Avaleht/Orthodoxie/Commentaire du Credo – 5
Commentaire du Credo – 5
Viimati muudetud: 06.03.2015
Partie 5
Je crois en l’Eglise…
En Occident, il y a une longue tradition de refus de l’expression : » Je crois en l’Eglise « , depuis Paschase Radbert (790 ?- 865 ? abbé de Corbie, né en Soissonnais) jusqu’au cardinal de Lubac (H. de Lubac Méditation sur l’Eglise Coll Théologie n°27 Ed Aubier-Montaigne 1953, note 38, pp22-23), en passant par Pierre Chrysologue (évêque de Ravenne de 433 à 450) et Karl Barth (Esquisse d’une dogmatique, Bibliothèque théologique Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1960, 2è édition, p139). On se dit qu’on ne peut croire qu’en Dieu seul. » Ne disons donc pas : » Je crois en la sainte Eglise catholique « , mais, supprimant la syllabe » en « ,disons : Je crois la sainte Eglise catholique » (Paschase Radbert, de fide, spe et caritate PL col 1402-1404), c’est-à-dire, je crois que l’Eglise est catholique, tout comme je crois, pour reprendre les termes du Symbole des apôtres, » que la vie éternelle » nous est promise, qu’il y aura » une résurrection de la chair. Je crois au saint Esprit, mais non pas à l’Eglise » ( Karl Barth ). Pourtant, le Credo affirme que l’Eglise est pour les chrétiens non point objet de croyance, » je crois que « , mais de foi et de confiance, » je crois en « . Croire en … c’est toujours croire en quelqu’un, et il arrive souvent que ce quelqu’un soit un homme : je crois en mon médecin. Nous croyons en l’Eglise dans la mesure où elle est un être spirituel et non pas seulement une institution. Croire que … est à la portée même des démons puisqu’ils possèdent un pouvoir d’épreuve sur les fils de l’Eglise ! Nous croyons en l’Eglise en tant que Mystère, corps pentecostal du Ressuscité, et non pas comme institution. Croire que l’Eglise est sainte revient à croire en elle comme Epouse du Christ ne faisant qu’une seule chair ressuscitée avec lui, comme Eglise du saint Esprit, comme lieu divino-humain où l’œuvre divinisatrice du saint Esprit devient événement pour les hommes.
… une … Mais à qui fera-t-on croire que l’Eglise est » une » alors que le christianisme est en miettes, miettes qui ont pour dénominations : Orthodoxes et Catholiques-Romains, Préchalcédoniens (Arméniens, Coptes, Ethiopiens) et Vieux-catholiques, Luthériens et Calvinistes, Anglicans et Episcopaliens, Adventistes et Anabaptistes, Mennonites et Quakers, Baptistes et Darbistes, sans parler des Eglises néo-apostoliques, des Pentecôtistes, des Eglises dites libres, et j’en oublie ! Face à cet émiettement, trop de chrétiens contemporains privilégient l’unité dans l’espace par rapport à l’unité dans le temps. Ce qui leur tient le plus à cœur, c’est de recomposer l’unité perdue avec tous les chrétiens vivant actuellement de par le monde. Mais si pour ce faire, je romps l’unité avec saint Basile, saint Irénée ou saint Grégoire Palamas, que signifiera au juste cette unité ? Trop souvent, à l’heure actuelle, on confond l’union des Eglises avec l’unité de l’Eglise. Seule l’attention à la primauté de la seconde sur la première sauvegarde la foi en l’Eglise comme Mystère. A la fin de la divine liturgie, le prêtre demande au Christ de garder, non point l’ensemble, ce qui est une lourde erreur et de théologie et de grec, mais la plénitude (to pléroma / le plérome) de son Eglise. L’unité de l’Eglise est indissociable de la vérité existentielle, vécue, savourée, intériorisée, sapientielle, et non point notionnelle, conceptuelle, abstraite de l’Eglise. L’Eglise est une là où elle est vraie. Au 7ème siècle, alors que le pape, le patriarche de Constantinople et les évêques pliaient l’échine devant le Basileus, l’Eglise ne cessa pas d’être une en la personne unique de saint Maxime le Confesseur ( 580-662 ) qui, seul, défendit la foi de l’Eglise en l’existence, en Christ, d’une volonté humaine et pas seulement divine. L’essence de l’unité de l’Eglise n’est pas quantitative mais bien qualitative.
… sainte … Et à qui fera-t-on croire que l’Eglise est sainte ? Ce qui saute aux yeux, n’est-ce pas plutôt le péché des chrétiens et la corruption satanique, la défiguration de l’image de Dieu en l’homme et la laideur peccamineuse, la flétrissure des hommes et des femmes qui composent » l’Eglise de ceux qui périssent » ( St Ephrem le Syrien) ? Mais ce vase d’argile humaine, trop humaine ( Nietzsche ) contient le feu divin et incréé. L’Eglise est sainte en ce sens qu’elle est l’Eglise du saint Esprit, le lieu divino-humain où se consomment les épousailles de l’humanité, où les hommes naissent à la vie divine et incréée de l’Unique Engendré du Père chaque fois que, baptisés et oints, unis en mariage ou ordonnés aux ministères, pardonnés et surtout recevant le Corps et le Sang du Ressuscité, c’est le très-saint Esprit du Père qu’ils reçoivent. La sainteté de l’Eglise n’est pas d’ordre éthique mais ontologique (c’est-à-dire qui concerne l’être même de l’homme, sa réalité personnelle la plus profonde). Elle consiste en la capacité qu’a l’Eglise d’offrir à l’homme de participer ontologiquement, en son sein, au feu divin et divinisant.
… catholique … Ici encore, il convient de se souvenir que, dans la mesure où elle est un Mystère, c’est-à-dire une réalité divino-humaine, et non point seulement une institution humaine, l’Eglise est une réalité qualitative et non point quantitative. Pour être catholique, l’Eglise n’a pas été obligée d’attendre l’avènement de l’impérialisme colonial et colonialiste de l’Occident. Au moment de la Pentecôte, l’Eglise était déjà catholique, bien qu’elle ne comprît alors en son sein que des Juifs. Et elle continua à être authentiquement catholique tout au long des siècles où elle ne comprit aucun africain, aucun malgache, aucun extrême-oriental, aucun sud-américain. Car l’Eglise est catholique et non point universelle. Sur ce point comme sur d’autres, la traduction actuelle du Credo, hélas la plus répandue, est détestable. » Cat?holique » vient du grec (le grec est la langue maternelle de l’Orthodoxie), » kata » (=selon ) » olon » ( = le tout ). Et c’est ici une excellente occasion d’identifier l’Eglise comme Mystère et la divine communion eucharistique. En effet, lorsqu’au décours d’une liturgie, le diacre où le prêtre consomme tout ce qui reste dans le saint calice, il ne communie pas plus, bien qu’il absorbe une bien plus grande quantité du saint Pain et du saint Sang, que les fidèles qui n’ont reçu que quelques miettes et quelques gouttes. De même, le plus humble des prêtres entouré de quelques fidèles dans la plus humble des églises de la campagne russe, grecque ou roumaine, témoigne de la catholicité de l’Eglise tout autant que le patriarche entouré de nombreux métropolites, évêques, prêtres, diacres et fidèles au Phanar, à Moscou ou à Jérusalem. La totalité qualitative du Mystère de l’Eglise est alors présente aussi bien dans cette petite église que dans la cathédrale où célèbrent une multitude d’évêques.
… et apostolique. Et ici encore, croire en l’Eglise comme Mystère, c’est refuser de demeurer à la surface des choses. Or, on rase les pâquerettes lorsqu’on se contente trop facilement de considérer que l’Eglise est apostolique simplement par la transmission ininterrompue de la succession au moyen de l’imposition des mains : un apôtre a ordonné un évêque qui a ordonné un évêque, et ainsi de suite jusqu’à chaque évêque actuel. On reste alors à la surface des choses doublement. D’abord, en ce que l’apostolicité de la succession ne représente pas la plénitude de l’apostolicité si elle ne va pas de pair avec l’apostolicité de la doctrine. Certes, nous considérons, nous, orthodoxes, que tous les évêques catholiques-romains ont l’apostolicité de la succession ininterrompue, mais nous nions que leur conception de la primauté dans l’Eglise, que leur théologie trinitaire ou leur doctrine du purgatoire soient des positions doctrinales que les apôtres eussent pu confesser. Ensuite, la seule apostolicité de la succession est insuffisante en ce que les évêques ne sont rien sans leur peuple. Non seulement tout prêtre, mais même tout baptisé remonte de façon ininterrompue aux apôtres dans la mesure où sa foi n’est en rien contradictoire avec celle que confessèrent les apôtres et aussi en ce sens que la prêtrise reçue d’un évêque, le baptême et l’onction chrismale, et tous les autres sacrements, sont reçus par un prêtre dont l’ordination remonte jusqu’aux apôtres. Certes, seuls les évêques ont mission de formuler, dans les conciles, la foi apostolique de l’Eglise, mais c’est tout le corps ecclésial des baptisés qui a pour mission de recevoir la vérité de cette formulation et d’en conserver ensuite l’intégrité, ou bien de renvoyer les évêques à leurs chères études pour qu’ils puissent ensuite revenir vers le peuple de Dieu en lui présentant une formulation qu’il pourra recevoir comme étant la formulation authentique de sa foi apostolique. Donc, je crois en l’Eglise qui est une là où elle est vraie, qui n’est sainte que parce qu’elle est l’Eglise du saint Esprit, qui n’est pas universelle mais catholique et qui est apostolique non seulement par la succession historique des ordinations épiscopales, mais aussi par la foi de tout le peuple de Dieu qui identifie sa foi à celle des apôtres auxquels il a conscience de succéder tout entier par la succession interrompue des sacrements qui le constituent comme peuple de Dieu.
Père André Borrely recteur de la paroisse St Irénée à Marseille in » Orthodoxes à Marseille » N°72