Famille et jeunesse
Viimati muudetud: 06.03.2015
Au moment où nous entrons dans le temps de la Nativité de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, que nous accueillons comme Enfant couché dans la crèche, il m’a paru utile de proposer un tant soit peu à votre attention quelques réflexions sur le rôle et la vocation de la famille.
Le thème « Jeunesse-Famille » nous préoccupe tous, de quelque bord que nous soyons. Pendant des décennies, la société estonienne a été sous pression permanente de sorte qu’elle s’est trouvée par certains côtés marginalisée. Soudain, avec la fin de l’occupation soviétique en 1991, cette même société a été naturellement amenée à entrer au cœur même des préoccupations des hommes qu’elle sert. Etait-elle alors assez préparée à ce changement ? Est-elle aujourd’hui assez préparée à ce changement ? Cette question n’est pas sans lien direct avec notre souci de la Jeunesse du monde présent et il me semble nécessaire de la poser comme préalable à toute mon intervention.
D’emblée un constat s’impose : il y a chez nos Jeunes des valeurs réelles d’espérance, d’affirmation et pour une part d’entre eux de foi religieuse. Des valeurs aptes à les aider à s’édifier sur la base de liens concrets en relation avec les développements socioculturels dans lesquels ils évoluent. Ils savent que l’homme d’aujourd’hui a besoin d’apprendre à aimer, qu’il a besoin aussi d’une paisible beauté créatrice de communion. Ils savent, le plus souvent d’ailleurs par intuition, que la parole humaine reste insensée si elle ne porte pas un souffle de vie et que ce souffle, c’est dans la réalité d’ici bas qu’il convient de le réaliser.
Mais l’intuition ne suffit pas. Une société ne peut pas être constamment tendue vers le développement économique et l’acquisition des seuls biens matériels.Tôt ou tard elle court le risque de s’autodétruire. Il y a des valeurs bien plus essentielles et bien supérieures à l’argent : la droiture et l’honnêteté, le respect de la dignité humaine, le sens véritable du travail, le souci permanent et l’amour de l’autre, de cet autre qui se nomme « notre prochain » dans l’Evangile.
Or, la faiblesse de la construction de nos sociétés d’Europe, la faiblesse de la construction européenne en général, c’est justement qu’elle ne touche pas les cœurs. Elle multiplie les droits, développe un appareil juridique complexe, mais dans l’oubli total que les droits des autres signifient pour chacun d’entre nous d’abord des obligations. Dans les sociétés d’Europe occidentale, à laquelle l’Estonie adhère désormais pleinement, l’essor du droit contraste avec l’affaiblissement de la démocratie, autrement dit de la citoyenneté responsable. Le résultat, c’est la résurgence des extrêmes contre l’abstraction des techniques et des technocrates. Il semble en tous cas que c’est bien ce qui se produit récemment dans bien de Pays d’Europe occidentale.
Devant cette sorte de dérive des sociétés, les jeunes espèrent, les jeunes exigent autre chose de nous. Ils ont besoin qu’on leur dise que le droit doit être fondé sur une vision spirituelle de l’homme. Que ce qui fonde le droit, c’est le respect de la personne et non pas celui de l’individu.
L’individu, je le comprends comme une « existence » d’orgueil et d’avidité, marquée par l’angoisse de la mort, crispée sur son morceau d’humanité. L’individu se barde derrière le droit pour désigner les obligations des autres, jamais les siennes.
La personne quant à elle, je la perçois comme une « existence » en relation. Elle est à mes yeux non conceptualisable puisqu’ elle n’a d’autre définition que de n’en avoir aucune. Mais dans son expérience la plus profonde, elle sait qu’elle n’est pas seulement un phénomène de ce monde et c’est en cela que réside l’essentiel.
Alors se pose à nous la question de savoir quel modèle de société nous voulons proposer à nos jeunes : une société mercantile au sein de laquelle les marchands capteront tous les désirs des individus pour développer sans fin les besoins ou une société pour qui le sens de l’existence ne peut venir que de l’homme et de l’homme seul ; autrement dit une société qui puise en elle suffisamment de volonté pour délivrer les forces intérieures indispensables à la maîtrise de la technique et de la machine ? Pour moi qui suis chrétien, l’Histoire ne doit pas seulement être entendue comme une grandeur purement humaine ou purement divine, mais comme cette réalité à laquelle prennent part à la fois Dieu et l’homme. C’est précisément dans la réalité de cette collaboration entre Dieu et l’homme que je situe le besoin d’éduquer notre Jeunesse. Une collaboration riche de toutes les pensées et de tous les sentiments humains ; une collaboration qui a pour destination d’être, dans une même mouvance, le contenu de l’esprit humain et de l’Esprit divin et qui permet de déchiffrer le vrai sens du monde.
Heureusement, il nous reste pour cela la famille. Revenir à elle est un signe de santé sociale. Que les parents soient attentifs à prendre du temps pour se consacrer aux leurs et à leurs amis, pour organiser les moments de détente et de loisir, pour s’adonner à de bonnes œuvres et … à un peu plus de spiritualité. Sans doute faudra-t-il pour cela changer radicalement certaines habitudes, peut-être consentir à un peu moins de profit et de gains d’argent afin d’accorder plus d’attention à son épouse, à son époux, à ses propres enfants.
Saint Jean Chrysostome, un des plus brillants théologiens du monde byzantin, n’hésitait pas à écrire déjà à son époque : « Si, avant toutes choses, nous montrions d’abord à nos enfants comment cultiver son propre monde intérieur, alors bien de mauvaises choses n’auraient aucune emprise sur leur caractère et de plus leur existence serait ainsi préservée de tant de malheurs qui rôdent autour d’eux … Hélas, de tout cela vous n’en faites rien ; vous ne proposez rien d’essentiel à l’éducation des vôtres… Voilà pourquoi les foyers sont sens dessus-dessous. Et puisque les enfants ne bénéficient d’aucune éducation valable au sein même de leurs propres familles, ils se laissent aller à toutes sortes de mauvaises influences qui viennent de l’extérieur ».
Saint Jean Chrysostome a vécu au Ve siècle après Jésus-Christ. C’est dire que le propos reste toujours d’actualité : la famille, sans exclure bien entendu ses autres partenaires – étatiques, éducatifs, religieux, humanistes – reste la première responsable du bien-être moral et spirituel de la Jeunesse. La famille peut donc beaucoup comme lieu privilégie de communion et de partage de toutes les relations du quotidien. Mais encore faut-il qu’elle le veuille.
Bon nombre de problèmes-pièges menacent en effet les jeunes dans notre société tels que la drogue, l’alcoolisme, le sida et bien d’autres. Il me paraît inutile, tant la chose est évidente, de devoir encore préciser que si nos jeunes reçoivent l’éducation suffisante et plus encore les ressources éthiques nécessaires, ils seront moins soumis au risque de tomber dans ces pièges ; ils ne chercheront pas le bonheur dans la drogue ou la boisson. La solution se trouve dans la prévention et non dans la répression. Et la prévention la plus efficace, c’est bien sûr la famille parce qu’elle sera toujours comprise et reçue principalement comme « lieu du cœur » et non pas uniquement comme l’organe de l’application de la raison et du droit.
Plaise au Ciel que nos Jeunes, devenus à leur tour adultes, ne nous reprochent pas un jour d’avoir conservé en vase clos toutes nos richesses culturelles, morales et spirituelles, sans leur en avoir communiqué la substance. Quant à nous Adultes, pratiquons avant tout à leur égard la vraie tolérance qui n’est pas indifférence mais respect et efforçons-nous de devenir à leur endroit des modèles de vraie modestie qui est faite de générosité et d’infinie patience.
Tallinn, le 15 novembre 2005
+STEPHANOS,
Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie