Avaleht/Orthodoxie/Société/DE L’EMBRYON

DE L’EMBRYON

(Essai de réflexion théologique selon la tradition de l’Eglise Orthodoxe)

par Monseigneur Stephanos Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie

Notre Eglise Orthodoxe n’est jamais restée indifférente au problème de l’embryon humain. Les Pères de l’Eglise, notre Droit Canon et aussi diverses positions théologiques prises à l’occasion de rencontres entre nos Eglises locales, nous proposent de nombreuses orientations susceptibles de nous assister dans nos diverses attitudes pastorales, de nous éclairer sur la nature et les droits de l’embryon humain. Essayons donc de les aborder brièvement et de façon très large.

A. LA NATURE DE L’EMBRYON

1.- L’embryon est potentiellement un être humain en puissance (si j’ai bien saisi le sens canonique du problème) : ses cellules, son potentiel génétique, sa morphologie et sa physiologie expriment en toutes choses la personne humaine. D’ailleurs, le seul fait qu’il soit capable de se développer en uniquement un être humain parfait et pas autre chose définit de façon indiscutable son essence essentiellement humaine. En tant que tel, il est beaucoup plus que ce qu’il semble être au premier abord car, en tant que tel, il est déjà un être humain.

Dans un certain sens, sa symbiose de neuf mois avec sa mère relève de l’humain puisqu’il ne peut être conçu que dans un sein uniquement son identité humaine alors qu’il n’existe que dans une perspective humaine ?

Le moment de la conception représente un poids énorme : un spermatozoïde et un ovule s’unissent pour aboutir à une identité nouvelle, indissoluble et irréversible, c’est-à-dire, pour devenir une nouvelle vie qui est désormais une vie humaine, autrement dit un être humain. Mais dans cette conception apparaît aussi une autre dimension, mystérieuse, plus sacrée: l’exclusivité. Un ovule fécondé ne peut plus l’être par un autre spermatozoïde parce que déjà, les caractéristiques d’une nouvelle existence humaine ne peuvent plus être modi-fiées : la fécondation est donc définitive et irréversible. Ce seul fait suffit à démontrer que nous sommes bien, avec l’embryon, en présence d’un être humain. Lequel à travers les diverses étapes de son existence (enfance, adolescence, âge adulte, vieillesse) laissera se dérouler tout le processus de son identité humaine. Par conséquent l’embryon est un être humain parfait selon la nature mais encore imparfait de par son état. Les divers canons de l’Eglise, notamment en matière d’avortement, ne disent rien d’autre que cela derrière la rigueur des dispositions souvent très sévères qu’il prévoit ( Cf e.a. canons 91 du Concile in Trullo, canons 2 et 8 de St Basile, canons 21 et 22 de Jean le Jeûneur, canon 21 du Concile d’Ancyre et aussi le Pydalion).

2.- De ce fait, l’embryon est une personne jouissant d’une identité. L’Eglise considère avec respect toute l’histoire de la personne humaine dès l’instant de sa fécondation jusqu’au moment où elle achèvera sa course dans ce monde pour entrer dans l’éternité. Parce qu’il possède, et non pas seulement en apparence, tout ce qui est de l’homme dans toute son intégrité. Pour l’Eglise, l’embryon est vie dès le premier jour de la conception, et non pas à partir de son 12éme ou l5ème jour, et pour cette raison, il a droit à toute protection et à toute reconnaissance morale. Toute intervention sur lui, sous prétexte qu’il ne vit pas encore ou qu’il n’est pas encore suffisamment constitué en corps humain ou qu’il n’est pas encore indépendant du corps maternel, est du point de vue moral irrecevable. On peut affirmer ici, sans chercher à développer une quelconque polémique, que la question de l’interruption volontaire de grossesse ne fait que mieux ressortir les droits de l’embryon. C’est en tout cas ce que je comprends quand j’aborde les canons de l’Eglise notamment en matière d’avortement. J’ajouterai encore que la possibilité du choix du sexe de l’enfant, si l’on y regarde de plus près, tant du point de vue des choix des parents que de certaines manipulations génétiques possibles en vue de les contenter, présente vu sous cet angle de non moins graves dangers notamment eu égard à des objectifs douteux que certains hommes politiques ou de la science peuvent être tentés d’utiliser au profit de leurs stratégies respectives. Nous ne nous lasserons pas ici de répéter que chaque être humain est unique et que sa différenciation des autres hommes commence dès le moment de sa conception, qui est cet instant où la personne humaine acquiert sa réalité, son identité propre est tout son dynamisme propre, indépendamment des changements qui peuvent survenir par la suite. C’est cela qui fait en premier de l’embryon une personne avec sa conscience propre et sa volonté propre (cf. à ce propos la note complémentaire « 3/d » dans la bibliographie).

Il est vrai que dans ce domaine, les problèmes d’ordre moral sont délicats à soulever. La médecine ne doit pas perdre de vue les buts fondamentaux du mariage et tout ce qui relève du rôle et de la responsabilité des parents. Autrement dit, la fin ne peut en aucun cas justifier les moyens en matière de pratique médicale lorsqu’il s’agit de l’embryon (on peut, par exemple, citer ici le cas des mères porteuses et de tout ce que peut envisager la technologie moderne en 1a matière). Et ce parce que, pour l’Eglise, le mystère du mariage ne peut en aucun cas se limiter à la seule nécessité de la procréation. Si tel devait être le cas, alors tous les moyens seraient bons pour atteindre ce seul but. Dans le cas, par exemple des avortements, aucune loi ne pourra jamais imposer à qui que ce soit (médecin, sage-femme ou infirmière) d’agir à l’encontre de ses principes moraux. Aussi la question se pose de savoir comment on peut élaborer une éthique médicale susceptible de respecter les droits de l’embryon. Dans de nombreux pays il existe maintenant des comités d’éthique. Dans le journal  » KATHIMERINI  » du 5 février 1989, le professeur DOXIADIS est d’accord sur le fait que ces comités contrôlent les programmes de recherche sur l’homme ou les décisions à prendre dans des cas précis de malades. Mais il ne leur reconnaît aucun autre droit, notamment en matière de régulation des relations entre les médecins ou entre les autres professionnels de la santé.

Une telle attitude me semble juste parce que les règles de l’éthique ne sont pas un simple ensemble de règles de bons comportements, ni un code de situations prévisibles à devoir régenter. L’éthique se situe au-delà des règles et des codes. Elle est une attitude de vie, une manière d’être et en fin de compte, un critère pour un juste positionnement en face des problèmes du quotidien. L’Evangile est en mesure de mettre à la disposition de tout un chacun de tels critères, à la fois authentiques et objectifs. Aussi, si quelqu’un veut pratiquer la morale dans une perspective chrétienne, il lui suffit de laisser l’Evangile le saisir au plus profond de lui-même à travers sa raison, son vouloir, sa compréhension et ses démarches. Dans de telles conditions la science devient sagesse, créativité, don, bénéfaction puisque l’éthique rejoint la conscience de chacun. Dans ce domaine, le rôle de l’Eglise consiste surtout à proposer sa contribution sans rien imposer du tout, pour mieux permettre au monde de la médecine et de la science de résoudre, de la manière la plus authentique, les problèmes pratiques qui relèvent de l’éthique et de la déontologie. Cela nous ramène à notre propos initial : la morale chrétienne éclaire, de façon particulière, la valeur intérieure de chaque personne humaine. Elle est sur terre un être chaque fois unique et inestimable et ce parce que l’homme est à l’image de Dieu ; image honorée par l’incarnation du Dieu-Homme, Jésus-Christ. Pour cette raison la vie de l’homme est un bien inviolable et en tous points digne de respect ; le droit à la vie prévaut sur toute autre considération. 

3.- Pour l’Orthodoxie la vision de l’homme, de la vie et du monde est forcément théo-centrique : chaque homme n’est pas seulement un être logique éphémère mais essentiellement il est compris comme une icône immortelle de Dieu : tout ce qui a trait à sa condition naturelle est inférieur à ce qui est en lien étroit avec son existence divine. Le don de la vie biologique est sans comparaison, non pas parce qu’il s’inscrit dans la continuité du naturel, mais parce qu’il rejoint l’être spirituel : le commencement de la vie coïncide avec le commencement de l’âme ; l’évolution du premier détermine la situation du second. L’embryon est donc aussi une âme vivante. Et l’âme est cet élément de l’homme qui lui permet d’opter pour la sanctification ou le péché, pour le refus de Dieu ou la reconnaissance de sa manifestation parmi les hommes. En d’autres termes, il est en mesure de se contenter de son état naturel ou au contraire d’atteindre par grâce une physionomie divine du fait que l’âme continue à vivre après la mort malgré les lois naturelles et que librement elle peut se laisser féconder par les énergies de la grâce divine pour que l’homme soit déifié de par sa communion avec la nature divine. A cause de cela la vie biologique sur terre revêt une valeur incomparable car elle n’est pas un simple don de Dieu, mais elle se présente comme une occasion unique, celle de la participation de l’homme créé aux énergies incrées de Dieu à la divinité même de Jésus-Christ par le baptême. Le corps devient alors temple de l’âme et la vie sur terre vase mystique de la vie du monde à venir. Par conséquent, début de vie signifie en même temps début de l’âme : l’instant de notre naissance a plus de poids que celui de notre mort parce que la naissance est commencement d’éternité alors que la mort n’est que l’achèvement du provisoire.

Cela rejoint le point de vue des Cappadociens de refuser de circonscrire la nature incorporelle en des limites spatiales : pour Basile de Césarée, c’est par la raison que l’homme est à l’image du Créateur et non par sa forme corporelle et c’est pourquoi  » l’image n’étant vraiment image que dans la mesure où elle possède tous les attributs de son modèle « , elle ne peut être enfermée dans des délimitations spatiales puisque l’homme est créé à l’image même de Dieu (cf. Homélies sur l’Hexaemeron ; sur l’origine de l’homme et dans les Grandes Règles) ; quant à Grégoire de Nysse (cf. La création de l’homme) il soutient que :  » l’esprit… s’approchant de notre nature de telle sorte qu’il se joint à elle, (il) est à la fois en elle et autour d’elle, sans pourtant y avoir son siège ni l’enfermer en lui « . C’est ainsi que l’homme est véritablement un dans la composition d’âme et de corps.  » La question de l’animation de l’embryon, écrit le Dr Eric BARTHELME, apporte une confirmation décisive à cette manière de voir (c’est-à-dire à cette perspective religieuse des Cappadociens sur l’homme comme créature) car il permet en effet de concilier l’idée d’une nature humaine duelle et le mystère de la priorité et de la postériorité du spirituel sur le physique dans une conception selon laquelle le commencement de l’existence est unique et le même pour l’âme et le corps « . Grégoire de Nysse aura ainsi recours à l’image biblique des « tuniques de peau » (Gn 2, 21) pour désigner ce qui, à son sens, est rajouté à cette image créée selon celle de Dieu (Gn 1, 27) et le dégrade, à savoir la vie biologique et instinctive que l’homme partage avec les animaux depuis la chute (Sur la Virginité, PG 46/12, 373;376A)                     Ainsi l’homme est doté d’une structure ontologique très particulière puisqu’il conjugue en lui le monde de la matière et celui de l’esprit. Par nature il est constitué d’une âme et d’un corps depuis son commencement jusqu’à sa mort. Ainsi, dit encore Grégoire de Nysse :  » on ne doit pas placer la création de l’un de ses composants avant celle de l’autre : ni la création de l’âme avant celle du corps, ni l’inverse ; car alors l’homme serait mis en conflit avec lui-même si on le divisait par une distinction temporelle » (in La création de l’homme). Par conséquent nous pouvons affirmer ici que l’embryon est animé dès sa conception biologique. Cette question du statut anthropologique a été particulièrement éclairée chez saint Maxime le Confesseur par la christologie. Pour lui, la perfection de l’Incarnation impose que le Christ soit pleinement homme et pleinement Dieu dès le moment de sa conception. Or, le Christ révèle aussi ce qu’est l’humanité de l’homme, « Par conséquent, l’homme est constitué, selon Maxime le Confesseur, d’un corps et d’une âme dès sa conception biologique », dit le Dr Philippe CASPAR dans un article assez récent, où il étudie le statut de l’embryon humain chez les Pères de l’Eglise.   

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, si déjà le fait de cloner un végétal ou un animal relève d’une réflexion déjà complexe du fait que le clonage, d’une manière ou d’une autre, détruit la spécificité des créatures, combien le clonage humain n’est il pas inadmissible et scandaleux, même à titre d’hypothèse ou de simple utopie de savant. Pour le Dr Claude HIFFLER, cela relève « d’une diabolisation de la science ». Car, ajoute-t-il encore,  » toutes les créatures ont droit au respect de leur différence et de leur existence. L’homme en particulier, parce qu’il est une personnalité irréductible, à dessein divino-humaine, doit toujours se rappeler qu’i1 est  » à l’image et à la ressemblance de Dieu « , il ne doit jamais oublier qu’i1 est le jardinier et le gardien de la Création (Gn 2,15). Nos rapports avec notre propre corps et celui des autres exigent une vision sacramentelle d’amour et de respect, précisément parce que nous sommes par notre corps le Temple da Saint Esprit « .

Selon l’Eglise Orthodoxe le mariage remplit une double fonction : il vise à l’union de deux êtres, qui sont l’homme et la femme, et au fruit de cette union qui est la procréation, « afin que soit aussi perpétué le genre humain « . Le lien entre ces deux fonctions est indissoluble. L’union charnelle présuppose l’union des âmes ; la première est la conséquence de la seconde. Aussi la procréation apparaît ici comme un acte responsable par rapport à cette relation complexe qui naît du mariage. L’Eglise, pour sa part, ne voit pas cette relation comme une concurrence entre le corps et l’âme : ces deux éléments qui fondent la personne humaine ne diffèrent pas l’un de l’autre et ne se battent pas l’un contre l’autre. Dans le mariage les deux époux expriment fondamentalement leur unité spirituelle en utilisant pour ce faire le langage de leur corps. Et l’enfant qui va naître de cette union ne sera que le fruit de ce don réciproque que se font les parents entre eux. Seul donc le couple possède le droit de devenir parents et seulement l’un à travers l’autre.

Il me semble important de rappeler cette évidence parce que de nos jours, il y en a la nécessité du fait que :

1. Les progrès immenses de la médecine la rendent aussi plus dangereuse.

2. L’état, en légiférant de plus en plus dans le domaine de la santé, ne peut faire abstraction de la vie des individus et cela risque de créer des tensions entre les intérêts d’ordre social et la liberté des personnes.

3. Du fait qu’il se pose de nombreuses questions quant à la provenance et à l’utilisation des fonds qui sont alloués à la santé.

4. Et enfin parce que les citoyens possèdent plus de connaissances que par le passé en matière de santé. A une époque où l’on fait tant de place aux Droits de l’Homme, les scientifiques chrétiens se doivent de réfléchir à l’actualisation du thème de l’homme  » image de Dieu  » pour proposer un nouvel espace éthique indispensable capable de s’ouvrir dans une vision de transfiguration et non pas de défiguration de l’homme et du cosmos. Il nous suffit, pour cela, de nous souvenir des martyrs chrétiens de tous les temps, lesquels, en confessant le Christ, ont en même temps témoigné leur foi en l’éminente dignité de l’être humain.

B. LES DROITS DE L’EMBRYON

On peut tenter d’en dégager au moins trois :

1. Le premier est celui de son identité. Il lui revient de montrer son identité et sa personnalité. C’est à lui de nous dire qui il est et ce qu’il est et non pas à nous. De nous faire savoir s’il est ou non un homme parfait et de nous révéler ce qui le caractérise sur le plan physique et psychique qui le différencie des autres humains. Ce droit, la science et la société doivent le protéger. L’embryon est beaucoup plus ce qu’il va devenir que ce qu’il est maintenant.

2. Le second droit est celui de la vie. Sa finalité est de devenir un homme dans toute la plénitude de ce terme. Et ce dans les conditions optimales. Et de même le but de son existence doit seulement être tourné vers la vie et jamais vers l’expérimentation (comme c’est, ici ou là, le cas dans certains laboratoires) ou vers la question du surplus d’embryons pour lesquels on se pose tant de questions notamment quant à la possibilité de leur destruction, ou vers leur mise  » en veilleuse  » par congélation. Il est affligeant de savoir que pour des milliers d’embryons on a substitué le milieu chaleureux naturel de leur développement, qui est le sein maternel, par le milieu froid d’un congélateur et que l’on transforme la formidable capacité de vie qu’il contient en perspective de mort ou d’expérience scientifique.

3. Le troisième droit qui lui échoit tout naturellement est celui de l’éternité. L’embryon possède une âme immortelle. Le don qui lui est fait de passer par la matrice de la vie biologique à la vie de l’éternité rejoint ce même droit que lui offre Dieu d’être fécondé et de se multiplier.

C. PROTECTION ET RESPECT DE L’EMBRYON

C’est un fait que la vue d’un bébé émeut, non seulement les individus mais aussi toute société. Et cela est pleinement justifié car l’enfant mérite, de par sa fragilité même et tout ce qu’il représente pour l’avenir, tout sentiment sacré et tout respect.

Il devrait en être, sinon plus, de même pour l’embryon : son combat pour sa survie, son degré de dépendance et son incapacité de s’autoprotéger sont encore plus grands que ceux de n’importe quel bébé. Aussi la vie dépendante que mène l’embryon dans le ventre de sa mère est bien plus sacrée que celle déjà plus autonome d’un tout petit enfant. Il est de notre devoir à tous de faire en sorte que tout embryon bénéficie de toute aide possible pour survivre et se développer dans des conditions optimales. Parce que son existence dépend de notre seul bon vouloir, il nous est facile de la détruire.

Bien plus, la destruction d’un embryon c’est un refus de Dieu, un refus de lui permettre de se manifester dans le monde parce que la conception biologique d’un homme dans le sein maternel coïncide avec sa conception spirituelle dans la pensée de Dieu. Celui qui fait obstacle à la première bloque à la seconde toute perspective d’éternité. On peut préciser ici que le refus de concevoir l’embryon est un péché bien plus petit que celui de l’empêcher de continuer à vivre. De même qu’il n’est pas possible d’empêcher un enfant de devenir un jour un homme adulte et responsable, de même et plus encore il n’est pas possible de mettre un terme au combat que mène l’embryon pour accueillir en lui une âme car c’est porter atteinte à sa dignité. Assurément l’embryon n’est pas encore un être humain accompli et incontes-tablement il ne cesse pourtant d’être homme et en tout cas, en aucune manière il ne peut être  » un non-homme « .

Peut-être que cela ne convient pas à nos sociétés modernes. Elles voudraient bien que l’homme soit dépourvu d’âme et d’esprit. Il suffit pour cela de se tourner vers toutes ces théories de l’évolution, lesquelles sont des tentatives, non pas de prouver (cela n’est pas possible) mais de se convaincre que notre origine est naturellement animale. Le regard de l’Eglise est tout autre : l’éternité commence avec la conception et le potentiel que contient chaque embryon ne relève pas du domaine de l’abstrait mais annonce déjà le désir eschatologique qui est le propre de la nature humaine. Ce potentiel qui nous permet de nous demander ce que nous pouvons devenir ou ce pourquoi nous sommes appelés nous donne la force d’affronter notre vie terrestre qui est corruption et brièveté. Notre monde est un monde étrange, dans lequel résident le moins à cause de la chute et le plus à cause de notre désir de connaître Dieu. Un monde sans cesse en quête de nouveauté et de création. Pourtant, si priorité il y a, ce n’est pas d’améliorer d’abord notre quotidien mais de nous situer dans la perspective du monde à venir, qui pour nous les chrétiens est la construction du Royaume de Dieu.  » Déposons maintenant tous les soucis du monde, chantons-nous au moment de l’hymne des Chérubins lors de la Divine Liturgie, pour recevoir le Roi de toutes choses « . C’est dans cette perspective qu’il nous faut situer l’embryon : pour lui, comme pour chacun d’entre nous, il y a eu synergie entre Dieu et le désir des parents. Une synergie ou en toute humilité est venue s’ajouter un peu de science de notre science. Maintenant que ce  » peu de science  » de notre science a tendance à devenir plus important où se situe la véritable frontière entre la capacité de la science de mieux manifester le mystère de l’union de la vie naturelle avec l’âme, de la beauté du présent avec la splendeur de l’éternité et entre la capacité, qui peut aussi être la sienne, de mettre un terme brutal à la libre spiritualité de l’homme ? C’est à ce niveau, ce me semble, que se situe le problème de la survie ou de la destruction de l’embryon.

Permettez-moi, en guise de conclusion, de vous donner lecture d’un extrait de lettre, écrite par une femme de Suisse. Elle s’est fait avorter dans sa jeunesse et, bien plus tard, s’adresse directement à cet enfant qu’elle n’aura jamais eu. Cela non pas par sentimentalisme. Dans le tragique de son vécu les mots simples de cette femme résument bien tout l’objet de mon exposé. Et c’est cela que je tenais à vous communiquer afin de mettre, dans la sécheresse de nos propos et de nos raisonnements la voix du cœur, objet tout aussi indispensable à notre réflexion :

Mon enfant très aimé,

Depuis longtemps déjà je tenais à te dire ce que je porte dans mon cœur. Pardonne-moi de t’avoir empêché de voir la lumière. Tu es venu faire ta demeure dans mon corps… pour illuminer mon existence. Si tu savais combien malheureuse je suis aujourd’hui parce que tu n’es pas à mes côtés. Hélas, à l’époque je ne te voyais pas comme une personne mais comme un accident, un malheur, une injustice. Comme j’ai honte aujourd’hui ! … Malgré tout, je suis convaincue que toi tu es dans la jouissance de 1a lumière de Dieu. (Car) Lui il t’a ouvert les bras puisque moi je t’avais refusé les miens. Alors je te supplie, mon enfant chéri (si j’ai encore le droit de te nommer ainsi), prie pour moi, veille près de moi, aide-moi dans les heures difficiles que je traverse. Pour moi tu es un ange qui chante les merveilles de Dieu. Quant à moi, je suis sûre que j’ai encore une mission à accomplir sur cette terre. Aussi aide-moi à distribuer autour de mot la tendresse et l’amour que je t’ai refusés. Signé : Patricia ta maman !

BIBLIOGRAPHIE

1. Références patristiques :

– pour Ss Basile et Grégoire de Nysse cf. Encyclopedia Universalis 3, pp29-30 et 8, ppl4-15.

– pPour St Maxime le Confesseur, cf. l’article de M-H- CONGOURDEAU in « la politique et la mystique » Paris. Critérion 1984 ; « Maxime le Confesseur et l’humanité de l’embryon » et in « Nouvelle revue théologique » t-III, 1989, pp.693-709  » l’animation de l’embryon chez Maxime le Confesseur « .

2. Articles en langue française : 

– Revue « connaissance des Pères de l’Eglise » N°52/décembre 1993, sous la rubrique « santé et maladie chez les Pères »a) Dr Eric BARTHELME : « quelques aspects de la conception du corps chez Basile de Césarée et Gregoire de Nysse  » pp,l2-13 b) Dr Philippe CASPAR : « comment les Pères de l’Eglise envisagent le statut de l’embryon humain » pp,l7-18. 

– Revue « SYNAXE » N° 41 juillet-sept- 1997) : « bioéthique : clonage et transgénisme » par le Dr Claude HIFFLER pp.4-5. 

3. Articles en langue grecque : 

a) Archim. Nicolas HATZINICOLAOU :  » application de la technologie expérimentale sur des embryons humains  » in TIMITIKON APHIEROMA IS TON MITROPOLITIN KAISSARIANIS GEORGION -Athènes 1996 PP.349-367. 

b) Métropolite de Démétriados CHRISTODOULOS: Ethique de la déontologie médicale in TRlBUNE MEDICALE (IATRIKO VIMA), février 1990, pp.37-41 et loc. cit. mai 1989 : conception technique et éthique chrétienne pp. 47-48. 

c) la lettre de Patricia a été éditée par la revue « KATHOLIKI », Athènes, le 28/04/1998, p.3. 

d) Note complémentaire : texte ci-joint in « TIMITIKON APHIEROMA IS TON MITROPOLITIN KAISSARIANIS GEORGION  » loc, cit, et signé par l’actuel Archevêque d’Athènes SB- CHRISTODOULOS pp.167-171.    

– »  Le point de vue que la vie humaine ne commence pas dès la conception est ancien et on le rencontre dans le Droit Romain, lequel est influencé par la philosophie antique . Ainsi ce droit reconnaissait que l’embryon ,  » être inanimé, n’est pas à être compté parmi les vivants, puisque non reconnu comme homme , mais comme partie du sein maternel  » (cfr. C.Rallis: Droit pénal de l’Eglise orthodoxe d’Orient , p.222) . Malgré cela , ce même droit acceptait que le NASCITURUS, c’est-à-dire l’embryon , était du point de vue du droit un sujet jouissant de mêmes droits et des mêmes devoirs que tout être humain. Pour cette raison il punissait tantôt par la peine de l’exil tantôt par celle de la mort toute destruction de l’embryon . Aussi est-on à juste en titre en droit de se demander combien progressiste peut être considérée l’idée que soutiennent de nos jours ceux qui militent en faveur de l’avortement , à savoir que jusqu’à une certaine époque l’embryon n’est pas considéré comme un être humain , alors que cette argumentation ne remonte qu’à une législation qui est appliquée depuis seulement à peine 20 ans.

– Il est vrai que dans le livre de l’Exode ( ‘Ancien Testament – Exode , chap. 21/21-23) il existe un verset, lequel à première vue donne l’impression de concourir à l’idée que durant les stades initiaux de son existence l’embryon n’est pas considéré comme un être humain. Et ce parce que ce verset fait la différence entre embryon  » représenté et non représenté « . Sur la base de cette distinction le fauteur d’un avortement sur une femme enceinte n’est pas puni si l’embryon  » n’est pas représenté  » tandis que dans le second cas il est puni au même titre qu’un meurtrier ayant provoqué la mort. Toutefois, cette conclusion n’est pas la bonne, même si à première vue elle semble bien fondée, du fait que tout l’enseignement patristique, lequel est toujours en parfaite harmonie avec les Saintes Ecritures, considère que l’homme existe dès l’instant de sa conception. Je fais référence parmi les nombreux témoignages au second Canon de Saint Basile le Grand, qui jouit d’une autorité œcuménique… Et de même, je rappelle les 3ème, 4ème et 6ème Conciles œcuméniques qui se sont penchés sur la naissance selon la chair du Seigneur et qui ont dogmatisé sur Son existence animée dès l’instant de sa conception  » par l’opération du Saint Esprit dans le sein de la Vierge Marie  » ……

– Je reviens donc à ce que j’avais dit précédemment sur le verset du livre de l’Exode : si l’embryon est « non représenté », cela signifie que la grossesse n’étant pas encore apparente, le responsable ignorait donc cela et pour cette raison ne pouvait pas être passible de punition en cas d’avortement causé par son acte. Dans le cas d’une grossesse avancée ( embryon « représenté » ) , il est évident qu’il ne pouvait pas l’ignorer . Autrement dit, la loi mosaïque, pour pouvoir mesurer le degré de responsabilité de l’agresseur, a voulu s’appuyer sur un critère objectif et il ne s’est pas contenté du seul témoignage par exemple de la femme enceinte elle-même en ce qui concerne le mois de sa grossesse ( Cfr. Archim. Epiphane Théodoropoulos :  » L’embryon humain est-il animé dès sa conception ou plus tard ?  » in ORTHODOXOS TYPOS du 2-5-1986)

– Par conséquent l’Eglise soutient que dès l’instant de sa conception l’homme existe en tant qu’entité qui mérite respect, protection et honneur. En même temps que la conception commence la vie et en même temps que la conception aussi le corps reçoit une âme, il est animé. C’est pour cela que notre Eglise honore comme fêtes les conceptions de certaines personnalités marquantes telles que, par exemple, celles du vénérable Baptiste, de sainte Anne etc. Les Saints Pères développent le point de vue que l’embryon est vivant dès sa conception puisqu’il n’est pas possible que le corps reste sans âme. Selon ce même enseignement d’ailleurs, la conception de l’homme n’est pas simplement l’œuvre de la nature ni même de la seule relation qui découle entre les époux ; elle est aussi l’œuvre de la Divine Providence … (Cf. Archimandrite Hiérotheos Vlachos in ANATOLIKA, Vol.A , p.148) . Très caractéristique est à ce sujet cette phrase de saint Jean Chrysostome :  » Le fait de donner naissance relève d’en-haut . Il procède de la providence de Dieu. Rien ne peut lui suppléer : ni la nature de la femme , ni l’union des sexes, ni rien d’autre d’analogue « .

– Cette vision des choses est partagée mêmement tant par l’Eglise Orthodoxe que par l’Eglise Catholique Romaine. Plus particulièrement le Saint Synode de la Hiérarchie de notre Eglise (de Grèce bien entendu) a pris position contre l’avortement ( Lettres encycliques des 27-11-85 et 1-4-86) en se basant rigoureusement sur l’enseignement de l’Eglise, à savoir que la vie commence dès la conception. Parallèlement l’Eglise Catholique Romaine a pris position contre les avortements avec l’édition des Encycliques Papales  » CASTI CONUBII  » de Pie XI (1930),  » MATER ET MAGISTRA  » de Jean XXIII (1961) et  » HUMANAE VITAE  » de Paul VI (1968).

– Je ne souhaite pas m’étendre dans d’autres directions scientifiques parce que je crois que la parole de l’Eglise, fondée sur la Révélation divine, est supérieure à la parole humaine, même si elle se présente sous le couvert de la science ….

En ce qui concerne la législation civile, l’auteur cite : la loi grecque 1468 AK, laquelle reconnaît l’embryon comme entité dès sa conception. Il fait aussi mention de la loi grecque 1609/86 qui légalise l’avortement jusqu’à la l2ème semaine à partir de la conception mais pour lui elle est anticonstitutionnelle eu égard à l’article 5, § 2 de la Constitution Hellénique , lequel protège la famille, le mariage et la maternité. Il ajoute que la Convention de Rome de 1950 protège pleinement la notion et le sens de la vie humaine.

– Sur le plan de la science, l’auteur rappelle que les nouvelles données scientifiques insistent sur le fait que la vie humaine commence dès lors que la cellule embryonnaire se met à se multiplier, ce qui veut dire selon lui, dès l’instant de la conception. Il rejette donc l’idée que le début de la vie pourrait devenir effectif à partir du moment où l’être conçu commence morphologiquement à ressembler à un être humain. Il rappelle aussi les combats menés aux différents Parlements européens et aux Etats-Unis d’Amérique pour que l’on ne vote pas une loi permettant l’avortement sous n’importe quelle condition : l’avortement est légal en France pour les dix premières semaines ; en Angleterre jusqu’à la 24ème semaine, ce qui ne fait , toujours selon lui, qu’ajouter aux difficultés du problème quant à la fixation du moment où il devient nécessaire de protéger la vie.Pour terminer il conclut de la manière suivante:  » Le point de vue par ailleurs que la vie commence le 15e ou le 14e jour ne peut être reçu par l’Eglise et ce parce que la science qui semble soutenir cette thèse n’offre pas de critères sûrs, d’autant que cela est en contradiction avec l’Ecriture Sainte « .2&3-1998 19.