Avaleht/Orthodoxie/Commentaire du Credo – 4
Commentaire du Credo – 4
Viimati muudetud: 06.03.2015
Partie 4
… et en l’Esprit… En français, le mot esprit peut désigner des réalités qui n’ont rien à voir avec le saint Esprit ! En philosophie, le terme peut avoir un sens totalement impersonnel et signifier la réalité pensante en général, le sujet de la représentation avec ses lois et son activité propre, en tant qu’opposé à l’objet de la représentation. On oppose alors l’esprit à la matière, l’esprit étant la pensée tandis que la matière est l’objet de la pensée. On oppose aussi l’esprit à la nature, l’esprit étant la liberté alors que la nature correspond à la nécessité. L’esprit est aussi opposé à la sensibilité et devient synonyme d’intelligence. C’est l’ensemble des facultés intellectuelles. On parle de mots d’esprit, on disait de Voltaire ou de Sacha Guitry qu’ils avaient de l’esprit. De quelqu’un qui se pique d’être trop intelligent pour croire aux dogmes de l’Eglise chrétienne, on dira que c’est un esprit fort. On emploie aussi le mot esprit pour désigner l’idée centrale, le principe d’une doctrine, d’une institution. Chacun sait que l’œuvre maîtresse de Montesquieu s’intitule L’Esprit des lois. En ce sens, l’esprit s’oppose à la lettre. Le mot esprit a été utilisé par les anciens chimistes pour désigner l’alcool éthylique ( l’esprit de vin ), l’acide chlorhydrique ( l’esprit de sel ), l’alcool méthylique ( l’eprit de bois ). Et que dire des spiritueux : le mot esprit a alors avec l’Esprit saint autant de rapport que le vin doux ( gleukous) dont, au matin de la Pentecôte, certains spectateurs du miracle de la Pentecôte voulaient croire que les disciple du Nazaréen étaient pleins ( memestoménoi) (Actes 2, 13 ). Tout au contraire, dans la sainte Ecriture, le mot » rouâh » ( traduit en grec par pneuma, en latin par spiritus ), que nous traduisons par Esprit, signifie la puissance vitale. Pour les hommes de la Bible, dire de Iahvé qu’il est » Rouâh / Pneuma / Esprit » c’est dire qu’il est la Vie par excellence, le Souffle vital, la Puissance vitale, le Dieu vivant. Et qu’on n’aille pas penser que ces hommes primitifs ont projeté sur la divinité des intuitions, des mots, des réalités terrestres, par sublimation. On connaît le mot d’esprit de Voltaire : » Dieu a créé l’homme à son image, l’homme le lui a bien rendu » (hélas Voltaire n’a que trop raison si l’on considère tous les anthropomorphismes, toutes les caricatures de Dieu dont se sont rendus coupables les chrétiens depuis deux mille ans, prenant les vessies humaines pour les lanternes divines, dans les sociétés dites chrétiennes ! ). Pour les hommes de la Bible, c’est l’homme qui est la déteinte de ce qu’est Dieu. Si donc, il y a du mistral, si une puissance de vie se manifeste dans le vent, comme dans le souffle vital de la respiration animale et humaine, un défunt est essentiellement quelqu’un qui a irrémédiablement cessé de respirer, c’est parce que Iahvé, le Créateur tout-puissant du vent et du corps animal et humain, est » Rouâh » de toute éternité. Iahvé n’est pas » Rouâh » parce qu’il y a du vent sur terre et de la respiration dans les poumons des animaux et des hommes. Dieu, dans la Bible, est simultanément Parole, cette Parole qui se fera chair en la personne divino-humaine de Jésus de Nazareth, et Esprit, Souffle vital. La Parole de Dieu est efficace, agissante, animée de puissance, dynamique, réalisatrice. Un architecte commence par dessiner les plans d’une maison. Ensuite, il dirige le travail des ouvriers et techniciens qui couleront le béton, agencerons les pierres, poseront la toiture. On pense d’abord la maison, puis on la fait. Dieu pense le plan de ce qu’il veut amener à l’existence et cela existe (cf. Genèse 1, 3 que la lumière soit et elle fut). Quand Dieu pense le plan de sa création, il contemple son Fils. Et du seul fait qu’il pense ce plan en son Fils, le plan est réalisé par la puissance, le dynamisme de l’Esprit saint. A travers toute la sainte Ecriture, l’Esprit nous apparaît comme la Puissance de vie, le Souffle de puissance créatrice de Dieu, tandis que la Parole est lumière, pensée, vis-à-vis et, pour tout dire : Fils. On voit quel monumental contresens on commet au sujet du saint Esprit lorsqu’on réduit le pneumatique à l’intellectuel.
… saint… L’Esprit est la personnification de la sainteté divine. La sainteté de Dieu, c’est le souffle, au sens balistique du mot, le souffle que provoque une explosion, un souffle qui balaie tout ! Dans la Bible, Dieu est essentiellement saint en ce sens qu’il pulvérise tout ce qui l’approche. A l’Horeb, Iahvé dit à Moïse : » N’approche pas d’ici, retire tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte » (Exode 3, 5). Mais Iahvé, dans l’Ancien Testament, cache sa sainteté, comme pour ne pas terrifier son peuple. Pourtant, il ne parvient pas à la cacher tout à fait, et elle s’échappe comme malgré lui. Iahvé dit à Moïse : » … tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre. Iahvé dit encore : Voici une place près de moi, tu te tiendras sur le rocher. Quand passera ma gloire, Je te mettrai dans la fente du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé. Puis j’écarterai ma main et tu verras mon dos ; mais ma face, on ne peut la voir » (Exode 33, 20-23). Dieu est explosion et feu. Il ne faut pas trop s’approcher d’un feu. Il est significatif que le mot hébreu signifiant chose sainte, sainteté » qôdesh » dérive d’une racine sémitique signifiant sans doute couper, séparer. Les réalités saintes sont celles que l’homme ne saurait toucher, dont il ne saurait s’approcher sinon dans certaines conditions. De nos jours encore, les membres du clergé orthodoxe, à tous les niveaux feraient bien de veiller à ne pas mettre une montre sur l’autel ! Entre le feu et tout le reste, il y a une radicale incompatibilité, ou si l’on veut, une trop grande affinité. La sainteté de Dieu, c’est ce par quoi il est Dieu. Or cette Puissance vitale est telle qu’elle est une décharge. L’Esprit saint est véritablement la Décharge divine. Dieu est comparable au soleil, qui n’est qu’une super?bombe atomique. Il est plus prudent de ne pas trop s’en approcher, à moins d’être mis sur le même voltage ! Il est remarquable que dans la plupart des manifestations divines de l’Ancien Testament qu’on appelle les théophanies, il y a la mise en scène d’un orage, de la foudre, des éclairs, du tonnerre.
… qui est Seigneur … Nous avons déjà rencontré ce mot (Kyrios), dans le Credo, à propos du Fils. Du Père, le Credo a dit qu’il est Dieu. Du Fils et de l’Esprit, il dit qu’ils sont Seigneur. Le Credo entend ainsi, en même temps, affirmer que, dans l’intimité de la vie trinitaire, C’est le Père qui est la Source de la divinité du Fils et de l’Esprit, et que le Fils et l’Esprit sont aussi pleinement Dieu que le Père.
… et qui donne la vie … L’Esprit saint donne la vie parce qu’il est essentiellement la Vie du Père de toute éternité communiquée au Fils et, par l’entremise du Fils devenu l’un des hommes, aux hommes eux-mêmes conviés à vivre de la Vie même du Père. Devenu l’un des hommes, le Fils est le Sauveur, Celui qui fait à l’humanité le don inexigible et totalement immérité du Salut. Et le Salut, ce n’est pas quelque chose mais quelqu’un : le très-saint, bon et vivifiant Esprit, comme disent nos ecphonèses. Car, être sauvé, pour les hommes désembrayés de Dieu par le péché, c’est essentiellement, c’est uniquement recevoir la Vie du Père pour laquelle ils ont été créés et sans laquelle ils sont condamnés à ne vivre désespérément que d’une vie morte, d’une vie promise à la mort irrémédiable.
…il procède du Père … Le Credo a dit précédemment que le Fils est engendré par le Père. Or, cette relation de génération du Fils par le Père signifie le don personnel au Fils, par le Père, de la personne du saint Esprit. Et lorsque ensuite le même Credo dit de l’Esprit saint qu’il procède du Père, cela signifie que l’Esprit saint est le contenu même de l’acte générateur éternel du Père sur le Fils. Il faut donc considérer la procession du saint Esprit à partir du Père seul, l’Esprit saint ne procède pas du Père et du Fils, » filioque » en fonction de la génération du Fils par le Père. Le Fils est engendré par le Père en ce sens qu’il reçoit du Père la plénitude de l’Esprit saint. Toute la réalité divine du Père, toute sa vitalité de Père est, pourrait-on dire, absorbée dans l’acte unique et éternel par lequel il engendre son Fils. Dieu ne peut rien faire d’autre qu’engendrer son Fils. Le Fils est l’unique raison d’être du Père. Mais si Dieu n’est Dieu qu’en tant qu’il est Père, que dans la mesure où il engendre son Fils, il n’est Père que dans la mesure également où il insuffle à son Fils, en l’engendrant, la plénitude de son saint Esprit. Et il faut dire à ce propos que la célébrissime querelle dite du » Filioque » est née d’un problème mal posé. En effet, il ne s’agit pas de se demander d’où vient la personne même du saint Esprit. L’Esprit procède tout entier du Père et de lui seul dans la mesure où Il est essentiellement et uniquement Celui que le Père donne à son Fils en l’engendrant, en faisant qu’il est son Fils. Mais au sein de la divine Trinité, toute relation personnelle est inévitablement trinitaire. Le Père est le » spirateur » de l’Esprit dans l’acte même qui fait de lui le Générateur du Fils. Il est le » spirateur » de l’Esprit en ce sens qu’il en est le Donateur au Fils. Le Fils est le Fils, non seulement en tant qu’il est engendré par le Père, mais simultanément en tant que le Père fait reposer sur lui la plénitude du saint Esprit. Et le saint Esprit est le Souffle vital du Père, la » Rouâh » qui procède du Père et repose en plénitude sur le Fils. Le Père engendre son Fils en faisant procéder, en spirant l’Esprit saint. Et il spire l’Esprit en engendrant le Fils, pour engendrer le Fils.
…il est adoré et glorifié avec le Père et le Fils … parce qu’il est aussi pleinement Dieu et Seigneur que le Père et le Fils.
…il a parlé par l’entremise des prophètes. On ne le dira jamais assez : le prophète n’est pas d’abord et essentiellement celui qui prédit l’avenir, mais celui qui parle ( phète ) au nom de ( pro- ) de Dieu. Or, si le prophète parle au nom de Dieu, cela signifie que le Souffle de Dieu passe par sa bouche, qu’il est habité par la Puissance vitale de Dieu. Le » pro-phète » est » in-spiré » en ce sens qu’il reçoit le Souffle vital pour proclamer la Parole de Dieu. Les prophètes de l’Ancien Testament ont tous eu pour mission de balbutier le Verbe qui, » en ces temps ultimes (Hb 1,2) a pris chair du saint Esprit et de Marie, la Vierge. Mais ils ne purent parler du Verbe qu’en se situant dans le Souffle vital du Père qui, de toute éternité, repose sur le Fils, que dans la mesure où leurs cordes vocales intérieures vibrèrent au passage du Souffle saint de Dieu. Les prophètes de l’Ancien Testament et, dans le temps indéfini de la vie de l’Eglise, ceux que nous appelons les saints et dont nous célébrons la fête le dimanche après la Pentecôte sont des pruniers secoués par le dynamisme incréé, par la puissance vitale et divine de l’Esprit. Qu’il gesticule, qu’à l’instar d’Isaïe, il déambule nu dans les rues de la ville, qu’il accomplisse, tel Ezéchiel, des actes insolites, parfois un peu désordonnés et extravagants, sur ordre de Iahvé, Osée épouse une prostituée et, en conséquence, » parlants « , qu’il lacère ses vêtements. Le prophète de la Bible, plus tard, dans le christianisme, » les fols en Christ ?? se défoule en ce sens qu’il libère une force qui est en lui et ne vient pas de lui, qui s’empare de lui et le traverse de part en part malgré lui. Le prophète est un homme électrifié, mais non pas électrocuté par l’Electricité divine ! Sa fonction essentielle, au sein du peuple d’Israël, est d’être le messager de la Parole de Iahvé en tant qu’elle se manifeste avec puissance. Et cette puissance se manifeste par l’oracle » il a parlé par l’entremise des prophètes « . Et l’oracle prophétique est un poids dont le prophète cherche à se décharger, à se délivrer, tant il est lourd à porter ! C’est qu’il est chargé de tout le poids de toute la sainteté divine, de toute la justice divine, de tout l’amour divin pour les hommes.
Père André Borrely recteur de la paroisse St Irénée à Marseille (France) in » Orthodoxes à Marseille » N°71