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Discours sur l’enfantement de la Vierge
Viimati muudetud: 06.03.2015
St Ephrem le Syrien
Discours contre les hérétiques ; par l’exemple de la perle et par d’autres preuves évidentes, il y est démontré que nous devons croire que la sainte Enfantrice de Dieu, en dehors de toute loi de la nature, a conçu Dieu notre Seigneur et l’a mis au monde pour le salut du monde. Seigneur, j’aime et je couvre de mes baisers ton Evangile, parce qu’il nourrit ma faim. J’aspire après ta parole, parce qu’elle étanche ma soif comme une source vive. Je convie à ta table tous ceux qu’il me plaît d’y appeler, et son abondance reste toujours inépuisable. Beaucoup d’autres prennent part avec moi à la nourriture céleste, et pourtant je me trouve dans la solitude.
Je bois avec une foule de convives, et c’est à moi seul que Tu verses ta grâce. « Que Te donnerai-je donc en retour » (Ps 115, 112), si ce n’est mon âme tout entière soumise à tes saints Commandements ? Je le veux, Seigneur, mais je ne le puis. Adam est mon père et il faut que je paie à la nature la dette qu’elle réclame. Je tends vers Toi de toute ma force, et je me fais obstacle à moi-même ; car il y a en moi un mystère que je ne puis expliquer. Mon regard ne laisse échapper chez les autres aucune des faiblesses humaines, et je suis moi-même dans les liens du péché. Je vois mes égarements, je les connais, et en accusant les autres, c’est moi-même que j’accuse. Mais quoi! garderai-je donc le silence afin d’éviter ma condamnation ? Et comment alors prouver mon zèle et mon amour pour Toi ? Je parlerai donc et ne cesserai de parler. Que m’importe ma propre condamnation, pourvu que j’accomplisse mon saint ministère ? Que m’importe la mort elle-même, pourvu que ton Nom soit glorifié ? Je sais que je pourrais échapper à la condamnation en faisant grâce aux vices des pécheurs ; mais je ne cesserai de les poursuivre, afin de faire éclater ton innocence et l’inaltérable pureté de ta Vie.
Que les Grecs connaissent la force et la puissance de mon amour ; que les Juifs comprennent toute l’ardeur de mon dévouement, puisque je me résigne pour Toi à une mort obscure et privée de l’appareil des flammes, du glaive et des autres tortures. Peut-être croiraient-ils à mon dévouement et à mon amour, si, pour les convaincre, je souffrais à cause de Toi une mort réelle, éclatante et environnée de témoins. Mais peut-être, dis-je, que je la souffrirais, et ne le ferais-je pas ; je crains bien que, privé du secours de ta grâce, je ne succombe à la faiblesse de ma nature. Mais, Seigneur, donne-moi l’assurance que Tu soutiendras mes efforts, et je forcerai les Grecs à croire que je puis supporter le martyre. Faites-moi connaître que Tu prendras en pitié mes souffrances, et je vais m’armer pour la lutte. Oui, je suis prêt à me dépouiller de mes vêtements pour suivre les licteurs et les satellites des Grecs. Déjà la trompette appelle aux combats les Grecs impatients ; elle leur crie d’abandonner leurs foyers pour s’élancer contre les Perses ; déjà l’appareil des supplices cesse de menacer l’Occident et se dresse désormais contre nous. Je suis pénétré de crainte, parce que Tu hais les pécheurs ; mais mon âme est inondée de joie, parce que Tu es mort aussi pour eux. Je suis frappé de terreur parce que Tu détestes les hommes esclaves des sens et de la chair ; mais je suis rassuré, parce que Tu connais la faiblesse de notre nature, Créateur, Tu connais ta créature ; souverain juge, Tu sondes tous les replis du cœur de celui que Tu vas condamner ; Dieu fait homme, Tu n’ignores point ce que tu as Toi-même senti. Tu m’avais donné une nature sans tache ; mais Adam, mon père, l’a corrompue et dégradée par mille souillures.
A ces souillures il a mêlé l’illusion de la vanité ; et maintenant je subis, sans y avoir participé, la peine de sa faute. C’est lui qui a mis dans la nature humaine un levain impur, et voici que je suis menacé de naufrage au sein d’une mer orageuse. Aie donc pitié de ma faiblesse, ô Toi qui es mon Créateur, prends en compassion mon infirmité, ô Dieu qui T’es revêtu de l’humanité pour moi. Ne me repousse pas à cause de mes vices et de mes penchants dépravés ; mais plutôt expulse-les de mon cœur, à cause de l’ardeur de ma volonté. Que mes souillures ne T’inspirent point de haine contre moi ; mais considère le zèle de mes œuvres ; et bien que mes coupables pensées aient pu Te détourner de moi, daigne accorder un regard bienveillant à mes larmes et à mon aversion pour la volupté. Je connais le but ; mais aurai-je la force d’y atteindre ? Du moins je fais tout ce qui est en mon pouvoir, et si Tu daignes m’accorder ce qui me manque, Tu vois le fond de mon âme, Tu sais que je suis pauvre et dépouillé par le démon. Mon cœur est faible et chargé des liens de la corruption. Mon esprit est sans force et le péché l’a entraîné à l’erreur. J’ai laissé tes dons se perdre, et voilà pourquoi je ne possède point la parfaite sagesse ; j’ai perdu tes traces, et voilà pourquoi j’ignore où je vais. Je ne possède donc rien ; ou si je possède quelque chose, c’est Toi qui me l’as donné en Te faisant homme. Je suis dans le dénuement le plus complet ; si je deviens riche, c’est un bienfait qui me viendra de Toi et maintenant et toujours. J’implore seulement l’appui de ta grâce, confessant que mon salut sera ton ouvrage, si je suis sauvé. Il est parlé d’un certain riche dans l’écriture ; mais comme c’était un homme sage et plein de la connaissance de Dieu, il se donnait à lui-même le nom de pauvre. Il reconnut que sa richesse n’était que pauvreté en songeant à ta puissance. Et moi, que dirai-je ou que penserai-je de moi-même ? Vous connaissez aussi cet homme, chrétiens ; car l’Evangile vous a proposé une parabole à son sujet, parce que tous les travaux des saints ont pour but le salut de l’homme. C’est ainsi qu’il s’exprime : « Il y avait un homme riche, et cet homme, ayant connaissance d’un trésor caché dans un champ, vendit tous ses biens et acheta ce champ » (Mt 13,44). Un autre fit la même chose pour obtenir une perle d’un grand prix. Il est bon d’apprécier l’apparente diversité de ses deux paraboles et d’analyser la force cachée dans chacune d’elles ; car, au fond, le sens de toutes les deux est le même ; et comme celui de la parabole de la perle ne demande qu’une courte explication, c’est de la perle que nous parlerons en premier lieu. La perle, cet objet d’un si grand prix, nous vient de la mer. Sa valeur est proportionnée à la difficulté qu’on éprouve à se la procurer. Pourtant elle ne sert pas à notre nourriture, mais à notre ornement ; elle ne donne pas non plus le plaisir d’un breuvage agréable, mais un éclat dont on est fier.
Une forte somme d’argent pèse beaucoup ; la perle semble donner de la légèreté à la pesanteur même. Toute petite qu’elle est, son pouvoir est grand. Elle est facile à porter, facile à remettre en place. On la dérobe aisément aux regards ; mais c’est avec peine qu’on la trouve. Il en est de même du royaume des cieux ; il en est de même aussi du Verbe divin qui renferme, de la manière la plus manifeste et dans les plus étroites limites, une foule de mystères. Il ne sert pas d’aliment ; car sa durée n’est pas limitée au temps fini. Ce n’est pas non plus aux pauvres qu’Il peut servir ; ceux-là seuls qui ont amassé des trésors de science et de sagesse qui peuvent en tirer profit. Quiconque est pauvre de vertus ne peut Le posséder ; Il est la propriété exclusive des saints. On ne peut arriver aux sommités qu’en passant par les degrés intermédiaires ; de même dans l’Evangile, divers intervalles séparent ceux qui marchent vers Dieu. Es-tu pauvre ? Le Verbe sera pour toi le pain qui console l’indigence.
Es-tu accablé sous le poids des infirmités ? Il sera pour toi le baume qui rend la force. Pour ceux qui souffrent d’une maladie de foie, Il est le sénevé et le vin réparateurs. Pour les uns, Il est le poisson qui les nourrit ; pour les autres, le pur froment. Pour ceux-ci, la faux tranchante ; pour ceux-là, la hache vengeresse. Il est le pain d’orge pour les hommes grossiers, l’instrument de l’art dans les mains du chirurgien ; pour quelques-uns Il est le fouet qui frappe ; pour d’autres, la verge qui châtie, le fardeau qui les fatigue et qui les courbe. Telles sont les espèces de degrés que présente l’Evangile sous la forme de paraboles. Le Seigneur connaît les riches qui ont acquis des trésors de vertu et les pauvres qui sont en proie à l’indigence de cette même vertu ; Il connaît ceux qui sont faibles et ceux qui marchent d’un pas ferme dans la foi. Il connaît ceux qui sont pleins d’ardeur et ceux qui sont languissants dans la religion et la piété. Il en frappe un grand nombre par le glaive, afin de les arracher aux idoles et d’éloigner du peuple l’impiété. « Il voit dans les lieux les plus secrets » (Mt 6,4). Le feu de ses Regards pénètre partout pour faire éclater au grand jour ce qui se cachait dans l’ombre et pour consumer ce qui s’élevait orgueilleusement contre la science de Dieu. Il cautérise les membres que ronge un ulcère mortel et retranche de la communion de l’église les affections contagieuses. Parmi les malades, Il est le médecin, parmi les athlètes, Il est celui qui distribue les couronnes ; entre les rivaux, Il est l’arbitre ; au milieu des méchants, Il est le vengeur. Les pauvres ont en Lui leur soutien et les veuves leur défenseur. Pour les superbes, c’est un roi ; pour les humbles, c’est un frère.
Les étrangers Le voient venir au-devant d’eux comme un ami ; les orphelins trouvent en Lui un père, et ceux qui Le blasphèment par ignorance, un juge indulgent et facile. Il est tout cela, bien qu’Il soit toujours un, toujours le même. Car Il peut tout ce qu’Il veut et Il se prête aux besoins de chacun. Voilà pourquoi Il se révèle sous la forme de tant de paraboles, voilà pourquoi ses vertus sont si variées ; et pourtant Il est toujours Lui, Il n’a point changé. Semblable à une lyre munie de cordes nombreuses, les modes divers de son action sont toujours d’accord avec l’intérêt de tous. J’ai connu un homme qui était à la fois médecin et artisan, forgeron et architecte, intendant et laboureur, inspecteur et savant, orfèvre et potier, cuisinier et marchand. Il possédait encore une foule d’autres talents ; mais bien qu’il se livrât à tant d’occupations diverses, il ne cessait pas d’être lui-même dans chacune d’elles. Comment donc, à plus forte raison, Dieu ne conserverait-Il pas son immuable nature, malgré la multiplicité des modes de son action et la diversité des formes que revêt sa volonté ? Et qu’on n’aille pas conclure de mes paroles et de l’exemple qui précède que le Verbe aussi n’a revêtu qu’une forme fantastique d’humanité. Autre chose est la nature, autre chose est l’art ; autre chose est la figure ou la forme, et autre chose est la substance. Celui qui est à la fois artisan et laboureur, potier et inspecteur, intendant et fournisseur, celui-là est toujours un, toujours le même sous ses formes diverses.
Il ne vient pas au monde avec telle ou telle professions, il naît ; puis, plus tard, l’étude le rend habile dans les différents arts. Mais la puissance que possède l’homme de donner la vie à l’homme, ce n’est point par l’étude qu’il l’obtient, c’est la nature elle-même qui l’en a doué. L’étude et la méditation n’ont donc pas appris au Fils de Dieu l’art de se montrer aux hommes avec les apparences de l’humanité ; mais Il a revêtu substantiellement l’humanité, afin de constituer une réalité vivante, et Il fut véritablement homme au milieu des hommes. C’est Marcion que j’attaque ici ; ce sont les frivolités mensongères qu’il débite à ses sectaires que je veux détruire. C’est Manès surtout que je veux combattre, Manès dont la doctrine sur le Dieu fait homme est encore plus erronée qu’impie. Je prendrai la perle pour base de ma réfutation. Que les hérétiques nous disent quelle est son origine et quelle est sa formation. Elle m’offre un trésor d’arguments, et au lieu des saintes écritures, c’est elle que j’oppose à nos adversaires ; qu’ils nous disent comment naît la perle ; qu’ils nous prouvent qu’elle n’est qu’une forme sans substance. Je sais ce qu’ils vont dire ; mais je saurai les confondre à mon tour. « Celui, disent-ils, qui est né substantiellement sans le secours de l’union des sexes ne peut être un homme, et si le Christ avait reçu une naissance semblable à celle d’Adam, il n’y aurait en Lui que la nature humaine, et puisqu’Il est sorti du sein d’une vierge, sans rien devoir à l’homme, Il n’a pu revêtir que les apparences de l’humanité. » Je ne vous répondrai point, ô hérétiques, car j’ai quelqu’un qui le fera pour moi. Je garde le silence ; car voici la perle qui va parler à ma place. Perle brillante, révèle donc le mystère de ta naissance, fais connaître ta nature et confonds les hérétiques. Montre-leur ta substance, et détruis leurs vaines et frivoles imaginations. Que les coquillages racontent comment la perle est née, qu’ils disent comment elle a été conçue dans leur sein.
Que les créatures qui habitent au fond des eaux instruisent ces superbes, qui s’imaginent pouvoir pénétrer dans les cieux. Que les êtres privés de raison, que les objets inanimés redressent le jugement de ces ambitieux qui se vantent de pénétrer et de connaître la nature des choses célestes, et que ce qui n’est soumis à aucune loi en impose une à ceux qui prétendent imposer leur loi aux autres ; je ne puis supporter l’audace et l’insolence des hérétiques, quand ils osent demander compte de ses œuvres à la puissance divine et porter un regard curieux et téméraire sur la manière dont s’accomplissent ses divins effets. Ils osent demander compte à Dieu de ses œuvres, bien qu’ils soient eux-mêmes chargés d’une dette d’iniquités, quand leur esprit s’efforce de pénétrer le mystère ineffable de sa conception et de sa naissance. Les accusés prononcent la sentence du juge, dans l’impuissance de répondre pour eux-mêmes. Si vous comprenez ce qui est incompréhensible, vous lui ôtez sa qualité d’incompréhensible, et si votre intelligence atteint une chose divine, ce ne sera plus une chose divine, mais un fait ordinaire et commun. « Si, comme dit l’Apôtre, c’est la pénétration de votre esprit qui va jusqu’à l’intuition de ce Dieu inconnu, cette intuition de votre esprit aura détruit la puissance divine » (Ac 17,23). Je reviens à la comparaison de la formation de la perle et de la naissance du Christ. Je comprends le mode de celle-ci par la similitude qu’elle offre avec celle-là, je ne prétends pas cependant révéler la nature intime du mystère. La perle est une pierre qui doit sa naissance à une substance charnelle, puisqu’elle sort du sein d’un coquillage. Pourquoi donc se refuserait-on de croire que Dieu s’est revêtu de l’humanité dans le sein d’une vierge ? Ce n’est point l’union de deux coquillages qui produit la perle, mais le mélange de la lumière et de l’eau. C’est ainsi que le Christ a été conçu dans les entrailles de Marie, sans le secours d’une union charnelle, et c’est le saint Esprit qui, de la substance de la Vierge, a formé le corps dont Dieu s’est revêtu. La perle ne naît point coquillage et ne revêt pas seulement la forme d’un corps comme si sa substance était spirituelle ; de même le Christ diffère de la divinité ; Il n’est pas tout entier dans la nature humaine, ni confondu sans mélange dans la nature divine, comme s’Il était né avec une forme spirituelle. La perle est engendrée substantiellement, et n’engendre point d’autre pierre de son espèce.
Le Christ aussi n’est autre que le Fils engendré du Père et né de Marie. La perle n’a pas seulement la forme, mais encore la substance ; le Fils de Dieu est né également avec un corps réel, et non avec une forme fantastique. La pierre précieuse qui nous occupe réunit en elle deux natures, et cette union est une preuve de celle qui s’est opérée dans le Christ. Il est à la fois le Verbe-Dieu et l’homme né de Marie, et chacune de ces deux natures n’a point été en Lui incomplète et partielle ; car Il n’était point le fruit équivoque d’une union insolite ; mais Il possédait entière et parfaite chacune de ces deux natures, bien loin de les détruire toutes les deux en les partageant. Ce n’est pas revêtu de la seule nature divine que Dieu s’est montré à la terre, et ce n’est pas non plus revêtu de la seule nature humaine que l’homme est monté au ciel ; mais le Verbe incarné état le résultat complet de deux natures complètes ; Dieu par sa nature divine et homme par sa nature humaine : tel est le Christ, fils de Marie. La divinité n’a rien fait perdre à l’humanité, et la nature humaine n’a point été un fardeau pour la nature divine ; l’union de celle-ci avec le corps ne l’a point dégradée, elle ne lui a point ôté ses attributs primitifs, pour lui en donner d’autres qui lui étaient étrangers.
Elle a gardé complets les attributs qui étaient en elle, et en revêtant l’humanité, le Verbe en a également revêtu tous les caractères. L’union des natures n’a point produit leur confusion ; car ce n’était point l’union d’un corps avec un autre corps, mais de l’homme avec Dieu. Le mélange de l’eau et du vin détruit la nature de ces deux liquides ; mais le mélange de l’or et du vin produit une substance nouvelle. La divinité renferme l’humanité comme une urne d’or renferme la manne ; le Verbe divin à son tour est caché dans l’incarnation comme l’urne dans le coffre. Ce qui était intérieur devient extérieur, et réciproquement. Ainsi se démontre l’unité et la substance du Christ. Sans doute la manne n’est pas une substance née de l’urne, elle lui est seulement unie, non comme l’humanité est contenue dans la divinité, mais comme l’eau est renfermée dans la perle dont l’essence primitive est la lumière. Considérez avec attention ce phénomène de la lumière et de l’eau et admirez les paraboles du Seigneur ; remarquez le rôle que joue une matière imparfaite dans la formation de la perle, et croyez que le Christ est né réellement d’une femme. Du sein d’un coquillage pour lequel vous ne donneriez pas même une obole, sort une pierre brillante dont mille talents d’or et plus ne sauraient payer la valeur. C’est ainsi que du sein de Marie est sorti le Dieu tout-puissant. L’huître n’éprouve point de douleur tandis que s’opère en elle la conception de la perle, elle ne sent que son approche : le sein tranquille et résigné de Marie a conçu aussi le Christ sans éprouver d’autre sentiment que celui de l’apparition d’un nouvel être en elle ; la corruption n’atteint point le coquillage, ni pendant la conception, ni pendant la naissance de la perle ; car il enfante sans douleur une pierre brillante et d’une nature parfaite ; la Vierge aussi a conçu sans péché et a enfanté sans douleur. Et non seulement la perle est conçue dans le sein du coquillage, mais encore elle s’y accroît avec le temps et peut montrer sa substance hors de l’enveloppe qui la contenait. Mais comme en sa qualité de substance, elle a besoin du secours de la chair pour servir à son alimentation, et d’employer une matière nourrissante pour atteindre le dernier terme de son accroissement progressif, elle est caché dans le sein du coquillage comme dans les entrailles d’une mère, et on dirait qu’on l’y a mise à dessein pour qu’elle pût arriver à son entier développement.
Elle s’y accroît donc grâce à la matière vivifiante qui l’entoure, et elle s’assimile les sucs nourriciers qui lui sont nécessaires. De même le Fils de Marie est né sans le secours d’un acte charnel, et la substance vivifiante de la Vierge a développé celle du Christ, sans que l’homme ait coopéré à son incarnation. Ô mystères sublimes! Ô dogmes divins! La nature humaine a produit ce qui n’était point en elle ; un enfant est né, qui n’a point été engendré par l’homme ; une vierge est devenue mère, son chaste sein a été une source de vie ; ses entrailles innocentes ont nourri le Fils de Dieu ; une jeune fille a été l’auxiliaire du Verbe divin dans l’œuvre de son Incarnation. Sa substance féconde a formé le Corps du Sauveur, et c’est après son accroissement complet que le fruit de ses entrailles est venu à la lumière. C’est une femme seule et sans le secours de l’homme qui est devenue mère ; car le fruit de ses entrailles était saint. C’est une vierge qui a enfanté, parce que le Fils qu’elle a mis au monde était la source de toute pureté et de toute chasteté. C’est exempte du trouble des sens que Marie a coopéré à l’incarnation du Fils de Dieu ; car Celui à qui elle a donné le jour était le vainqueur du péché. Comment donc le Verbe n’aurait-Il revêtu que la forme apparente de l’humanité, puisqu’Il en a revêtu aussi la nature et l’essence, et qu’Il est né au temps marqué pour l’enfantement ? Comment Celui qui présente tous les caractères de la créature naissante a-t-Il pu sortir du sein de Marie, avec les apparences de l’humanité, sans que Marie ait éprouvé le travail et la douleur de l’enfantement ? Elle n’a point souffert, quoique femme ; elle n’a point éprouvé les douleurs de l’enfantement, quoique vierge.
Elle n’était pas non plus étrangère au fruit de ses entrailles, car c’était sa substance virginale qui le nourrissait, et par là, il y avait communication et parenté entre elle et Lui ; et elle est devenue mère d’un Fils dont la nature était étrangère à la sienne, parce que c’est dans son sein que le Verbe s’est fait chair. Le Christ a pris son accroissement dans les entrailles de Marie, bien qu’en qualité de Dieu, Il n’eût besoin d’aucun secours ; et Il eut une femme pour mère, bien qu’Il fût Fils de Dieu. Il a reconnu Marie pour sa mère, car c’est par elle que la divinité a revêtu l’humanité. Il était Fils de celle qui avait coopéré à son Incarnation, non seulement parce qu’elle a prouvé son acquiescement et son désir par l’ardeur de sa foi, mais encore parce que sa substance virginale avait servi à former le corps du Sauveur. Si le Verbe avait revêtu seulement la forme apparente de l’humanité, qu’eût-Il eu besoin du secours de la nature humaine ? S’Il était venu sous une forme mensongère, qu’eût-Il eu besoin de la femme ? Et si le sein de Marie n’a été pour Lui que la voie mystérieuse par laquelle Il est venu dans le monde, pourquoi Lui a-t-il fallu attendre, pour faire son apparition, l’époque marquée pour l’enfantement ? Si pour naître Il n’avait fait que descendre des cieux et venir habiter le sein d’une vierge, pourquoi ne S’est-Il pas montré directement du ciel à la terre ? Pourquoi est-Il resté dans le sein de Marie comme dans un lieu nécessaire, s’Il pouvait se montrer aux hommes sans le secours de la nature humaine ? S’Il n’a pas revêtu l’humanité, pourquoi du haut des cieux ne S’est-Il pas montré et fait connaître aux hommes ? S’Il avait tout ce qui était nécessaire à sa Venue, pourquoi empruntait-Il le secours d’une vierge ? Les actes de Dieu ne peuvent être ni vains ni trompeurs ; la coopération de Marie serait donc vaine, si le Christ n’était venu que sous les apparences de l’humanité, et Dieu aurait trompé les hommes en leur montrant couché dans une crèche un enfant nouveau-né. Ces propositions sont rigoureusement enchaînées, mes raisonnements sont donc vrais. Je sais que le Christ est la vérité même ; et dans la formation de la perle, je vois le Dieu qui S’est fait homme. Mais voici une autre preuve de la venue réelle et substantielle du Christ ; je veux parler de son accroissement progressif depuis sa Naissance jusqu’à son âge mûr. Supposons un moment que le Christ n’est venu que sous les apparences de l’humanité ; Il portait des vêtements.
Montrez-nous donc quel est l’accroissement d’un vêtement. Et si le Christ n’avait qu’un corps chimérique, comme Il n’a cessé de le développer depuis son enfance jusqu’à sa maturité, comment se fait-il que ce développement prouve son Incarnation et que son Incarnation prouve à son tour ce développement ? En effet, son Accroissement ne s’est pas fait tout d’un coup, et sa Naissance n’a pas devancé non plus l’époque marquée pour l’enfantement. La forme n’est pas la communication d’une nature substantielle, mais, comme les vêtements, une oeuvre de l’art. A quoi donc aurait servi la nature au Christ si l’art était à ses ordres ? Qu’était-il besoin qu’Il fût conçu dans le sein d’une femme, puisque la matière ne procède pas de l’homme vivant, mais a sa source dans le sein de la terre ? Une vierge a coopéré à l’Incarnation de la divinité, et en retour la divinité a rendu sa nature incorruptible. Si un acte quelconque eût pu accomplir le mystère, cet acte eût pu appartenir aussi bien à l’homme. Et si la forme eût suffi à l’accomplissement de ce mystère, l’art de l’homme aurait donc été l’auxiliaire de la divinité. Le sein d’une femme s’est ouvert à la divinité, et sa prompte obéissance a mérité d’enfanter sans douleur.
Elle a prêté à l’accomplissement du mystère une nature sujette à la douleur et à la souffrance, elle lui a été rendue exempte de souffrance et de douleur. Elle a fait un présent plein d’imperfections et de misère, et il lui a été remis plus parfait et plus riche. Les entrailles qui reçurent Dieu étaient soumises au travail et à la douleur, et elles furent délivrées de toute infirmité humaine. Celui qui Se servait d’elle pour S’incarner était un grand médecin, et voilà pourquoi Il l’a rendue saine et incorruptible. Ce n’était pas un home qui se servait du secours de la femme pour obtenir la naissance d’un fils, c’était Dieu Lui-même, aussi Il a donné à la nature mortelle de Marie des dons qu’elle ne possédait pas, afin de montrer qu’Il ne venait pas pour corrompre la nature, mais pour la conserver pure et sans tache. C’était une perle qui naissait, et voilà pourquoi Il est sorti doucement du sein maternel ; voilà pourquoi Il a été enfanté sans travail et sans douleur. Son Corps n’était point rude au toucher, comme s’il eût été d’une substance terrestre ; il n’était point mou et sans consistance, comme si la substance eût été liquide, ni composé d’éléments nombreux et divers, comme si la substance eût été matérielle ; mais l’enfant renfermait un Dieu parfait caché sous une nature simple et nue, et voilà pourquoi, grâce à la puissance de Celui qui résidait en elle, la Vierge a enfanté doucement comme le coquillage qui laissa tomber la perle. Elle n’a point souffert comme la femme, et ses chastes flancs, comme les lèvres du coquillage qui se referment, sont revenus aussitôt à leur état virginal. Elle n’a point perdu le signe de sa virginité tandis que s’opérait en elle la Conception du Christ, et, une fois qu’Il a été engendré, ses flancs n’ont pas eu besoin de s’ouvrir pour Le mettre au jour ; ils n’ont point éprouvé de déchirement tandis qu’elle enfantait. Je suis obligé de m’attarder longtemps sur ce sujet afin que, rassemblant toutes les raisons qui peuvent convaincre les hérétiques, je leur prouve que le Christ est né revêtu de la nature humaine et non de la forme apparente de l’humanité.
Nous naissons comme nous sommes conçus ; notre mère est atteinte de corruption pendant qu’elle conçoit ; elle souffre et gémit pendant qu’elle enfante. Elle perd le signe de la virginité pour concevoir, et c’est pourquoi, au moment où elle enfante, non seulement ses flancs sont ouverts, mais encore, par la suite de la perte qu’ils éprouvent, ils se distendent, ils retombent, la douleur les déchire, afin de rappeler à la femme sa corruption primitive. Car, une fois que le germe déposé dans son sein s’est développé et parvient à sa maturité, les douleurs de l’enfantement se font sentir. Il n’en est pas ainsi du Christ ; Il est né sans douleur, parce qu’Il a été conçu sans corruption, recevant un corps dans le sein d’une vierge, non par un acte charnel, mais par l’opération du saint Esprit. C’est aussi le saint Esprit qui a ouvert doucement les flancs de Marie, quand le Sauveur est sorti de son sein, pour que Celui qui était l’Auteur de la nature parût au milieu des hommes revêtu de la nature humaine. Le Christ donnait Lui-même à la Vierge la vertu nécessaire à son Accroissement. C’était le saint Esprit qui aidait dans son enfantement cette jeune mère ignorante de la couche conjugale. C’est pourquoi le fruit des entrailles de Marie ne lui a point fait perdre le signe de sa virginité, et la Vierge n’a pas éprouvé les douleurs de l’enfantement ; ses flancs se sont ouverts, il est vrai, pour laisser un passage au Dieu qu’ils renfermaient, mais ils sont revenus aussitôt à leur état virginal, de même que les lèvres du coquillage s’ouvrent pour laisser tomber la perle et se réunissent de nouveau et se referment étroitement.
Plus d’une personne a reçu en meilleur état ce dont il avait abandonné l’usage à d’autres, parce que ceux qui l’avaient accepté pour s’en servir, étant d’habiles ouvriers, avaient fait disparaître les imperfections de l’objet donné, et l’avaient rendu sans défaut. A bien plus forte raison, loin de gâter ce qu’Il avait emprunté, Dieu a dû le rendre beaucoup plus parfait qu’Il ne l’avait reçu. Ainsi Il a emprunté une nature corruptible, et Il l’a rendue sans tache par sa naissance. Les techniciens savent contenir l’eau dans les vases, au moyen de courants contraires ; ils laissent un passage à son écoulement d’un côté, et ils la font rentrer à nouveau dans les vases par des mouvements spontanés. L’Art de Dieu ne pouvait-il donc l’emporter sur celui des hommes au point d’ouvrir et de refermer les flancs de Marie, sans qu’ils fussent en rien endommagés par la masse des matières qui se livraient un passage ? Les rois accordent des privilèges aux cités dans lesquelles ils ont reçu le jour ou la couronne.
Pourquoi donc le Fils de Dieu n’aurait-Il pas accordé la virginité à sa Mère, puisque ce don était en son pouvoir ? Les propriétaires et les maîtres de quelques cantons étudient la nature des lieux et des sources qui les entourent ; ils corrigent les eaux, et, à force d’adresse et de constance, parviennent à améliorer la nature du climat. Le Christ ne pouvait-Il donc, à plus forte raison, corriger les défauts qui auraient apporté le trouble dans le sein de Marie ? Devait-Il, comme s’Il eût été l’un de nous, permettre que sa Mère fût semblable au reste des femmes ?
Le Christ est le seul qui soit né d’une vierge ; il était donc convenable que Marie restât vierge malgré l’enfantement et devînt mère sans éprouver les douleurs de la maternité. Ne vous laissez donc pas aveugler par votre propre nature, au point de ne pas croire à la nature divine, et que votre chair, qui est sujette au trouble des passions, ne corrompe pas votre jugement au point de vous faire accuser la nature humaine. Le Christ n’est pas venu pour servir les passions, mais pour exterminer le péché. Il n’a pas revêtu les apparences de l’humanité pour se faire un jeu de la nature humaine ; Il n’a pas rejeté la substance pour honorer la forme.
Si la forme, entre les mains de l’homme, peut arriver à des résultats dignes d’admiration, la nature, certes, le pouvait bien davantage entre les mains de Dieu. S’Il a voulu honorer la forme de la nature humaine, la nature humaine est donc quelque chose de bien noble, puisque la divinité l’a jugée digne d’honneur. S’Il est venu sous la forme de l’humanité pour corriger la nature humaine, la nature humaine est donc bien supérieure à la forme, puisqu’elle comporte un perfectionnement plus grand.
Si la forme ne pouvait rien ajouter à l’accomplissement de ses Desseins, Il a dû exécuter sans elle les décrets de sa volonté. Et s’Il n’a rien fait qui soit purement formel, c’est bien inutilement qu’Il eût revêtu la forme apparente de l’humanité. Etudiez la perle et abandonnez vos erreurs, car je ne cesserai de poursuivre mes adversaires jusqu’à ce que je les aie confondus. Remarquez qu’elle n’est pas une forme fantastique, mais une substance réelle. Cette pierre précieuse est indivisible ; la substance qu’a revêtue la divinité est également indécomposable. La perle est formée de l’union de la lumière et de l’eau, deux éléments contraires qui se sont unis intimement. Comment donc ignorez-vous ce qui est sous vos yeux, et cherchez-vous avec tant de curiosité ce qui est loin de vos regards ? La lumière procède du feu, voilà pourquoi elle enflamme en même temps qu’elle illumine. Les coquillages viennent dans l’eau et croissent par l’eau. Comment se fait-il donc que l’élément brûlant et lumineux ne consume pas la matière du coquillage ? Comment se fait-il que l’eau et le feu s’unissent intimement et substantiellement sans que l’un nuise à l’autre ? Vous ne pouvez le dire, mais vous êtes obligés de croire ce que vous voyez et ce que vous touchez. Que ce phénomène naturel, dont vous ne pouvez rendre compte soit pour vous une preuve que le Fils de Dieu est né sans le secours d’un acte charnel. Il y a aussi en Lui deux éléments contraires dont les substances s’unissent intimement. Mais je veux détruire une objection que vous pourriez me faire. Quelques-uns de vous disent : « Dieu est incréé et la chair tombe sous les sens ; Dieu est exempt de toute souffrance, la nature humaine est sujette à la douleur.
Comment donc deux natures si opposées ont-elles pu se réunir en un seul être ? » Consultez la perle, elle vous expliquera ce mystère. La lumière est le symbole de la divinité et l’eau le symbole de l’humanité. Ce n’est pas l’eau qui s’est incorporé la lumière, car elle est pesante de sa nature et ne peut s’élever dans les hautes régions de la lumière. C’est le rayon lumineux qui, dans son mouvement léger, vient s’unir à la goutte d’eau, et le coquillage entrouvert les reçoit unis dans son sein. La chaleur de la substance de l’huître fait germer le nouvel être, et les lèvres du coquillage, en s’unissant étroitement, empêchent, par leur solidité, l’humeur interne de s’écouler au dehors. La substance nourricière développe le germe qu’elle contient, et le temps fait éclore une perle brillante du mélange d’une goutte d’eau et d’un rayon de lumière. L’Evangile dit de même : « L’Esprit du Seigneur viendra sur toi » (Lc 1,35). Pourquoi cela ? Afin de lui donner la force de porter dans ses flancs la divinité.
Il ajoute encore : « Et la vertu du Très-Haut te couvrira de son Aile » (Ibid.). La lumière viendra s’arrêter sur ta nature mortelle, « car le fruit de tes entrailles est saint et portera le nom du Fils de Dieu » (Ibid.). Il ne dit pas : « Celui qui est déjà né naîtra de nouveau » ; il ne dit pas non plus : « Celui qui naîtra de la vertu du Très-Haut ou de l’Esprit saint », mais « Celui qui naîtra de toi », afin de montrer que la substance virginale de Marie était nécessaire à l’Incarnation de la divinité, et que c’est en elle que le Verbe divin s’est revêtu de l’humanité. Car si l’Evangile n’avait pas dit « Celui qui naîtra de toi », on aurait pu croire que le Verbe n’a pris que la forme apparente de l’humanité. Cependant, quelques exemplaires ne portent point ces mots : « de toi », et semblent ainsi donner raison aux hérétiques. Mais bien que ces exemplaires ne portent point cette addition, cependant les expressions qui précèdent donnent à la phrase le même sens, car l’Evangile dit : « Celui qui naîtra », et ces expressions renferment nécessairement l’idée d’incarnation. D’ailleurs la conception a pour conséquence nécessaire l’incarnation et elle est incompatible avec la forme ; l’expression de l’archange montre que si la divinité a résidé dans le sein d’une vierge, cela a été pour naître revêtu de la nature humaine. Car Il eût pu se montrer plus tôt à toute la terre, s’Il n’avait pas voulu prendre véritablement le corps de l’homme, pour vivre au milieu des hommes. Contemplez la perle, et vous verrez qu’elle renferme deux natures. Elle produit beaucoup d’effet à cause de son essence éthérée ; elle est brillante à cause de son organisation matérielle. Vous voyez sa pureté dans son éclat, et dans l’effet qu’elle produit vous découvrez la puissance qui réside en elle. Elle est dure par sa nature terrestre, elle est légère par sa nature céleste ; elle tient de l’eau par son côté grossier, de la lumière par son côté divin. Tout le monde peut observer que la perle, comme un miroir pur, reflète l’image de chacun.
C’est l’art qui façonne les miroirs ; aussi y a-t-il quelque chose de trompeur dans l’image qu’ils donnent de l’objet qu’on leur présente ; mais la perle renferme naturellement cette propriété ; c’est une faculté innée en elle. Il y a beaucoup d’autres choses qui sont le résultat identique et nu du mélange de deux éléments divers, mais ce n’est point comme la perle qu’elles naissent et ce n’est pas de lumière et d’eau qu’elles sont formées. N’allez cependant pas prendre pour exemple toutes sortes de perles ; car toutes ne sont pas bonnes et ne renferment pas les propriétés dont nous avons parlé : plusieurs, au contraire, participent beaucoup à la nature terrestre. Parmi les huîtres, les unes restent au fond des mers, les autres choisissent les lieux humides, limoneux et pleins de vase, se nourrissent de matières infectes, et produisent rarement des perles de bonne qualité. Une autre cause encore concourt à l’existence de la perle ; car si elle ne reste pas dans la coquille le temps voulu pour sa formation, on l’y trouve à l’état de pierre et comme non à terme. Aussi plusieurs de celles qui sont au fond des eaux, ne valent rien et ne doivent qu’à l’art le peu de valeur qu’elles obtiennent. Du reste, ces qualités, on les trouve rarement hors des coquilles ; il faut aller les y chercher, les en arracher ; celles-là sont appelées bonnes et parfaites, qui, pendant leur espèce d’accroissement, pendant que leur substance s’identifie à la nature, ne sont point ravies à leur enveloppe, mais en sortent d’elles-mêmes ; et voilà précisément ce qui leur donne un si grand prix. Que si vous voulez savoir comment certains animaux viennent au milieu des eaux et de l’eau elle-même, ouvrez le livre de la loi, et vous entendrez Dieu vous dire qu’Il a ordonné aux ondes de produire entre autres choses les moules et les huîtres. Car ce sont deux espèces qui se traînent aussi au fond de la mer, et comme la perle est la dernière dans l’échelle des êtres, de même le Christ est né d’une nature souillée et corrompue que seule la présence d’un Dieu pouvait purifier. Comme la foudre sillonne l’espace, Dieu le Père remplit l’infini ; comme l’éclair brille dans l’ombre, le Christ vient épurer nos souillures. Voilà pourquoi Il purifia la sainte Vierge et naquit de manière à prouver que partout sa présence engendre la souveraine pureté. Il la purifia d’avance par l’Esprit saint, et les entrailles purifiées de Marie conçurent le divin Jésus. Il la rendit chaste et pure ; aussi resta-t-elle Vierge en Lui donnant le jour.
Coquillages précieux de nos mers, dites et prouvez à la terre que la Vierge n’a pas eu besoin du concours de l’homme pour concevoir son Fils. Qu’on ouvre votre enveloppe d’écaille, et l’on n’y verra point de chair ; mais l’éclat soudain de la lumière pénètre ce corps qu’un tranchant vient de partager ; ainsi la Vierge reçut au milieu de son être le Verbe Dieu, et sans secours étranger, sans désir, comme sans passion de sa part, la divinité s’incorpora à sa nature, et elle comprit que le mystère de l’Incarnation s’opérait dans son sein ; elle éprouvait la conception, mais ignorait l’acte qui en est la source ; son corps recelait un nouvel être ; et cependant nul désir charnel ne l’avait agitée ; car pour lui conserver toute sa chasteté, ses sens semblaient avoir oublié les appétits grossiers de leur nature. Lorsque le soleil paraît au firmament, les ténèbres se dissipent, et l’univers entier brille de l’éclat de sa lumière : que sera-ce s’il concentre ses rayons sur un seul point ? Si le Christ, éclairant Paul d’un rayon de sa céleste flamme, l’a ramené à la piété, a fait du loup infidèle une brebis soumise, du cruel persécuteur un apôtre miséricordieux, si, de récalcitrant et endurci qu’il était, Il l’a rendu doux et fervent, le Verbe saint, en venant habiter le corps de Marie, a dû bien autrement encore la purifier de toute tache et de tout péché. Pour gage de dévouement, Il ne demande à la jeune fille que sa foi : à ce prix Il lui donne sa grâce ; et si dans sa Justice Il la fortifie contre la corruption, Marie, par sa foi, Lui soumet sa nature, et la grâce l’inondant e ses flots, elle devient incorruptible à tout jamais. Dieu se l’approprie, ainsi que ferait un roi d’un vase précieux appartenant à un de ses sujets.
Aussi, par la grâce, Marie devint, non pas mère, mais vierge, comme la nourriture des troupeaux deviendrait mets royal, si un roi la choisissait pour sa table. Non pas que je dise que Marie fut immortelle ; mais n’ayant pas été séduite par les appétits de la chair, elle fut sanctifiée par la grâce. La rouille imprimée à sa nature périssable disparut, et son corps libre de passion se conserva toujours pur. J’aime et je couvre de mes baisers la pierre précieuse de l’Evangile, parce qu’elle est devenue la substance de mon âme ; j’élève aux cieux et je glorifie la perle des mers parce qu’elle me raconte les mystères du Christ ; si j’ai choisi de préférence cette comparaison, c’est qu’elle confirme pour moi deux faits mystérieux. Elle me montre, en effet, le mélange de deux natures, et la force virtuelle de la divinité. Par elle je comprends la réunion de deux contraires, le changement d’une nature déjà constituée ; j’y vois le ciel uni à la terre, deux anneaux ne formant qu’une chaîne. La grâce a fondu les deux principes en un seul, et je ne trouve point de moyens pour les séparer. Je sais bien en quoi ils diffèrent l’un de l’autre ; mais la forme sphérique de la perle trompe ma sagacité et ne me permet pas d’apercevoir le lien qui les rassemble et les unit. Tous les points à sa surface se rassemblent et se confondent ; car le Christ a fait disparaître tout point distinctif ; et, comme l’ouvrier qui réunit deux chaînons égaux, Il en a fait un tout uniforme que nulle puissance ne saurait partager.
La coquille peut s’ouvrir à sa jointure, la perle, par sa forme, échappe à toute division ; dans l’une, l’intersection est toujours possible ; dans l’autre, jamais, afin de bien nous faire comprendre que les tables de la loi sont doubles, mais que l’Evangile n’a que l’unité d’une sphère parfaite. La loi d’ailleurs ne s’applique qu’au temporel, et l’Evangile au spirituel : c’est la coquille et la perle réunies par le Christ. Voilà comment, aidé des lumières de la grâce sur le mystère de l’Incarnation et recherchant la nature de la perle intellectuelle, j’en ai trouvé la cause, j’en ai saisi les rapports, j’en ai compris la nature. Qu’il me soit permis de revenir encore une fois sur l’œuvre du sublime Ouvrier. Le souverain Créateur de toutes choses est à mes yeux un laboureur, non pas qu’Il cultive les terres de ce monde, mais Il entretient l’harmonie des êtres ; non pas qu’Il sème et moissonne, non pas qu’Il vendange et fasse gémir d’immenses pressoirs ; mais Il se sert d’abord de la nature humaine pour nous donner son Fils, et de ce Fils pour rendre à notre âme toute sa liberté. Voulant liquider la créance qu’Il avait sur la nature entière, Il a revendiqué toutes les productions de la terre ; et par cette rapide transaction, Il est devenu Maître absolu de l’univers, non seulement comme Créateur, mais encore comme Rédempteur ; non seulement comme Dieu, mais comme celui qui vend la perle obtenue à la sueur de son front et pour qui la moindre parcelle est précieuse. Afin de mieux obtenir l’esclave, Il a donné son Fils. Ô ineffable bonté ! Ô sublime dévouement! Il dépose la perle au sein de la coquille, et laisse ainsi vendre à vil prix la pierre précieuse. Comprenez-vous quel est le marchand ? Distinguez-vous bien Celui qui vend tout ce qu’Il possède pour acheter la perle ? Vous voyez alors comment le riche se dépouille de toutes ses propriétés pour acquérir un petit coin de terre, afin de posséder aussi le trésor qu’il renferme. Je dis que ce riche est Dieu le Père, donnant son Fils en échange des besoins de l’humanité, se dépouillant de ses riches possessions pour acquérir quelques arpents, objets de toute sa sollicitude ; et ces quelques arpents, Il les avait donnés en partage à Adam ; mais celui-ci, frivole dans ses désirs, ne sut point les conserver ; et Dieu n’acheta pas le champ pour sa valeur absolue, mais bien à cause du trésor qu’il recelait. Et maintenant ce champ, quel est-il ? Le corps de l’homme, et le trésor caché dedans, son âme.
N’est-ce pas en effet pour cette âme « faite à son Image et à sa Ressemblance » (Gn 1,26) que Dieu vendit tout ce qu’Il avait ? N’est-ce pas pour en acquérir la possession qu’Il envoya son Fils sur la terre ? Et certes, le démon ne s’en fût pas départi au profit de la divinité, si elle n’avait pas été cachée sous l’enveloppe humaine. Dieu savait sa valeur, et Il en craignait l’aliénation ; mais Il la livrait à l’homme, parce qu’Il connaissait la faiblesse de ce dernier, et qu’Il était persuadé de pouvoir reprendre l’enveloppe et le trésor dès qu’Il le voudrait. Il envoya donc son Fils vers le démon, en Lui disant : Livre-lui toutes les choses de la terre, car tout M’appartient ; l’homme seul, à cause de son libre arbitre, échappe à mon empire ; la faculté qu’il a de se prononcer pour ou contre Moi est un vrai trésor qu’il possède. Mais comme ma gloire est intéressée à conserver ce que J’ai crû Moi-même pour mon usage et mon service particulier, donne-lui tous les êtres sans raison, mais rends-Moi l’homme qui est libre. Aussi lui livra-t-Il tous les bestiaux paissant dans les plaines de Génésareth, se réservant le champ au trésor, et arrachant ainsi l’homme à l’empire du démon. Les porcs, les ânes, les taureaux, les lions eux-mêmes ne sont pas pour celui qui les possède un grand sujet de gloire ; mais il n’en est pas de même de l’homme, car il ne fournit pas un mets succulent et corruptible, mais bien un trésor digne du ciel. Et c’est le trésor que nous avons représenté par un champ de terre ; l’Acquéreur de ce champ c’est Dieu le Père ; le médiateur, c’est le Christ, son Fils. Il s’est présenté comme simple étranger, Il a transigé comme acquéreur, Il a pris possession comme maître, parce que le Père et le Fils ne font qu’un seul Dieu. Par la nature de son Incarnation, Il a manifesté sa Volonté et son Pouvoir ; par le fait de son acquisition, Il a fait acte de médiateur ; s’élevant ensuite au rôle de maître absolu, Il a reculé champ de terre et le propriétaire, dans son ignorance, lui a aussi livré le trésor enfoui. L’homme est donc devenu la propriété du Seigneur, et le vendeur ne savait pas lui avoir cédé en même temps un immense bénéfice ; le Christ, une fois possesseur de l’homme, le devenait aussi de tout ce qui était soumis à l’homme.
Tous les êtres sans raison étaient échus en partage à Adam, et cependant le démon semblait en revendiquer la possession, puisqu’il donnait en échange le corps d’Adam lui-même ; mais dès lors qu’il avait cédé l’homme, tout ce qui appartenait à ce dernier devait être compris dans la cession et suivre son possesseur naturel. Avec l’homme furent donc vendus tous les êtres animés ; car celui-ci avait le pouvoir de les offrir à son Dieu, et voilà pourquoi l’empire du Seigneur s’étendit et sur les Juifs et sur les nations les plus reculées. Le Christ venait de faire une acquisition précieuse ; Il la paya de son sang sur la croix ; puis Il ressuscita, vint en prendre possession, en chassa les premiers maîtres, et y plaça ceux de son choix. Le champ qu’Il avait acheté, c’était la terre entière, et le trésor, les saints qu’elle renferme. Il S’attacha d’abord à la surface, Se réservant de profiter quand Il le voudrait du trésor qui était caché. Il vint au milieu des vivants ; mais les morts étant aussi de son domaine, Il les tira de la poussière qui les couvrait, et laissa le trésor pour le moment de sa résurrection. Ensuite, « Il s’en alla dans un pays éloigné » (Mt 21,33), confiant ce précieux dépôt à des gardes, et son champ à des régisseurs, afin qu’à sa Voix ils en fissent plus tard offrande au Roi suprême. Or sa perle chérie reste enfermée dans la coquille comme dans un vase, et le champ peut être comparé à l’atelier d’un potier ; c’est dans ce sens que le prophète du Seigneur a dit : « Entre dans le champ du potier » (Je 18,2). Et de quel potier entendait-il parler, si ce n’est de Dieu, puisque c’est Dieu qui nous a ressuscités dans ce champ ? Aussi jusqu’à la consommation des temps le corps de l’homme n’est qu’un champ de limon infect ; mais au grand jour qui sera le dernier, ce limon deviendra un vase purifié : pour les saints par la grâce, pour les pécheurs, par le feu de la géhenne. Telles sont les vicissitudes de la perle, qui ne reste pas à tout jamais ensevelie dans la terre, mais en est extraite par le Marchand : aussi devient-Il Lui-même les prémices de sa Croix, et, s’Il ressuscite seul, c’est qu’Il a contracté seul. Et ce n’est pas après sa mort qu’Il a acheté la perle, parce que c’est sur la croix qu’Il a vaincu le démon, qu’Il l’a dépouillé et S’est emparé de son armure. Voilà ce qui Lui fait dire : « Je puis déposer mon âme et Je puis la reprendre » (Jn 10,18). N’avait-Il pas, en effet, un pouvoir absolu sur la mort ? Et en mourant Lui-même, ne laissait-Il pas la perle précieuse aux mains non pas du démon, mais de la nature ? Ainsi, pendant qu’elle était encore dans les entrailles de la terre, le marché en fut conclu, l’échange se fit, et elle devint le prix de sa médiation. Le vendeur insensé ne se doutait pas que Celui qu’il regardait comme un simple étranger était un Maître absolu. Le Christ reçut donc l’objet vendu ; Il reçut le champ ; Il reçut toute la valeur de ce champ : car la nature, invariable dans sa marche, obéit aux lois éternelles qui la régissaient.
En acquérant le champ, Dieu acquérait tout pouvoir sur les vivants, et pour le trésor qu’il renfermait, les morts Lui étaient aussi acquis. Le type de son Incarnation reste constant dans la perle ; le bénéfice Lui en est assuré par la grâce du saint Esprit, qui fortifie le corps contre le démon ; car c’était ce Corps divin que Dieu le Père proposait pour objet et pour prix du combat. Revenons maintenant sur notre sujet ; récapitulons ce que nous avons dit, et tâchons de saisir comme il convient l’ensemble de ces importantes vérités. Nous avons comparé Dieu le Père à un laboureur, à un ouvrier, à un marchand, à un potier, à un courtier, à un prêteur, à un rémunérateur jaloux de sa gloire. Il est bien grand, le Nom du Seigneur, puisque en deux mots il renferme de si nombreuses attributions ! La perle a été pour nous tout l’Evangile, car en quelques lettres elle contient l’explication de bien grands mystères ; et ces quelques misérables feuilles de papier expliquent la doctrine céleste. Les hérétiques affirment que se revêtir de la chair humaine est indigne du Fils de Dieu. Eh quoi! Dieu a permis qu’une simple feuille de papier pût expliquer le ciel, et Il n’aurait pas pu permettre que son Fils assumât la nature humaine ? Non que je veuille établir la parité de ces deux faits ; mais j’y trouve la preuve de la Bonté de Dieu envers nous, qui L’a fait Se dépouiller Lui-même et S’unir aux hommes. Mais, dit-on, Dieu n’est pas venu en personne sur la terre. Non certes, car ce corps terrestre et périssable ne pouvait convenir à la divinité pour vivre parmi nous. Le Maître de la nature a pris la nature du maître de la terre pour rendre à Adam son empire, que la séduction lui avait fait perdre.
Et si le Christ a revêtu une forme périssable pour descendre ici-bas sous cette forme, Il était encore le Fils de Dieu. Il est facile de voir comment sont battus les hérétiques, lorsqu’ils essayent si imprudemment de nier la substance du Christ. On peut bien les taxer de folie, car ils parlent et ne savent ce qu’ils disent, ils profèrent des mots au hasard et ne comprennent point la conséquence de leurs paroles. Malheureux incrédule! Je veux te montrer Dieu comme un prêteur bienfaisant, qui a préparé une Perle sacrée dans le sein de la Vierge, comme un cultivateur habile, qui a communiqué à la nature sa divinité. Je veux te Le montrer comme marchand associant l’homme à ses transactions, se croyant riche d’un simple denier, laissant de côté tout gain personnel, pour ne songer qu’à l’homme, et Lui donner à tout jamais le royaume céleste. La nature humaine, faible et débile, reçut en elle la divinité, et put alors combattre son ennemi. Le Fils entra dans les vues du Père, et Il souffrit pour purifier son acquisition, la réhabilitant par la grâce ; Il donnait au péché l’auxiliaire des passions et des attraits puissants. Puis offrant cette nature fragile au démon, Il l’excita à tenter l’humanité. D’un autre côté Il montra à l’homme la grâce divine et la lui promit au Nom de son Père, sans lui cacher les combats spirituels qu’il aurait à livrer pour la haine qu’il fallait vouer à tout objet terrestre. Il l’exhorta au sacrifice de propitiation et s’offrit comme médiateur dans la réconciliation divine ; Il S’engagea à obtenir le pardon et indiqua la croix comme gage assuré de sa Promesse, disposant ainsi l’homme à recourir à Dieu et le Fils à se rapprocher de son Père. Combattant ensuite Lui-même le démon, Il assura la possession à son Père et délivra l’esclave du joug affreux qui pesait sur lui. Admire encore avec moi son ouvrage comme laboureur, car dans l’une et l’autre fonction le Christ Se montre toujours dispensateur de grâces envers l’homme et ennemi déclaré du péché.
Et n’est-Il pas, en effet la source d’une foule de chefs-d’œuvre ? L’infini de ses attributions ne se prête-t-il pas à tout ce que l’esprit le plus vaste peut concevoir ? Peut-on rien imaginer qu’Il ne puisse exécuter ? Il a déposé la divinité dans le sein de la Vierge ; Il y a enfermé son Fils, afin que, partageant sa nouvelle nature, Il lui communiquât la sienne par son Incarnation. L’on peut donc dire avec vérité que pour Dieu le Père, Marie fut un arbre ; pour le Fils une mère ; et pour les hommes une source incorruptible et éternelle de l’Esprit saint. Les liens de cette greffe sacrée sont les témoignages des prophètes ; et la division s’est opérée sur l’étendue de la nature. Le jardinier a une faucille qui lui sert à élaguer et à redresser les branches, c’est-à-dire à préparer et à conserver la vertu du saint Esprit ; et l’arbre régénéré ainsi dans son espèce n’est autre que la sainte femme restée vierge. Crois donc fermement à nos paroles, ô homme, car tout s’explique par la foi. Et si tu crois pouvoir nous taxer de mensonge, jette les yeux sur les mystères qui t’entourent, et étudie leur existence et leurs conditions. Supposons en effet que tu n’aies pas en toi ce principe que nous appelons âme, ton oeil pourra-t-il voir, ton oreille entendre ? Ton palais distinguera-t-il les saveurs, tes mains pourront-elles agir ? C’est donc l’âme qui fait tout ; le corps coopère seulement à ses actes. Vois encore la puissance divine dans ses œuvres admirables, où préside sans cesse je ne sais quelle sagesse secrète et ineffable. Mais il y a plus, je puis te prouver l’Incarnation du Fils de Dieu par des faits et des autorités purement terrestres ; et si j’emploie toutes ces comparaisons, ne crois pas que ce soit pour appuyer ma conviction sur un ou plusieurs points au hasard : c’est bien plutôt pour te faire comprendre, par ces nombreux témoignages de sagesse, la variété infinie des œuvres de la divinité et les moyens appropriés à chaque circonstance, dont Il S’est servi pour combattre le péché.
Agissant toujours d’une manière différente, dans sa Nativité et après sa naissance, dans sa jeunesse et dans sa virilité, enfin dans sa propre nature, Il nous fait connaître les motifs de sa conduite pour chaque époque voulue. Et s’il te restait quelque doute sur nos paroles, écoute le Sauveur Lui-même : « Je suis la vigne et vous les sarments, et le vigneron, c’est mon Père » (Jn 15,1). Je puis encore apporter à l’appui de mes convictions les travaux des hommes. Nous les voyons tantôt greffer les amandiers sur les germes des arbres les plus rares, tantôt enter une feuille sur une branche, ce qu’ils pratiquent surtout à l’égard des vignes ; pourquoi donc ne croirions-nous pas que Dieu a pu employer des moyens pareils dans des faits qui échappent à nos sens ; pour le Verbe, en greffant sur Lui la chair, pour la chair, en greffant sur elle la divinité ? Non, la Vierge sainte n’a pas eu besoin d’un germe étranger à son corps pour enfanter : libre de toute affection charnelle, Marie a donné sa propre substance, et la sagesse S’est bâti une maison avec des pierres que la hache ni la scie n’avaient entamées. Dans la construction, jamais le bruit du fer ne s’est fait entendre : et aussi dans Marie l’homme n’a rien fait, la Vierge seule a opéré. Les pierres du saint édifice étaient taillées et polies par leur nature, l’homme n’y avait point touché ; pareillement l’Incarnation dans la Vierge s’est faite sans le secours de l’homme ; mais elle a choisi notre nature dans ses entrailles immaculées.
Comme les pierres ont été tirées de la terre ; de même l’Incarnation s’est opérée dans la nature, et la divinité est restée pure et sans tache, parce que cette nature était exempte de péché. Sans rien devoir au tranchant du fer, le temple de la sagesse s’est élevé ; sans causer ni douleur ni souillure, le Christ a été mis au monde. D’un côté, la terre seule a tout fourni ; de l’autre, la Vierge a conçu seule. La pierre n’a point été partagée, la terre n’en a point senti l’extraction ; la Vierge non plus n’a subi aucune altération, et la passion n’a été pour rien dans sa chaste conception ; la terre n’a point fourni des pierres venues d’une autre source ; mais sans travail et par instinct, elle a donné ce qu’elle avait. Pas la moindre cause externe n’a concouru à l’Incarnation dans la Vierge ; le principe existait en elle, et sans cela ne serait-elle pas plutôt une simple nourrice qu’une mère, la dépositaire d’un trésor et non la source d’un prodige de la création ? L’Evangile lui donne le titre de mère, et non la simple appellation de nourrice ; il appelle aussi Joseph père, quoiqu’il n’ait eu aucune part à cette conception ; aussi ce n’est pas à cause du Christ qu’il reçoit ce nom, mais bien à cause de Marie, afin de mettre cet enfantement à l’abri de tout soupçon injurieux, comme n’a pas craint d’en soulever l’impiété des Juifs. Le nom, d’ailleurs, fit-il jamais la chose ; et n’appelons-nous pas bien souvent pères, non pas ceux à qui nous devons le jour, mais de vénérables vieillards ? Aussi bien, la position seule de Joseph lui donnait ce nom, et sur la terre il devait l’avoir : le lien conjugal contracté par Joseph et Marie les rendait véritablement époux, et donnait au mari le titre de père. Et les palmiers mâles, n’est-il pas reconnu qu’étendant l’ombre de leurs rameaux sur les femelles, ils font fructifier ces dernières sans les approcher nullement, sans leur rien céder de leur substance ? Quelques figuiers aussi restent stériles, s’ils ne croissent pas en vue du mâle de l’espèce.
Ainsi, par la même raison qu’on appelle ces arbres pères, quoiqu’ils ne contribuent en rien à la génération, ce nom a été donné à Joseph, quoiqu’il n’ait été qu’un ami pour la Vierge. C’est un grand mystère sans doute, et voilà pourquoi il faut appeler à soi toute la création pour le sonder. Les secrets de la nature échappent aux lumières les plus vives de l’esprit et de la pensée. Ce qui existe confond la science et l’imagination la plus ardente. Comment se ferait-il alors que la nature entière ne pût nous faire saisir ce raisonnement ? Dieu était ce qui était, et tout devait obéir à sa Voix. Dieu S’était fait homme, et toute créature doit venir admirer son Créateur et s’incliner devant cette Puissance créatrice, et croire fermement que ce qui paraît impossible dans l’ordre général de la nature Lui est possible à Lui. Sachons bien tous que rien ne se fait que par sa Volonté, que la nature est son esclave. Répétons-le aux incrédules : Dieu n’a pas eu besoin d’un principe matériel pour créer le monde ; il Lui a suffi de vouloir. Il faut qu’ils en conviennent : l’univers et tout ce qu’il renferme n’est pas le produit de la matière. Et par la même raison, c’est sans le concours des deux sexes qu’Il a crû l’homme, qui contient en lui le siècle visible et invisible. Mais je sens ma faiblesse pour parler d’une chose si grande. Venez à mon secours et prêtez-moi vos voix persuasives, lois de la nature, inventions des arts, conceptions de l’esprit! Que le firmament m’explique d’où vient la clarté de l’étoile, elle qui n’a pas reçu en partage la lumière, comme le soleil et la lune! Que l’air sillonné par la foudre, dont l’éclair tombe au sein de la coquille, fournisse une preuve de Celui qui devait naître au sein d’une Vierge.
Que la terre nous dise le trésor caché dans ses entrailles ; la mer sa perle précieuse et invisible. Venez à mon aide, agriculture, maçonnerie, marchands avides et actifs, pêcheurs adroits, sagesse des monarques, combats des puissants, contradictions des hommes, découvertes des savants, science des astrologues, tyrans détrônés, folie des prêtres sacrilèges, enfants confesseurs, pasteurs prophètes ; oh! venez tous proclamer avec moi la Naissance de Dieu, et peut-être alors les hérétiques avoueront-ils que ce n’est pas seulement en apparence que le Christ est venu parmi nous ; mais qu’Il a réellement pris un corps et une âme et qu’Il est né d’une Vierge. Voici encore ce que disent les Juifs : ils ne croient pas que Dieu ait vécu comme homme au milieu des hommes. Cependant ils croient bien qu’Il a été enfermé dans l’Arche. Et, je vous le demande, qu’est-ce qui est plus grand, l’arche ou l’homme ? Si tu crois que Dieu été enfermé dans l’arche, pourquoi ne veux-tu pas admettre qu’Il a vécu au milieu des hommes ? Nous ne pouvons pas croire, disent-ils, que s’Il eût été Dieu, Il Se fût laisser crucifier. Mais pourquoi ne refuses-tu pas aussi de croire que l’arche, qui renfermait Dieu, ait été prise par les ennemis (1 R 4,11) ; car, de même que cette arche recevait en apparence une injure ; de même le Verbe Dieu, impassible de sa nature, a été soumis par l’incarnation aux souffrances et à l’ignominie, jusqu’à pouvoir être crucifié. Et de même que sur la terre étrangère, l’arche renversa et détruisit Dragon (1 R 5,3-4), de même sur la croix le Christ triompha du démon, réduisit au silence les blasphémateurs, et fit connaître sa divine Puissance à tous les infidèles. Vous ne voulez pas croire que le Fils de Dieu est ressuscité trois jours après sa mort.
Et pourquoi croyez-vous alors que Jonas, après avoir passé trois jours dans le ventre de la baleine, en est sorti sain et sauf (Jn 2) ? Vous ne voulez pas croire que la sainte Vierge a enfanté Dieu fait homme : comment se fait-il donc que vous croyez à la construction d’un temple célèbre, pour lequel aucune pierre n’a été taillée, et qui n’a nécessité l’emploi d’aucun instrument en fer (3 R 6,7) ? Et certes de tous les édifices et de tous les temples, celui-là fut sans contredit le plus beau. La folie et la démence des Juifs dépasse toute borne ; ils ont sous les yeux les preuves les plus patentes, et ils refusent de croire. L’ineptie des hérétiques m’indigne, ils ajoutent plutôt foi aux idolâtres et aux païens qu’aux divines Ecritures. S’il n’est pas vrai qu’un édifice s’est élevé sans le secours du fer, édifice consacré au culte du Seigneur, j’accorde que le Christ n’est pas venu en personne sur la terre. Mais si les fondements de ce temple existent encore sous nos yeux, ne disputez plus et croyez. Pour moi, je scellerai cette profession de mon sang. Confondez-moi avec les infidèles, ce que je redoute le plus ici-bas, et comblez mes vœux en me faisant mourir pour le Christ. Pour ce qui est de mon corps, je tremble à l’idée de la mort ; mais mon espoir et ma confiance sont en Dieu. Par ma nature, je chancelle ; par son secours, je m’affermis. Tout est confusion en moi ; en Lui tout est espérance. Il est la perle, je suis la boue ; Il est le trésor, je suis la poussière ; Il est la vie, je suis la mort ; Il est la sagesse, je suis le péché ; Il est la vérité, je suis le mensonge ; car, pour satisfaire ma vanité, j’ai repoussé de moi la vérité. Il m’a donné une nature parfaite, et mes affections mauvaises l’ont corrompue ; Il m’a donné une volonté libre et forte, et moi, je l’ai tuée en la souillant et en la ternissant par le péché. C’est Lui qui est descendu au fond des mers pour y chercher, à travers des périls sans nombre, la perle précieuse, et sa divinité L’accompagnait dans toutes ses tribulations, et Il a emporté avec Lui dans le ciel la nature humaine qu’Il avait prise sur la terre. C’est Lui qui, sans relâche et toujours plus profondément, creusait le champ qu’Il avait acquis, et souffrait sur la croix pour S’approprier le trésor des saints qu’Il faisait sortir du tombeau.
Travaillons donc, nous aussi, et de tous nos efforts, pour participer un jour à la transaction et à la médiation de notre Sauveur Jésus Christ ; car c’est à Lui que doit revenir toute gloire, tout honneur, toute adoration ; à Lui et à son Père, qui ne S’est pas soumis au même sacrifice, aussi bien qu’à l’Esprit souverainement saint, bon et vivifiant, maintenant et à tout jamais, jusqu’à la consommation des siècles. Amen