mais de cette appartenance invisible à l’Eglise qui, elle, est visible, les Pères n’ont pas fait la théorie, faute d’indications explicites dans les sources de la Révélation.
La communion entre les Eglises locales est manifestée, sur le plan sacramentel, par la consécration collégiale des évêques, et, lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes de foi et de discipline, par les conciles d’évêques. Ces conciles peuvent être régionaux ou universels. Un concile authentique est une assemblée où les évêques, fidèles à l’Esprit Saint, proclament avec autorité la vraie foi de l’Eglise, le seul signe de cette authenticité étant, du point de vue orthodoxe, la réception subséquente de ce concile par l’ensemble de l’Eglise (Sur la conception orthodoxe de l’autorité dans l’Eglise, cf. Mgr Kallistos WARE, » L’exercice de l’autorité dans l’Eglise Orthodoxe « , in Irénikon, 54 (1981),pp.451-471 et 55 (1982), pp.25-34).
À l’échelon régional ou au niveau de l’Eglise universelle également, certains sièges épiscopaux ont été investis d’une primauté, au cours de l’histoire de l’Eglise. Cette structuration de l’Eglise est une réalité trop universelle dans le temps et l’espace pour qu’elle puisse être considérée comme accidentelle et d’ordre purement humain. On doit y reconnaître un effet de la conduite du Saint Esprit sur l’Eglise, et donc un élément de la Tradition. Mais l’idée de primauté, telle qu’elle a été reçue dans l’ensemble de l’Eglise, n’a jamais impliqué qu’une primauté entre égaux, ses titulaires ne pouvant exercer d’autorité en dehors de leur propre diocèse que dans la mesure où elle leur a été accordée par les autres évêques, et toujours dans une inter dépendance réciproque. Assez tôt, les papes de Rome ont revendiqué une juridiction de droit divin d’une qualité ecclésiologique toute particulière sur l’Eglise universelle, mais celle-ci ne leur a été reconnue progressivement que dans la sphère assez limitée où s’exerçait leur autorité directe, – le patriarcat romain. Or, jusqu’à la rupture du 11ème siècle celui-ci avait en face de lui quatre autres patriarcats, où l’on avait une conception différente des choses.
L’Eglise orthodoxe et le mouvement œcuménique
L’ecclésiologie orthodoxe est demeurée pour l’essentiel, malgré des distorsions dues aux circonstances historiques et aux péchés des hommes, celle de l’Eglise ancienne, avec laquelle l’Eglise orthodoxe d’aujourd’hui se sent en parfaite continuité, sans rupture aucune. Elle a conscience d’être purement et simplement, l’Eglise de Dieu. Elle ne peut considérer les autres confessions chrétiennes que comme des membres détachés de l’unité ecclésiale, pleinement conservée en elle. Sa tradition a pour contenu normatif ce que tous les chrétiens, avant l’époque des séparations, ont considéré ensemble comme faisant partie du dépôt apostolique, qu’il s’agisse de la foi elle-même ou de la vie ecclésiale.
Du point de vue orthodoxe, l’unité entre tous les groupes chrétiens séparés ne peut se réaliser que par le retour à la Tradition commune et universelle de l’Eglise : ce qui a été reçu comme dogme de foi ou vécu comme institutions communes » partout, toujours et par tous » durant le millénaire qui précéda les séparations, sans rien y ajouter ni rien en retrancher (Cf. saint Vincent de Lérins, Commonitorium, 2 : » Dans l’Eglise catholique, il faut veiller avec le plus grand soin à tenir pour vrai ce qui a été cru partout, toujours et par tous. « . Adhérant à la plénitude de la Tradition, chacune de ces communautés se trouverait ipso facto dans l’unité de l’Eglise universelle.
Selon cette ecclésiologie patristique et orthodoxe, l’unité visible de l’Eglise est donc donnée par Dieu, et demeurera identique à elle-même jusqu’à la Parousie. Si l’on excepte les milieux œcuméniques catholiques, l’ecclésiologie d’origine protestante qui domine dans le mouvement œcuménique est d’une inspiration fort différente. Sa conviction fondamentale est que l’unité visible de l’Eglise n’est pas donnée, mais à espérer et à construire par la docilité de tous à l’action de l’Esprit Saint. Aucune Eglise empirique ne peut s’identifier à l’Eglise de Dieu. Celle-ci possède une unité réelle, mais invisible, à travers les divisions actuelles.
Le but du mouvement œcuménique est de la manifester progressivement par une unité visible, qui comportera une foi commune dans les vérités jugées fondamentales, une intercommunion sacramentelle et une reconnaissance des ministères, les différences institutionnelles et dogmatiques pouvant demeurer considérables entre les diverses Eglises.
Il est évident qu’une telle conception ne peut apparaître, aux yeux des orthodoxes, que comme une pan-hérésie, et il ne saurait être question pour eux d’y faire de quelconques concessions. Le Conseil Œcuménique des Eglises ayant eu pour artisans des hommes qui, malgré leur bonne volonté, ne pouvaient faire abstraction des présupposés doctrinaux qui étaient les leurs, il était inévitable que les délégués orthodoxes s’y soient sentis le plus souvent en porte-à-faux. Leur situation s’était trouvée un peu clarifiée après la session du Comité central du C.O.E. à Toronto en 1950 ; il y avait été précisé en effet que » le fait d’appartenir au Conseil n’implique pas que chaque Eglise doive considérer les autres comme des Eglises dans le vrai et plein sens du terme « . Mais la structure du C.O.E. contraint inévitablement les Eglises orthodoxes à y figurer comme des » confessions » ou des » dénominations » parmi les autres.
Ce n’est qu’en affirmant très nettement la conception qu’elles ont de leur identité et leurs convictions, qu’elles peuvent éviter de rester dans l’équivoque et d’induire leurs partenaires en erreur. Dès la fondation du C.O.E., le théologien Georges Florovsky, dans un texte déjà cité plus haut, justifiait cependant la présence d’orthodoxes au C.O.E., en définissant la seule signification acceptable de leur participation : » Je considère pareille participation non seulement comme permise et possible pour les orthodoxes, mais encore comme un devoir direct découlant de l’essence même de la conscience orthodoxe et de l’obligation qui incombe à la véritable Eglise de témoigner sans relâche partout dans les synagogues, devant les rois et les princes.
Comment croira-t-on, à moins d’avoir entendu ? Et comment entendra-t-on sans prédication? Cette sentence apostolique est bien à sa place ici. Je vois la participation orthodoxe au Mouvement œcuménique dans la ligne de l’action missionnaire.
L’Eglise orthodoxe est spécialement appelée à une part dans l’échange œcuménique d’idées précisément parce qu’elle se sait la gardienne de la foi apostolique de la Tradition dans leur intégrité et leur plénitude, et être dans ce sens la véritable Eglise, parce qu’elle a conscience de posséder le trésor de la grâce divine par la continuité du ministère et la succession apostolique ; parce qu’enfin elle prétend ainsi à une place extraordinaire dans la chrétienté divisée.
L’Orthodoxie est la vérité universelle, la vérité pour le monde entier, pour tous les temps et tous les peuples. Voilà les raisons pour lesquelles l’Eglise orthodoxe est appelée et obligée de témoigner de la vérité du Christ toujours et partout, devant le monde entier » (Georges FLOROVSKY, op. cit, pp. 9- 10). En 1976, le Saint Synode de l’Eglise Orthodoxe en Amérique publiait une très remarquable lettre encyclique sur l’unité des chrétiens et l’œcuménisme (texte français dans » Le Messager Orthodoxe « , n° 78 (1978), pp. 36-55 ; un excellent commentaire en a été donné par Dom Emmanuel LANNE dans Irénikon, 46 (1973), pp. 319-335).
Elle a pour objet de « formuler à nouveau la position qui a toujours été celle de l’Eglise Orthodoxe, position que malheureusement même quelques-uns de nos frères orthodoxes ont ignorée ou oubliée « . Le synode déclare : » Très chers et bien aimés frères et sœurs, il est de notre devoir comme évêques de l’Eglise et gardiens de la foi apostolique, de confesser que l’Eglise orthodoxe est l’unique Eglise du Christ… Cette conception fondamentale de l’Eglise orthodoxe… a toujours servi de base à la participation orthodoxe dans le mouvement œcuménique. »
L’encyclique met ensuite en garde contre trois dangers qui menacent le mouvement œcuménique et sont générateurs de crise : le relativisme, qui rejette l’idée même de l’unicité de l’Eglise et de la valeur absolue de sa Tradition ; le sécularisme, selon lequel l’unité à réaliser consisterait dans la construction d’un monde meilleur par l’action politique, sociale et économique ; les faux procédés en matière d’union. Sur ce sujet, le texte dit : » Nous rejetons catégoriquement l’usage de la communion eucharistique et de l’intercommunion sacramentelle envisagée comme un moyen pour achever l’unité chrétienne. Selon la foi orthodoxe, les sacrements et la vie liturgique de l’Eglise, plus spécifiquement la sainte Eucharistie, ne peuvent être séparés de l’être même de l’Eglise, que leur existence a pour but de manifester. Les sacrements ne sont pas des symboles de dévotion psychologique.
Ils sont des manifestations de l’essence de l’Eglise comme royaume de Dieu sur terre. En dehors de l’unité de foi dans l’Eglise unique du Christ qui est indivisible, il ne peut y avoir de communion sacramentelle ni de concélébration liturgique. » Et il ajoute : » Une célébration liturgique officielle qui implique la participation active de membres du clergé et de laïcs de différentes confessions est contraire aux canons de l’Eglise orthodoxe. De telles célébrations liturgiques sont seulement susceptibles d’être génératrices de confusion, sources de scandales, et d’aider à projeter une fausse impression de la foi chrétienne et de la nature de l’unité que Dieu a données aux hommes dans son Eglise. Suivant la foi orthodoxe, une telle célébration liturgique est aussi une fausse présentation des hommes devant l’autel céleste de Dieu. »
A l’occasion du 25ème anniversaire du C.O.E., le Patriarcat Œcuménique et le Patriarcat de Moscou adressaient au Comité central du Conseil des messages où ils le mettaient également en garde contre l’horizontalisme et le sécularisme qui le menacent (texte dans Doc. Cath., 55 (1973), pp. 819-825 ; commentaire dans Irénikon, 46 (1973), pp. 475-482). Il est évidemment difficile d’apprécier l’influence que le témoignage orthodoxe a pu déjà exercer au sein du C.O.E. Un texte comme le document de Lima (1982) sur le Baptême, l’Eucharistie et le Ministère témoigne d’une prise de conscience nouvelle de données importantes de la tradition apostolique ; la participation orthodoxe n’y est probablement pas étrangère. Certains développements qui figurent dans ce texte sont d’un grand intérêt, et s’il venait à faire l’objet d’une réception assez générale parmi les confessions auxquelles il s’adresse, cela marquerait un immense progrès. Pourtant, il faut reconnaître que l’Eglise orthodoxe ne peut reconnaître dans un tel document qu’une expression partielle et limitée de la Tradition de l’Eglise telle qu’elle la vit elle-même, et il lui serait impossible d’accepter sans s’écarter de cette Tradition certaines recommandations qui accompagnent le texte.
D’autre part, la nécessité de témoigner de la Tradition de l’Eglise devrait inciter les orthodoxes à y être eux-mêmes plus intégralement fidèles. Même si l’essentiel reste sauf, la Tradition authentique est chez eux occultée ou déformée sur bien des points.
Que l’on songe, pour ne citer qu’un exemple, aux dommages que les attitudes nationalistes ou l’esprit de chapelle ont causés dans la Diaspora. Mais ces distorsions sont souvent la conséquence de situations de fait et de circonstances historiques (par exemple la révolution russe, ou les siècles d’occupation turque en Grèce et dans les Balkans), et il faut beaucoup de prudence et de patience pour y porter remède. On doit avoir, avant toute autre chose, le souci de préserver l’unité orthodoxe, et ne pas renouveler des initiatives comme la malencontreuse réforme du calendrier : toute réforme, tout changement, même théoriquement justifié, qui ne pourrait pas être reçu d’une façon quasi unanime par le peuple orthodoxe, ne serait pas inspiré par l’Esprit de Dieu.
Le Patriarcat Œcuménique est actuellement très sensible à cet aspect des choses.
Le dialogue avec l’Eglise catholique romaine
Le dialogue que l’Eglise orthodoxe entretient avec l’Eglise catholique romaine a un caractère très différent de celui qu’elle peut avoir avec les confessions issues de la Réforme. En effet, elles professent l’une et l’autre que l’Eglise du Christ est unique, et que cette unité est visible et déjà réalisée. Sur la plus grande partie du dogme chrétien, leurs affirmations convergent, même si elles les présentent sous un éclairage différent, qui tient pour une part à l’influence diffuse, sur l’ensemble de la doctrine, des points sur lesquels elles divergent. Cet accord des deux Eglises, que le dialogue bilatéral qu’elles ont entrepris veut souligner d’abord, devrait avoir un poids immense au sein du mouvement œcuménique. Elles représentent actuellement, du point de vue numérique, la majorité des chrétiens dans le monde, et surtout, elles témoignent ainsi de ce que fut la foi unanime des chrétiens avant les séparations.
Malheureusement, la force de ce témoignage est en grande partie occultée par une mauvaise répartition au sein du C.O.E. (dont l’Eglise catholique romaine n’est pas membre, pour des motifs très compréhensibles). Mais ces deux Eglises ne sont plus en communion depuis plus de neuf cents ans, et chacune a, pour sa part, conscience d’être l’unique Eglise de Dieu. Le rapprochement commencé avec les rencontres du Pape Paul VI et du Patriarche Athénagoras en 1967, et qui, depuis 1979, a pris la forme d’un dialogue théologique, a pour objet de surmonter cette contradiction et de permettre le rétablissement de la communion sacramentelle entre les deux Eglises, en les amenant progressivement à se reconnaître pleinement comme Eglises-sœurs, c’est-à-dire comme deux ensembles d’Eglises locales ayant leurs traditions propres, mais formant ensemble l’unique Eglise de Dieu. Ce projet œcuménique a été ainsi formulé par le Cardinal Willebrands : » Nos Eglises, ayant reçu la même foi, ont développé par des voies et des manières différentes ce patrimoine chrétien, et » l’héritage transmis par les apôtres a été reçu par des manières diverses et, depuis les origines mêmes de l’Eglise, il a été expliqué de façon différente, selon la diversité du génie et les conditions d’existence » (cf. Décret Unitatis Redintegratio de Vatican Il).
Ces évolutions différentes se rencontrent dans tous les domaines de la vie de l’Eglise, la tradition liturgique et spirituelle, la discipline, la manière d’exprimer, de présenter et d’organiser la réflexion sur les mystères de la foi… C’est dans ces perspectives que doit se situer notre travail en vue de la communion parfaite dans la foi, dans le respect de la pluralité et de la diversité nécessaires pour exprimer la richesse infinie de Dieu et de ses dons » (Cardinal WILLEBRANDS, » Allocution prononcée à Patmos le 29 mai 1980 « , dans Doc. Cath., 62 (1980), p. 705). L’application de ce programme se heurte cependant à des difficultés concrètes qui ne sont pas négligeables. Le Patriarche Dimitrios n’a pas hésité à évoquer de » sérieux problèmes théologiques qui concernent des chapitres essentiels de la foi chrétienne » (Patriarche DIMITRIOS 1er « Allocution du 30 novembre 1979″, dans S. 0. P. n° 43 (décembre 1979), Supplément Documentation : » La rencontre de Jean-Paul II et de Dimitrios 1er « , p. 23) et s’opposent encore au rétablissement de la pleine communion entre les deux Eglises.
Quelles sont ces difficultés, et par quelles voies espère-t-on les surmonter ? Les difficultés principales se situent au niveau de l’ecclésiologie et de la doctrine trinitaire. Sur ces deux points majeurs, l’Eglise latine a connu des développements doctrinaux que les autres Eglises n’ont jamais acceptés, et qu’elles considèrent comme des altérations de la Tradition apostolique.
L’ecclésiologie romaine considère la primauté du pape de Rome comme le principe dernier de l’unité visible de l’Eglise. S’exprimant librement devant un auditoire de cardinaux, Paul VI n’hésitait pas à dire, dans son discours au Consistoire du 24 mai 1976 : » Etre hors de la communion avec le successeur de Pierre, c’est se mettre hors de l’Eglise « . Cette conception est le fruit d’une évolution qui s’est dessinée à Rome au moins dès le 4ème siècle mais qui, on l’a dit plus haut, n’a jamais fait l’objet d’une réception véritable dans les Eglises non-latines. Cette évolution de l’ecclésiologie romaine a certainement contribué dans une large mesure à rendre étrangères les unes aux autres l’Eglise latine, d’une part, et les autres Eglises, d’autre part. Ainsi s’est créé le climat qui rendait inéluctable la rupture du 11ème siècle. Au 19ème siècle, le Concile Vatican I a scellé ce développement doctrinal en définissant comme dogme de foi la primauté de juridiction de droit divin du pape sur l’Eglise universelle, et son infaillibilité personnelle en matière de définitions dogmatiques.
L’Eglise orthodoxe reconnaîtrait sans difficulté au pape de Rome, l’union une fois rétablie, la fonction de » premier entre les égaux » (primus inter pares) qui était universellement admise dans l’Eglise ancienne. Mais elle rejette le dogme de Vatican I, qui a une tout autre signification. Le Patriarche Dimitrios, peu après son élection, devait déclarer : » En qualité de Patriarche œcuménique, nous désirons souligner qu’à l’avenir toutes les rencontres pancatholiques et panorthodoxes, tous les dialogues et toutes les consultations se tiendront sur les bases fondamentales suivantes 1) La plus haute autorité de l’Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique réside dans le Concile Œcuménique de l’Eglise tout entière. 2) Personne parmi nous, les évêques de l’Eglise catholique, n’a reçu d’autorité, de privilège ou de droit accordé canoniquement, sur quelque juridiction ecclésiastique que ce soit, sans l’intime volonté et le consentement canonique de l’autre » (texte dans Irénikon, 47 (1974), p. 70). La doctrine catholique romaine sur la Sainte-Trinité est dans une large mesure tributaire de l’enseignement de saint Augustin (+ 430) qui, durant des siècles, devait être l’autorité patristique principale dans l’Eglise latine. Or Augustin, penseur de génie, s’était montré assez novateur en ce domaine, au point qu’on a pu écrire que » l’historien du dogme qui, venant des écrits des Pères du 4ème siècle, débouche sur l’œuvre d’Augustin » constate que » la ligne de rupture dans le développement synthétique de la doctrine trinitaire ne se trouve pas entre Augustin et nous, mais entre lui et ses prédécesseurs immédiats » (E. HENDRIKX, » Introduction à saint Augustin « , dans Œuvres de saint Augustin : La Trinité, 1, Paris, 1955, p. 22).
Plus réticente que l’Eglise catholique romaine à l’égard de l’idée de développement dogmatique, l’Eglise orthodoxe n’en rejette cependant pas la possibilité. Mais le critère de l’authenticité d’un développement de ce genre ne peut être que sa réception par l’Eglise universelle ; jamais l’opinion d’un docteur particulier ou la tradition d’une Eglise particulière ne peut acquérir une telle autorité. Or, ici encore, nous sommes en présence d’une évolution propre à l’Occident latin qui aboutira, au 11ème siècle, à l’introduction à Rome du » Filioque » dans le symbole de Nicée-Constantinople, et, un peu plus tard, aux conciles médiévaux qui définiront que le Saint Esprit procède du Père et du Fils comme d’un seul principe, accompagnant cette définition de l’anathème suivant (qui n’a jamais été levé) : » La Sainte Eglise romaine condamne, réprouve et anathématise quiconque a un sentiment opposé ou contraire, et elle le déclare étranger au Corps du Christ, qui est l’Eglise » (Concile de Florence, Denz.-Schönm, 1331-1332). Comme la primauté romaine, le » Filioque » est susceptible d’une interprétation orthodoxe, comme en témoigne saint Maxime le Confesseur (+ 666). C’est ce qui a permis – à la faveur d’une certaine équivoque – le maintien de la communion pendant plusieurs siècles, malgré la généralisation de cette doctrine dans l’Eglise latine. Mais ce n’est pas selon cette interprétation que le » Filioque » a été défini comme dogme de foi par l’Eglise romaine : au contraire, les conciles médiévaux le formulent sans équivoque dans un sens qui a toujours été jugé inacceptable par les représentants de l’Eglise orthodoxe.
Comme le Patriarche Photius, les Patriarches de Constantinople, d’Antioche et de Jérusalem, dans leur Encyclique collective de 1848, qualifient cette doctrine d' » hérésie » ; et, très récemment, le Patriarche Dimitrios 1er dans son Encyclique du 12 mars 1981, déclarait que le » Filioque » est » tout à fait inacceptable et doit être rejeté » (Dans SOP, n° 59 (juin-juillet 1981), p. 15). On mesure toute la difficulté : sur au moins deux points importants de doctrine, l’Eglise orthodoxe rejette purement et simplement, comme contraires à la Tradition, des doctrines que l’Eglise catholique romaine a définies solennellement comme appartenant au dépôt de la foi. Est-il possible de sortir de la contradiction ? Une première tentative, faite par certains oecuménistes catholiques, consisterait à ne plus tenir les conciles occidentaux postérieurs à la séparation pour de vrais conciles œcuméniques, et à ne considérer leurs décisions, même dogmatiques, que comme des traditions propres à l’Eglise latine et n’ayant pas de caractère obligatoire pour les autres Eglises. La communion plénière pourrait ainsi être rétablie sans que les Orthodoxes soient obligés d’admettre le dogme de Vatican I, le » Filioque » et les autres traditions proprement latines. Assurément, dans une telle hypothèse, l’union serait grandement facilitée pour les Orthodoxes. Mais cette proposition vient d’être vigoureusement repoussée par le cardinal Joseph Ratzinger, qui la juge inacceptable du point de vue catholique. Elle impliquerait en effet que l’Eglise romaine renonce à sa conviction d’avoir été, depuis le 11ème siècle, l’Eglise universelle, et reconnaisse pratiquement avoir erré en proclamant vérité de foi ce qui n’était en réalité qu’une tradition particulière : » Ce qui se présentait comme vérité devrait être qualifié de simple coutume. La noble prétention à la vérité serait disqualifiée comme un abus » (Cf. Irénikon, 56 (1983), p. 236). Selon le P Congar, il ne serait pas nécessaire, en fait, que l’une des parties cesse de considérer comme dogme ce que sa tradition a considéré comme tel ; » dans le climat et sous la grâce d’aujourd’hui « , il semblerait qu' » il est possible de reconnaître l’équivalence réelle et l’homogénéité de visée, donc de sens et d’affirmation, bref, l’homonia, sous des démarches et expressions différentes » (Y CONGAR, « Autonomie et pouvoir central dans l’Eglise « , dans Irénikon, 53 (1980) p.311) – et, en réalité, contradictoires. Mais il est peu probable que ce pluralisme dogmatique, qui relativise dangereusement les affirmations de la foi et que l’on s’étonne un peu de trouver chez un théologien de formation thomiste, puisse être accepté par les deux Eglises. Une autre voie est suggérée par un texte élaboré dans le cadre du dialogue entre catholiques et protestants, mais qui pourrait trouver une application privilégiée dans le dialogue entre catholiques et orthodoxes. Ce document se fonde sur la théorie du développement dogmatique particulièrement en faveur dans l’Eglise catholique : » Les Eglises pour lesquelles le contenu de la foi s’exprime dans une formulation plus ample n’ont pas à considérer a priori les autres Eglises, moins explicites dans leurs traditions doctrinales, comme trahissant de plein gré ou par quelque calcul pervers l’intégralité de l’héritage chrétien. Elles doivent faire confiance à l’implicite et au vécu qu’il permet. Et à leur tour, évidemment, les Eglises sobres dans leur énoncé doctrinal et leur vie sacramentelle ont à se garder de considérer a priori les autres Eglises, plus abondantes en formules de foi et en rites, comme polluant la pureté de la foi par des surajouts adventices ou parasitaires. Elles doivent non nier, mais laisser la question ouverte… Une fois réconciliées, elles croîtront ensemble vers la plénitude de la vérité » ( » Vers une profession de foi commune « , Rapport du groupe mixte de travail catholiques-protestants. Texte rédigé par J.M.R. Tillard et présenté par Pierre Duprey et Lukas Vischer, dans Doc. Cath. 62 (1980), p. 657). On pourrait ainsi soutenir qu’en ne confessant ni le » Filioque « , ni la primauté de droit divin et l’infaillibilité du pape, l’Eglise orthodoxe ne contredit pas les dogmes romains, mais se situe seulement à un stade moins avancé de développement doctrinal. Le cardinal Ratzinger semble favorable à une solution de ce genre : » Pour l’intercommunion avec les Orthodoxes, l’Eglise catholique ne doit pas insister nécessairement sur l’acceptation des dogmes du second millénaire. On présumerait que les Eglises orientales sont demeurées dans la forme de la Tradition du premier millénaire qui, en elle-même, est légitime et, si elle est bien comprise, ne contient pas de contradiction avec les développements ultérieurs. Ces derniers n’ont fait qu’expliciter ce qui était déjà là en principe au temps de l’Eglise indivise. J’ai moi-même pris part à ces tentatives de réflexion » (Cardinal RATZINGER, dans Irénikon, 56 (1983), p. 235). C’est sans doute du côté orthodoxe qu’un tel projet rencontrerait de fortes oppositions. En effet, entrer en communion sacramentelle avec une Eglise qui confesse tel ou tel dogme, n’est-ce pas, en fait, les accepter soi-même, bien qu’une profession explicite n’en soit pas exigée ? Et les Eglises orthodoxes accepteraient-elles d’être traitées en Eglises doctrinalement sous-développées ? Bornons-nous à ces exemples. L’œuvre du rapprochement devra surmonter, on le devine, de redoutables difficultés qui n’apparaissaient peut-être pas à première vue. Mais il est utile de clarifier les situations et de percevoir nettement les problèmes, pourvu qu’on le fasse dans un esprit de charité, sans passion et en dehors de toute polémique, animé seulement de l’amour de la vérité et de l’unité. Devant les difficultés de la tâche, le danger serait de s’évader vers des rêves séduisants ou des solutions de facilité qui les escamotent ; plus dangereuse encore est la tentation de s’y dérober en relativisant la valeur des formules de la foi et l’institution ecclésiale elle-même. Ce sont des biens infiniment précieux : nous ne pouvons connaître Dieu qu’à travers les mots transfigurés, portés par la Tradition, qui nous communiquent ce que le Fils de Dieu a bien voulu nous révéler des secrets du Père, et, de par sa volonté, nous ne pouvons rejoindre le Christ que par l’Eglise et dans l’Eglise qui est son Corps. Enfin, pour citer une dernière fois le cardinal Willebrands, » ce ne sont en premier lieu ni les conférences au sommet, ni les commissions, qui font progresser la cause œcuménique, mais le développement de ce que le décret sur l’œcuménisme a appelé l’âme de tout œcuménisme, c’est-à-dire la conversion du cœur, la sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l’unité des chrétiens » (Cardinal WILLEBRANDS, Allocution du 20 janvier 1975, dans Doc. Cath,, 57 (1975), p. 268). Aucun « pessimisme » n’est de mise en ce qui concerne cette unité, mais il faut être bien conscient de ce qu’elle ne pourra être, avant tout, que l’œuvre de la grâce divine, à qui rien n’est impossible.
Archimandrite Placide Deseille
Publication du Monastère St Antoine-le-Grand, métochion de Simonos-Petra