SAINT ANDRE DE CRETE
Viimati muudetud: 24.03.2015
SAINT ANDRE DE CRETE
Grande est la malice dont use le diable contre les martyrs du Christ, surtout lorsqu’il les voit entrer courageusement dans la lice et servir Dieu fidèlement sans jamais L’offenser. Comme les expédients de cette malice sont variés à l’infini, il est besoin, pour s’en défendre, d’un grand courage, et comme armure, d’un ardent amour du Christ ; sinon, on est exposé à être écrasé et à tomber entre les mains exécrables de cet ennemi qui trouve sa jouissance à insulter les enfants de Dieu. En effet, tantôt par lui-même, tantôt par ses suppôts, il cherche à outrager de toutes façons les serviteurs du Christ ; il fait rouler les uns au fond des précipices, il fait exposer les autres aux morsures des bêtes sauvages ; il allume une fournaise pour ceux-ci, il creuse un gouffre béant pour ceux-là ; pour d’autres il prépare une roue, pour d’autres encore il aiguise un glaive ; bref, il invente pour chacun d’eux un nouveau genre de supplice.
Mais les martyrs le tournent en dérision, quand, faisant peu de cas de tous ces tourments, ils en réclament de plus violents, afin de témoigner davantage l’amour ardent dont ils brûlent pour le Christ. A la vérité, le diable a fait mourir quantité de serviteurs du Christ, et triomphé en eux du corps mais jamais de la résolution, de la volonté et de l’âme qui est supérieure à tout. C’est donc lui en définitive qui a été vaincu et qui a subi la honte d’un échec, quand, malgré les tortures qu’on faisait endurer à leur chair, les martyrs ont su maintenir leur âme invincible. Tel est, précisément le triomphe qu’a remporté sur lui le généreux et bienheureux martyr André. Cet athlète, en supportant ces tortures et d’autres plus cruelles, non seulement remporta sur l’ennemi une brillante victoire, mais encore offrit un exemple remarquable qui a donné du courage à tous ceux qui ont ensuite marché sur ses traces. Le saint dont nous allons parler a donc accompli des exploits vraiment admirables ; mais il ne faut pas oublier qu’il s’y est préparé par une longue suite d’actions saintes, vraiment dignes d’être proposées pour exemples ; par conséquent il ne suffit pas d’écouter avec intérêt le récit des combats d’André, il faut en outre s’appliquer à imiter les vertus qu’il a pratiquées.
Il vit le jour en Crète, qui était alors régie par les lois les plus admirables. Il s’adonna dès son enfance à la piété qui distinguait sa patrie, et donna promptement l’exemple des vertus. La gloire humaine ne lui parut point digne de louanges ; les richesses ne captèrent point son admiration ; il ne chercha point à se procurer une vie molle et désœuvrée ; mais il se soumit à un genre de vie dur, rigide et âpre, qui était tout à fait propre à le préparer à la lutte. Comme il brûlait d’un ardent amour pour la vertu et qu’il était affranchi des voluptés charnelles, il remporta d’éclatantes victoires sur les ennemis de notre âme, et devint pour tous un admirable exemple pour reconnaître et suivre la voie du salut. Il parvint à persuader nombre de ses compatriotes de mépriser les choses de ce monde, et de tendre vers le ciel, là où les sages nous disent que se trouve et se trouve réellement notre vie véritable. Tel était donc son genre de vie ; telle était la croyance qui guidait ses actions, c’est-à-dire celle que les apôtres avaient transmise et à laquelle sa patrie était fermement attachée. Du reste, à cette époque, l’univers entier jouissait paisiblement de la possession d’une religion pure et sincère, au milieu de laquelle ne croissait aucune graine du semeur de zizanie. Le malin, témoin de cette longue prospérité et de la parfaite tranquillité dont jouissait l’Eglise, se sentit piqué de jalousie, et il ne put pas supporter plus longtemps cet état de choses. Aussitôt il se mit à chercher quelle ruse il pourrait imaginer pour entamer l’Eglise. Il reconnaissait désormais presque impossible de persuader les chrétiens de quelque hérésie touchant la divine Incarnation du Christ, car depuis longtemps la foi sur ce point était immuablement affermie ; elle avait, comme dit David, étendu ses branches jusqu’à la mer et ses racines jusqu’aux fleuves ; de son ombre, elle recouvrait les montagnes et ses rejetons dépassaient les cèdres les plus élevés ; l’infernal sanglier, se précipitant hors de sa forêt embrasée, conçut le projet de ravager la vigne du Seigneur par un moyen nouveau qui aboutirait à peu près aux mêmes résultats que l’antique négation touchant l’Incarnation divine. Il lui sembla qu’en abolissant le culte des saintes icônes, il arriverait de nouveau à saper la croyance à l’Incarnation du Sauveur ; car ce qu’on fait à l’image atteint indirectement la personne qu’elle représente.
Satan entreprit donc peu à peu le scélérat et le misérable qui, à cette époque gouvernait l’empire, et qui se nommait Constantin. C’était, sous le rapport religieux, l’antipode de son homonyme, qui reconnut le premier comme officiel le christianisme ; aussi le diable n’eut-il beaucoup de peine à le persuader que c’était un sacrilège pour les chrétiens de rendre un culte véritable aux icônes sacrées. L’empereur imbécile rendit donc un édit par lequel il proscrivait ce culte comme entaché de paganisme. La vérité était qu’il comprenait mal la notion de ce culte, et faisait un mélange aussi insensé que périlleux de choses qui ne pouvaient en aucune façon s’associer. En effet, les images dont le prototype est impie sont naturellement considérées comme impies par ceux qui professent la vraie religion. Mais celles dont l’exemplaire est vénérable et adorable ne doivent-elles pas forcément être tenues par eux comme pareillement adorables et vénérables ?
Ainsi donc, Constantin, conformément aux instructions du diable, promulgua un édit qui abolissait le culte des icônes sur toute la surface de la terre, et menaçait de terribles supplices tous ceux, sans distinction d’âge ni de rang, qui n’accueilleraient pas avec joie et empressement cette ordonnance et ne s’y soumettraient pas absolument. Bien plus, était passible du châtiment quiconque honorerait, ne fût-ce que par un mot, une image sacrée. Il était prescrit de sévir principalement et sans merci contre les officiers, quels qu’ils fussent, qui auraient admis aux fonctions dépendantes de leur administration, des sujets coupables de désobéissance à l’édit, attendu que leur soumission devait exercer plus d’influence que celle des autres. L’empereur se livra donc aveuglement aux accès de sa fureur, sans se préoccuper en aucune façon de l’intérêt public. La conséquence de ces terribles menaces fut que les villes devinrent désertes ; car les habitants s’enfuirent dans les montagnes pour échapper aux appariteurs ; les prisons devinrent trop étroites, car on les emplissait non plus de voleurs, d’assassins et d’autres malfaiteurs, mais de gens pieux, religieux, craignant Dieu, adonnés aux jeûnes, aux veilles, aux larmes, destinés à jouir des plus grands honneurs dans la Jérusalem céleste.
Dès que cette guerre cruelle et acharnée eut été déclarée dans toute l’étendue de l’empire, on en vit, hélas !, et en grand nombre, se plier aux circonstances, et affecter la servilité le plus écœurant dans leurs paroles et leur conduite. Mais le bienheureux André ne put pas supporter ces chaînes honteuses, ni rester insensible à ces milliers d’âmes pieuses auxquelles on voulait fermer les portes du ciel. Il jugea que le temps était venu d’étaler courageusement au grand jour le zèle ardent qu’il nourrissait depuis longtemps en son âme. Il quitta donc sa patrie, s’arracha au sol qui l’avait vu naître, et accourut à Constantinople comme un athlète vaillant et généreux, qui vient d’achever ses exercices préparatoires et brûle du désir de descendre dans l’arène. Sans redouter les officiers ni quoi que ce soit, il se jeta dans la mêlée, et se mit à censurer librement la mauvaise secte de l’empereur et tous ceux qui étaient de son parti. On l’entendit proclamer hautement l’honneur qui était dû aux icônes sacrées : « Oui, répétait-il sans se lasser, il faut vénérer les images pour les mêmes raisons qui nous font honorer Dieu. » Il ajoutait qu’il était expressément venu à Constantinople pour démasquer les embûches dressées par le diable, pour amener à résipiscence ceux qui avaient eu le malheur de trahir les intérêts de leur salut, pour leur rendre courage et pour protéger et affermir par ses prières, ses exhortations et ses conseils, ceux qui n’étaient point encore tombés.
Comme le bienheureux André s’exprimait ainsi en public sans daigner user d’aucune précaution de langage, on vint en avertir l’empereur. Constantin se fit dresser un tribunal hors de la ville, devant la basilique du martyr Mamant. Là, s’entourant du faste le plus exagéré, ayant à ses côtés une multitude innombrable d’assesseurs et de satellites, il semblait défier les regards des spectateurs. Son oeil terne et farouche s’abattait avec la férocité d’une bête sauvage, sur les orthodoxes ; il faisait fouetter horriblement les uns avec des nerfs de bœufs, livrait les autres aux flammes ou à divers genres de supplices ; à ceux-ci on crevait les yeux, à ceux-là on arrachait la langue, afin que les premiers ne puissent jouir de l’héroïsme des autres athlètes, et puiser du courage dans la vue de ces exemples ; afin que les seconds ne puissent exciter leurs compagnons à la lutte, et pour ainsi dire les tenir par la main en les exhortant et les conseillant ; il y en avait enfin à qui, dans un accès de colère, on amputait les pieds et les mains. Le bienheureux André fut blessé au cœur à la vue de ce spectacle lamentable ; il se sentit animé de courage et de force pour protester publiquement en faveur du Seigneur, et après avoir fait en son cœur cette prière : « Seigneur, guide mes pas », il se jeta au milieu de la foule des spectateurs, se frayant un chemin à travers la multitude, esquivant ceux qui tentaient de l’arrêter, et arriva soudain en présence de l’empereur. « Pourquoi donc, Sire, lui cria-t-il, pourquoi, si tu es chrétien, t’acharnes-tu avec tant de barbarie contre l’image du Christ et contre ses serviteurs ? » Le tyran ne put supporter une telle liberté de langage, qu’il considérait comme un outrage public à sa majesté : aussi interrompit-il immédiatement le saint et ordonna-t-il à ses gardes de se saisir de lui. Les officiers, dont les mains étaient avides de meurtre, se jettent aussitôt sur le bienheureux ; les uns l’empoignent par la tête, les autres par les mains ; ceux-ci le tirent par le manteau, ceux-la par la tunique, tous l’accablant à qui mieux mieux d’outrages. Pour plaire davantage à celui qui venait de les commander, ils jettent à terre le saint, dont l’âme habitait dans les régions célestes, et ils ne cessent de le tirailler, de le traîner jusqu’à ce que l’empereur estimant que l’athlète soi était suffisamment châtié de sa liberté de langage et voulant faire ostension de clémence, leur ordonnât de cesser. Il le fit ensuite approcher et se tenir debout en sa présence, afin d’essayer de gagner par la douceur celui que les mauvais traitements n’avaient point effrayé. « D’où vient, lui dit-il, que tu pousses l’audace et la grossièreté jusqu’à refuser d’obéir aux ordres de l’empereur, et à débiter hors de propos et sans l’ombre d’un motif en sa présence tout ce qui te passe par la tête ? Tu as probablement choisi ce moyen pour attirer d’une façon quelconque sur toi l’attention de l’empereur. Eh bien ! tu y as parfaitement réussi et tu obtiendras de moi tout ce que tu désires, pourvu que tu adoptes mon sentiment et que tu fasses une profession de foi telle que la raison ordonne qu’on la fasse. Tout alors ira pour toi à souhait. » Notre admirable saint répondit : « Sire, ce n’est ni l’audace, ni la grossièreté, ni le désir d’attirer ton attention ou d’obtenir de toi quelque faveur qui m’a amené ici. Qu’ai-je besoin de ce que tu possèdes ? Je puis même ajouter : qu’ai-je besoin des biens de ce monde, puisqu’il y a longtemps que je les méprise, comme n’ayant pas plus de réalité qu’un songe. L’unique bien qui m’est agréable, c’est de jouir de la paix de l’âme et de vivre en union intime avec Dieu. Mais comme j’ai appris que tu professais des dogmes étrangers à la foi, que tu détournes les chrétiens de rendre aux icônes sacrées le culte qui leur est dû, et qu’ainsi tu jetais le trouble parmi tes sujets et la confusion dans l’Eglise de Dieu, je n’ai pu supporter qu’une si horrible injustice soit commise sans soulever de protestation ; abandonnant aussitôt ma patrie et mes parents et traversant la vaste étendue des mers, je suis venu, le cœur brûlant de zèle, avec l’intention ou bien de t’affranchir de cette erreur sacrilège, ou bien de donner ma vie pour le Christ, qui, tout Seigneur qu’Il était, a daigné donner la sienne pour moi, sa pauvre petite image. » – « Certes, répondit l’empereur, c’est dans un dessein merveilleux et gigantesque que tu as entrepris ton voyage, à savoir pour amener à ton petit sentiment et l’empereur lui-même et tous les magistrats et jusqu’au pontife vénérable de notre ville. Mais laissons de côté les longs discours, écoute les conseils que je te donne : sors de l’épais nuage qui t’enveloppe, obéis à tout ce qu’ordonne notre puissance et contente-toi de penser comme tout le monde. Sinon, tu éprouveras par expérience combien il en coûte de manquer de jugement, de se persuader vainement qu’on est quelque chose et de se conduire avec arrogance vis-à-vis des empereurs, en s’en tenant exclusivement à son propre sentiment. »
En entendant ces paroles, le martyr se contentait de lever les yeux au ciel et fit cette prière : « Non, O ! Christ, mon Sauveur, je ne Te renierai pas ; Je ne Te frustrerai pas de la gloire d’une belle confession ; jamais je ne mépriserai ton Image ; Jamais je ne me désintéresserai, autant qu’il est en mon pouvoir, des souffrances qu’on fait endurer à tes fidèles serviteurs. Sire, fais-moi rouer de coups, fais couper ma langue, amputer mes pieds, si cela te plaît. Car je suis prêt à tout souffrir plutôt qu’à déshonorer en quoi que ce soit mon Christ, qui est tout pour moi et que depuis longtemps j’ai pris la résolution de suivre uniquement. »
Le tyran reprit : «Ne faut-il pas être fou ou du moins avoir l’esprit hébété, obtus, pour attribuer à une matière grossière et corruptible la Gloire d’un Dieu qui est à une distance infinie de toute matière et que ne peut atteindre en aucune façon la corruption et enfin pour refuser d’écouter le saint législateur Moïse qui défend expressément de tailler des statues. Telle est la gravité de la maladie qui vous bouleverse l’esprit, que non seulement vous résistez à l’autorité de propos délibéré mais encore vous vous précipitez tête baissée dans le péril. Mais, voyons, rends-toi bien compte de tes actions : ce n’est pas pour la défense de la vérité ni pour l’amour du Christ que tu vas endurer le dernier supplice, mais c’est uniquement pour expier un acte d’audace, qui n’a pas l’ombre de raison.» Le généreux athlète ne put écouter ces outrages d’une langue blasphématrice; il lui sembla que ne pas venger en cette circonstance l’injure faite aux icônes, c’était trahir le bien, et il répondit en ces termes à l’empereur : «Exécrable tête, penses-tu donc que ce n’est point souffrir pour le Christ que d’endurer des tortures pour l’honneur de son image et que l’outrage que l’on fait à une statue n’atteint pas la personne qu’elle représente ? Et comment se fait-il donc que vous condamniez aux derniers supplices ceux qui ont insulté les statues des empereurs, de même que ceux qui vous injurient personnellement ? Et pourtant ne sait-on pas que ces statues d’airain, si parfois elles sont dorées à l’extérieur, ne contiennent à l’intérieur que de la poix, des étoupes, du bois, et d’autres matières viles et abjectes ? Si donc vous, qui n’êtes que poussière et n’existerez plus demain, vous consentez à être ainsi honorés par des statues et des images, vous faites vénérer comme des demi-dieux, et punissez cruellement quiconque offense les statues impériales, comment osez-vous entreprendre quelque chose contre l’image même du Christ, comment ne comprenez-vous pas que l’outrage s’adresse alors à la personne même, que représente la statue ? Comment enfin osez-vous affirmer que ceux qui se déclarent prêts à tout souffrir pour Lui ne s’exposent pas au péril par amour de la vérité ?» Le martyr, continuant son discours, se disposait à expliquer le texte allégué de Moïse, à préciser quelle espèce de statue il avait défendue, à faire remarquer que lui-même avait ordonné de fondre des statues de séraphins, qui cependant sont incorporels par nature. Mais l’empereur l’interrompit subitement : «Il est temps, dit-il en s’adressant son entourage, d’apprendre à cet homme a être modéré et prudent et de le punir des témérités de sa langue, comme il vient de le rappeler lui-même, ceux qui insultent les statues royales méritent de subir inexorablement un supplice cruel, quel châtiment ne doit-on pas infliger en toute justice a celui dont la langue scélérate s’attaque audacieusement et impudemment à notre personne même ?» Il prononça ces paroles en lançant des regards furieux au martyr, et en gesticulant selon son habitude, puis il s’écria d’une voix tonnante : «Qu’on le dépouille de ses vêtements, qu’on lui tende les membres avec des cordes et qu’on le flagelle rudement.»
Cette sentence ne changea absolument rien aux dispositions généreuses du saint; l’attente assurée des coups et des blessures qu’il allait recevoir ne refroidit nullement son zèle; au contraire, les colères et les menaces de l’empereur ne firent qu’attiser sa sainte ardeur. L’empereur, voyant qu’il avait affaire à un homme courageux et inaccessible à la crainte, disposé à supporter tous les maux plutôt que d’abandonner son sentiment, craignant que les tortures n’aboutissent qu’à rendre le saint plus tenace, de même que les coups ne rendent que plus entêtés certains animaux; il prit donc le parti de feindre la clémence : «Voyons, dit-il en s’adressant au martyr, n’attends pas d’avoir expérimenté les supplices; obéis à notre décret, et soustrais-toi par ce moyen aux maux qui te menacent.» Le martyr du Christ leva les yeux de l’âme et du corps vers son agonothète et Le pria intérieurement d’affermir inébranlablement en lui la vénération qu’il ressentait pour les icônes sacrées; puis, abaissant les yeux et les dirigeant vers le tyran, il dit : «Sire, à ce que je vois, tu négliges la guerre contre les barbares et l’administration de tes états, pour concentrer tous tes efforts contre le Christ et ses serviteurs. Penses-tu donc, en agissant de la sorte, pouvoir tenir paisiblement les rênes de l’empire romain ? Ne redoutes-tu pas le Jugement de Dieu ? Ou bien t’imagines-tu qu’Il ne jugera pas toutes tes actions ?»
Ces paroles suffirent pour démasquer la feinte douceur du tyran, qui, retournant à sa férocité naturelle, fit fouetter horriblement le martyr avec des nerfs de bœufs. Les officiers de son entourage, désireux de satisfaire la fureur de leur maître, battirent avec rage le martyr, et lui couvrirent le corps de plaies affreuses, d’où le sang précieux découlait et rougissait la terre; quelques-uns même, saisissant des glaives, se précipitèrent sur l’athlète pour le tuer; d’autres lui lançaient des pierres et l’accablaient de toutes sortes d’outrages. Ils ne songeaient pas, les malheureux, qu’ils se faisaient tort bien plutôt à eux-mêmes qu’au martyr : car en s’appliquant à conserver l’amitié d’un roi, qui ne dure qu’un temps, ils se rendaient Dieu hostile, et se préparaient par-là des larmes pour le jour du jugement, tandis qu’ils ménageaient de la joie au saint athlète. Mais l’empereur voulait à tout prix triompher de la résistance du martyr. Je ne sais comment mais, tout stupide qu’il était, le tyran ne laissait pas de reconnaître qu’il y avait habilité, en cette circonstance, d’essayer par tous les moyens possibles de gagner le saint, parce qu’alors il gagnerait du même coup beaucoup d’autres orthodoxes, attendu que prendre la tête, c’est saisir en même temps les membres du corps qui suivent nécessairement. Mû par ces réflexions, l’empereur ordonna de cesser les coups et tenta de nouveau de gagner le bienheureux André par la persuasion et par l’apparence d’une fausse bonté. Il le fit approcher près de lui, rendit sa parole plus douce que l’huile, tout en lançant secrètement des traits aigus sur le juste et en lui enfonçant traîtreusement le poignard dans le cœur. Mais, dès qu’il s’aperçut qu’il n’obtenait absolument rien par les caresses, que le saint au contraire n’en profitait que pour attaquer avec plus de liberté sa folie, il jeta de côté la peau d’agneau dont il s’était recouvert, et se montra à tous tel qu’il était en réalité, c’est-à-dire un loup.
Il ordonna d’abord de briser avec des pierres la mâchoire du martyr, pour le punir des paroles piquantes dont il lui avait blessé le cœur. André, imitant alors le proto-martyr Etienne, se mit à prier pour ceux qui le frappaient avec les pierres.
L’empereur envoya alors le bienheureux en prison comme un coupable condamné; mais il ne songeait pas qu’il procurait par ce moyen un habile docteur aux chrétiens qui s’y trouvaient déjà renfermés. André se réjouit à l’exemple de saint Paul des souffrances et des tortures qu’on lui infligeait, et rendit de ferventes actions de grâces au Dieu bienfaisant et clément, qui daignait lui procurer l’honneur de souffrir la prison et les coups pour la Gloire de son Nom. Dès son arrivée, il se mit à instruire et à affermir tous ses compagnons de captivité, non seulement par ses discours pleins de foi et d’ardeur, mais encore par l’allégresse spirituelle avec laquelle il endurait les épreuves pénibles de la prison. Son corps était retenu dans les fers, mais son âme, sans attendre qu’on eût brisé ses liens, s’envolait d’avance en esprit dans les demeures célestes, tellement que le courageux athlète accusait le tyran de trop tarder à le délivrer du poids de la chair et à le débarrasser des liens naturels de la vie d’ici-bas. Pour lui, en effet, le corps n’était qu’une prison, qui retenait l’âme éloignée de son centre, qui par son enveloppe l’empêchait de s’envoler vers les douceurs qui lui étaient réservées et de jouir de l’inénarrable béatitude qui l’attendait. Quelques jours après, l’empereur ordonna de tirer le martyr de sa prison et le fit de nouveau comparaître en sa présence. Il pensait que la crainte des tourments qui lui étaient réservés, jointe aux souffrances qu’il éprouvait des tortures précédentes, devaient avoir brisé sa force de résistance, et que désormais il se montrerait plus lâche et plus coulant. Mais quand il eut constaté que le saint était plus audacieux que jamais et que son amour du Christ n’avait fait que s’aviver avec le temps, il commanda à deux licteurs de le dépouiller et de fouetter rudement ses membres qui portaient encore les traces visibles des coups reçus précédemment. Les bourreaux se mirent à déchirer les chairs du saint, à lui labourer les flancs, à lui arracher des lambeaux de chair. Mais tous leurs efforts ne parvinrent point à lui ravir le trésor de sa foi. Enfin, le tyran, voyant que tout était inutile, hésita quelques instants, puis il le déclara vaincu en prononçant contre le saint la sentence de mort. Il ordonna de lier le martyr par les pieds, de le traîner par toute la ville et de le jeter dans la fosse où l’on précipitait les cadavres des suppliciés. Tel est le lieu infâme que l’empereur assignait à celui qui était digne de l’Eden, des demeures d’en haut et du ciel lui-même.
Tandis que le bienheureux, accomplissant la course de sa lutte suprême, était traîné sur les pavés du forum, un pêcheur qui s’y trouvait assis pour vendre quelques petits poissons qu’il avait pris dans la mer, ayant appris la raison pour laquelle on faisait subir au martyr ce honteux supplice, le sentit soudain poussé par le démon, et saisissant un couteau sur le marché, il coupa le pied du bienheureux André, et mit fin à sa course en même temps qu’à sa lutte, car cette amputation fit mourir le vaillant athlète. Le généreux lutteur s’enfuit alors vers les cieux, il monta vers Celui qui avait rendu ses voies irréprochables, qui avait donné à ses pieds l’agilité du cerf et lui offrait un refuge sur les hauteurs.
Telle fut la vie de saint André; tel est le récit des combats qu’il livra sur cette terre. Telle fut la vaillance de son âme, tel fut le courage qu’il déploya dans la lutte. Les bourreaux qui avaient traîné le corps du bienheureux le jetèrent, dès qu’il fut mort, dans la fosse des supplices, et ce trésor précieux demeura longtemps dans ce cloaque infect; mais la divine Providence prit soin de le défendre contre les bêtes sauvages et les oiseaux de proie, afin que s’accomplit de nouveau en notre saint les paroles de David : «Ils ont exposé les cadavres de tes serviteurs aux oiseaux du ciel; les chairs de tes saints aux bêtes de la terre. Ils ont rendu leur sang comme si c’eût été de l’eau.» Et encore : «Il n’y avait personne qui voulût les ensevelir», jusqu’à ce que Celui qui avait donné à sa chair infirme la force de lutter glorieusement et de conquérir la couronne de gloire inspirât à de pieux fidèles la pensée de ne point laisser perdre le précieux trésor, savoir les saintes reliques du martyr. Dieu ne permit pas que ce corps vénérable demeurât éternellement enfoui, et voici comment il le fit découvrir : douze hommes que de mauvais démons possédaient depuis longtemps allaient courant de côté et d’autre, partout où les poussait le malin esprit qui dominait en eux. Or, il arriva un jour qu’ils se trouvèrent tous réunis dans un même lieu. Ils résolurent alors, afin de supporter plus facilement leur commun malheur, de se tenir toujours ensemble, et après qu’ils eurent parcouru un vaste espace de terrain, ils se sentirent poussés tous à la fois vers le lieu où l’on jetait les cadavres des malfaiteurs, là où avait été précipité le corps du saint martyr, et ils se mirent à invoquer le saint par des cris confus et inarticulés. Puis se jetant sur le monceau de cadavres, ils les écartent avec les mains pour mettre à découvert celui du bienheureux. Chose merveilleuse, ils reconnaissent entre autres le corps du martyr, dont la vertu surnaturelle et peut-être aussi l’odeur suave les avaient attirés, et ils emportent ses saintes dépouilles. On les déposa religieusement dans un lieu décent, appelé Brisis. Quant aux possédés, ils furent guéris en récompense de leur bonne action, et retournèrent joyeusement chez eux. Depuis cette époque, nous sommes toujours en possession de ce précieux trésor, qui nous guérit des maux qui fondent sur nous incessamment. Quiconque souffre d’une maladie, d’un coup reçu, d’un accident survenu, sera certainement délivré de ses douleurs s’il s’approche avec foi du tombeau de saint André, et il y recueillera en outre pour son âme une grâce abondante par la Bénignité et la Clémence de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartient toute gloire, en union avec le Père et le saint Esprit maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.