Avaleht/Orthodoxie/Commentaire du CREDO -1
Commentaire du CREDO -1
Viimati muudetud: 06.03.2015
Partie 1
Introduction.
Le symbole dit de Nicée-Constantinople est, en réalité, une version élargie du symbole baptismal de la foi de l’église de Jérusalem. Composé sous cette forme peu après le concile d’Alexandrie ( 362 ), il fut prononcé devant le concile de 381 par Nectaire élu par ledit concile à la place de Grégoire de Nazianze qui venait de démissionner. Nectaire était un vieillard vénérable, qui appartenait à l’ordre sénatorial et était alors investi de la dignité de préteur. Mais on s’aperçut que Nectaire n’était pas baptisé ! C’est avant son baptême et la consécration épiscopale qui s’ensuivit que Nectaire prononça cette profession de foi. Le texte servit ensuite à la liturgie du baptême à Constantinople et devint ainsi le symbole de la foi de l’Eglise de Constantinople. Proclamation de la foi de l’Eglise en la divine Trinité, de la foi des chrétiens en l’Eglise comme icône de cette même Trinité, le symbole est traditionnellement récité ou chanté au moment où l’Eglise existe en ce qu’elle a de plus fondamental, de plus essentiel : lorsqu’elle célèbre la divine liturgie. Dans la liturgie byzantine, on récite ou chante exclusivement le symbole dit de Nicée-Constantinople — celui que nous allons commenter –, immédiatement avant de prononcer l’anaphore eucharistique. Dans la messe romaine, le Credo est récité après la lecture de l’Evangile. Avant le concile du Vatican II, il était réservé aux dimanches, aux fêtes du Christ, de la Mère de Dieu, des Anges, des Apôtres et des Docteurs. Aux autres messes, on récitait le symbole des Apôtres, qui date très certainement de la période antérieure à la lutte de l’église contre les hérésies, et notamment contre l’hérésie arienne, C’est pourquoi il est beaucoup moins développé, sans aucune influence de la philosophie ou de la théologie. C’est cette différence de longueur qui est à l’origine de l’expression provençale : Lou grand credo, utilisée pour désigner le symbole auquel nous allons prêter notre attention. Après la réforme liturgique postérieure à Vatican II, le Credo dit de Nicée-Constantinople s’est généralisé dans le monde catholique bien que, dans certains pays francophones, on emploie aussi le symbole des Apôtres.
Je crois en…
En français, il y a une différence considérable entre croire que.. et croire en… Quand je dis : Je crois que demain il fera beau, cela signifie que je n’en suis pas sûr. Si je crois que… je ne sais pas. La croyance s’oppose à la science. Que penserions-nous de notre médecin s’il nous disait : Je crois que vous devez prendre un comprimé de tel médicament à chacun des trois repas ? Du médecin nous attendons qu’il sache, nous n’admettons pas qu’il puisse se contenter de croire que… Je crois que… exprime une opinion, et désigne un assentiment imparfait, qui, comme l’opinion, comporte tous les degrés de probabilité. Au contraire, croire en consiste à faire crédit, à se fier à une personne, à lui faire confiance. Croire que est à croire en ce que la croyance est à la foi. Et à la différence de la croyance, la foi ne s’oppose pas à la science. Je crois en mon médecin, j’ai confiance en lui parce qu’il sait et ne se contente pas de croire que… Plus il possède de science, plus j’ai foi en lui. La foi et la science ne s’excluent pas mutuellement parce que toutes deux sont, comme dirait Pascal d’un autre ordre. Nos médecins savent de mieux en mieux pourquoi telle personne meurt, si par pourquoi on entend les causes efficientes qui ont entraîné le décès. Mais il est un autre pourquoi que seule la foi en la résurrection du Christ peut prononcer et que le médecin, en tant que tel, ignore. Imaginez une maman affolée de souffrance à la mort de son enfant et qu’un pédiatre chercherait à consoler en lui disant : Ne pleurez plus, votre enfant est mort pour telle et telle raison que la Faculté connaît bien désormais. J’ai foi en mon médecin parce qu’il sait, mais ce qu’il sait ne saurait me délivrer du désespoir du sens si je dois mourir à jamais sans l’espérance que me donne la résurrection du Christ. La foi n’est pas une expérience exclusivement religieuse : à longueur de journée nous expérimentons la foi en l’homme. Quand nous montons dans un avion, une automobile ou un train, nous nous fions aux pilotes ou aux conducteurs. Lorsque nous allons chez le dentiste ou quand nous subissons une endoscopie, ou quand nous nous soumettons à un prélèvement sanguin, nous faisons confiance au dentiste, aux auxiliaires du gastro-entérologue, au laboratoire. Et il arrive que cette confiance ne soit pas méritée : France Info parlait, il y a quelques mois, de ce malheureux que deux laboratoires ont déclaré séropositif, il y a huit ans alors qu’il ne l’était pas et qui a dû vivre durant tout ce temps avec le désespoir — qui l’a conduit notamment à l’alcoolisme — de se savoir atteint du sida. Dieu seul mérite vraiment qu’on ait foi en lui, bien que nous devions constamment faire crédit à notre prochain. Qu’est-ce donc que des fiancés sinon un homme et une femme qui décident de croire lui en elle et elle en lui ? Et qu’est-ce qu’un divorce si ce n’est le cuisant échec de cet acte de foi ?
A cet égard, il faut relire avec attention le récit, dans le livre de la Genèse, de ce qu’on appelle le sacrifice d’Abraham (Gn 22/1-19), la suite de saint Paul dans son épître aux Romains (chapitre 4), on insiste (à juste titre) sur la foi d’Abraham en Iahvé : Abraham eut foi en Dieu, et ce lui fui compté comme justice (Ro 4/3 et Gn 15/6). Mais il faut souligner aussi la foi d’Isaac en son père Abraham. L’adolescent demande à son père où se trouve la victime animale pour l’holocauste. Abraham pose un acte de foi en Dieu lorsqu’il répond à Isaac : » Dieu se pourvoira lui-même du mouton pour l’holocauste, mon fils (Gn 22/8). Mais en se contentant de cette réponse, Isaac témoigne de sa foi en son père. Et lorsque Jésus nous demande de prier son Père en le considérant aussi comme le nôtre (Notre Père, qui est dans les cieux…) il fait appel à l’expérience humaine de la foi en nos parents. Il s’agit de se comporter envers Dieu comme on s’est comporté, dès la primitive enfance avec son père et sa mère : il s’agit de se laisser couler à pic, de sauter dans le vide avec la conviction que le parachute s’ouvrira (encore un bel exemple de la foi de l’homme en l’homme), expérience que font tous les parachutistes ! La science est intellectuelle. La croyance est également intellectuelle, mais c’est de la mauvaise, de la fausse science. La foi, elle, est existentielle. Elle n’est pas essentiellement affective, sentimentale, même si l’affectivité est appelée à constituer un ingrédient de la foi : il est raisonnable d’avoir confiance en tel ou tel excellent médecin. Et il est raisonnable de croire en Dieu créateur : si, vous promenant dans une forêt, vous trouvez dans un sentier des pierres disposées de telle manière qu’elles reproduisent le portrait de Napoléon, vous ne direz pas que c’est le hasard, mais que quelqu’un est passé par là avant vous. De même, il est raisonnable de croire en Dieu créateur de l’ordre que la science découvre dans le monde, notamment en biologie, de façon de plus en plus rigoureuse. … un seul Dieu …
La structure du Credo est trinitaire : nous confessons notre foi en Dieu le Père, en son Fils Jésus Christ, le Seigneur, et en l’esprit saint également Seigneur, c’est-à-dire Dieu. Et tout ce qu’en sa dernière partie le Credo dit de l’Eglise n’est qu’une expression de la foi de celle-ci en l’esprit saint et de sa conviction que son être ecclésial est icône de la divine Trinité. Je crois en un seul Dieu qui n’est pas solitaire. Le texte grec dit : eis héna Théon. » ena » et non pas » monon « . Certaines langues, comme le grec ancien, ont eu l’intuition que le pluriel ne commence qu’avec trois. En grec ancien, l’orthographe d’un nom peut se modifier non seulement selon qu’il est au singulier ou au pluriel mais aussi s’il est au duel. Il faut être trois pour conjuguer le verbe (et notamment le verbe aimer) à toutes les personnes du singulier et du pluriel. Si nous sommes trois, je peux dire je, je peux m’adresser à l’une des deux autres personnes en lui disant tu, je peux parler à l’une des deux de la troisième en disant il, tous les trois nous pouvons dire nous, je peux m’adresser aux deux autres simultanément en leur disant vous, et je peux penser aux deux autres en me disant ils. Lorsqu’en sa première épître, saint Jean affirme que Dieu est amour, il ne veut pas dire que Dieu est amour parce qu’il nous aime et depuis qu’il nous aime, comme si Dieu avait eu besoin de créer l’homme et le monde pour commencer à expérimenter l’amour. Saint Jean entend dire que de toute éternité Dieu sait ce qu’est l’amour parce qu’il n’est pas seul mais trinité de personnes consubstantielles. Là est la grande différence entre la théologie chrétienne et les théologie juive et musulmane. Si d’accord que soient les chrétiens avec les musulmans et les juifs pour affirmer que Dieu est l’Unique, ils confessent pourtant leur foi en un Dieu unique au sein duquel existent trois foyers de conscience personnelle. La réalité du Dieu des chrétiens est simultanément unique et plurielle : unique, si l’on se place au point de vue de l’essence, de la substance divine, et pluriel si l’on se situe au point de vue des personnes (ou des hypostases). Le Dieu des juifs et des musulmans est unique, le Dieu des chrétiens est tri-unique.
… Père …
Dans l’Evangile, Jésus dit : Mon Père, aux disciples il prescrit de s’adresser à Dieu en lui disant : Notre Père… mais il ne dit jamais : Notre Père… avec ses disciples. Après sa résurrection il dit à Marie de Magdala : va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu (Jn 20/17). Quand on lit attentivement les Evangiles, on sent bien qu’il y a un plan de l’être de Jésus où les disciples ne pénètrent pas. Du côté de la terre, il est seul, mystérieusement seul. Pas du côté de Dieu, qu’il appelle son Père avec un accent étrange et qui n’est qu’à lui. Tout comme Dieu n’a pas dû attendre de créer l’homme pour expérimenter l’amour de l’Autre, de même Dieu n’est pas d’abord et essentiellement Père parce qu’il fait de nous ses enfants. C’est, à l’inverse, parce que de toute éternité il engendre son Fils unique qu’il devient notre Père si peu que nous confessions la filiation divine de son Fils. C’est notre foi en Dieu Père du Fils unique qui nous donne la » parrhèsia « , c’est-à-dire la tranquille assurance, l’audace de dire à Dieu, notre Père. Il est significatif que l’église latine tout autant que l’église de rite byzantin ait pris des précautions avant d’oser, dans la célébration de la divine liturgie, s’adresser à Dieu en lui disant Père. Praeceptis salutaribus moniti, et divina institutione formati, audemus dicere : Pater noster.. Obéissant au précepte du Sauveur qui nous apprit lui-même cette divine prière, nous avons l’audace de dire : Notre Père … (messe romaine). Cette audace dont parle la liturgie romaine, c’est la » parrhèsia » de l’église : grecque : Et juge-nous dignes, ô Maître, d’oser avec assurance t’appeler, toi le Dieu du ciel, Père, et de dire : Notre Père… Le mot » parrhèsia » qui est ici employé pour renforcer le verbe » tolman » ( oser ; en latin : audemus, nous osons ) est employé par saint Luc dans les Actes des Apôtres pour désigner l’attitude de quelqu’un comme l’apôtre Pierre après l’événement de la Pentecôte, attitude on ne peut plus opposée à celle du même homme au moment de la Passion, lorsqu’il est reconnu comme galiléen disciple du condamné désormais infréquentable, Pierre, pour le dire crûment se dégonfle : Femme, je ne le connais pas (une servante vient de dire en fixant Pierre des yeux : celui-là aussi était avec lui ! Lc 22/56)… Homme, je n’en suis pas(quelqu’un vient de dire à Pierre : toi aussi tu es des leurs ! Lc 22/58). Homme, je ne sais pas de quoi tu parles (une troisième personne vient de dire : en vérité celui-là aussi était avec lui ; c’est même un galiléen ! Lc 22/59 cf. aussi Lc 22/57-58 et 60). Après la Pentecôte, les apôtres affrontent les officiels du judaïsme » méta parrhèsias » (Ac 4/31), avec une tranquille assurance, franchement, en toute liberté de langage. Le mot grec signifie étymologiquement : tout dire.
Il faut avoir de l’audace, de l’assurance pour dire Père à Dieu dans la mesure où il s’agit de quelque chose d’inouï, d’insensé (on comprend que les incroyants ou même les croyants non-chrétiens ne puissent faire autrement que de réduire cette prétention chrétienne) à savoir d’une greffe divinisatrice, d’un acte par lequel l’homme est entraîné dans la filiation divine éternelle du Fils Unique-Engendré. Et ici, l’affirmation du Credo ne peut que contester radicalement la réduction (par réduire, par réduction j’entends le procédé consistant pour des philosophes comme Feurbach, Nietzsche, Freud, à expliquer le supérieur par l’inférieur, le divin -considéré comme illusoire- par l’humain, la superstructure religieuse par l’infrastructure économique ou instinctivo-affective) freudienne de la foi chrétienne en Dieu comme Père. On sait que, pour Freud, qui se fait de la religion une conception essentiellement naturaliste, la vision religieuse du monde n’est qu’une psychologie projetée dans le monde extérieur. Le Dieu/Père du Credo chrétien n’est, pour Freud, qu’un » père transfiguré » (étude sur Léonard de Vinci 1910) par l’infantilisme d’une affectivité incapable d’assumer la tragédie de la souffrance et de la mort, d’accepter » que le monde ne (soit) pas une pouponnière » (Nouvelles conférences 1933). Et Freud remarque qu’il nous est donné de » voir tous les jours comment des jeunes gens perdent la foi au moment même où le prestige de l’autorité paternelle, pour eux s’écroule » (Ibidem). Ainsi, selon Freud, nous retrouvons dans le complexe parental la racine du besoin religieux qu’éprouve l’homme. Pour Freud, c’est l’attitude de l’enfant vis-à-vis de son père qui explique, de manière réductrice, la croyance (pour Freud, la foi n’est qu’une croyance) en Dieu de cet enfant devenu homme. Pour un chrétien, au contraire, c’est le fait que Dieu soit Père de toute éternité de son Fils unique, antérieurement au fait d’être créateur de l’homme et du monde, qui explique que l’homme créé par ce Dieu-là soit préconstruit pour expérimenter la relation fils/père, d’abord avec ses parents et ensuite, en continuité existentielle avec cette première expérience toute humaine, avec Dieu qui ne désire rien autant qu’étendre à l’homme l’acte générateur éternel par lequel il donne à son Fils la plénitude de son saint Esprit. Ce n’est pas la foi toute humaine, la croyance illusoire en Dieu/Père qui se réduit à la relation oedipienne au géniteur humain, c’est la relation humaine au père biologique qui est comprise, englobée à l’intérieur de la relation éternelle de Dieu/Père à son Fils Unique-Engendré (Cf. st Paul qui, dans l’épître aux éphésiens englobe l’expérience du mystère de l’amour humain à l’intérieur du mystère de l’amour du Christ pour l’Eglise). C’est parce que Dieu est, de toute éternité, Père de ce Fils-là que, lorsqu’il crée l’homme, il ne peut le faire, qu’en contemplant son Fils (c’est ce que le Credo dira plus loin en affirmant que tout a été créé » dia « , par l’entremise du Fils) qu’à l’image et selon la ressemblance de cette relation éternelle à son Fils.
… tout-puissant …
Dieu est tout-puissant d’abord et essentiellement parce qu’il est père. Nous devons songer ici au sens qu’ont les adjectifs puissant et impuissant lorsqu’on les applique à la sexualité humaine masculine. Un père, c’est avant tout quelqu’un qui est capable de donner la vie. Et ici encore il faut redire que ce n’est pas depuis que Dieu s’est voulu créateur de l’univers qu’il a expérimenté sa toute-puissance. De toute éternité, Dieu est tout-puissant parce que, de toute éternité il engendre son Fils auquel il communique toute la plénitude vitale de sa paternité qui n’est pas quelque chose mais quelqu’un, à savoir le saint Esprit, le Souffle vital du Père. Toute la prodigieuse puissance qui se manifeste dans la création : dans l’univers infiniment grand des galaxies groupées en amas de galaxies, et ces amas eux-mêmes en amas d’amas, et dont les dimensions se mesurent en dizaines de milliers d’années de lumière, et les distances en millions et centaines de millions d’années de lumière, galaxies qui, pour ne prendre qu’un exemple : la nôtre, dont la trace sur notre ciel est la Voie lactée, sont peuplées de millions d’étoiles de toutes couleurs de toutes températures et de toutes dimensions ; dans l’univers infiniment petit des milliards de cellules qui peuplent un organisme vivant, chaque cellule (pour autant qu’elle est normale) étant soumise à un flot d’informations qui dicte sa conduite et, inversement, émettant des signaux qui influencent le devenir des cellules voisines ; toute cette prodigieuse puissance de vie et d’intelligence, toute cette force d’esprit, comme dirait Pascal, n’est qu’un pâle reflet de la toute-puissance de vie et de lumière que, de toute éternité, le Père manifeste en communiquant à son Fils son saint Esprit. N’en déplaise à Feuerbach (Ludwig-Andreas Fawbach (1804-1872) publia en 1841 l’essence du christianisme, dans lequel il affirme que, réduit à sa condition, l’homme, lorsqu’il prétend parler de Dieu ne fait que projeter ses pensées, et c’est l’infinité de son désir qu’inconsciemment il prête à son objet. Sans doute, cette projection exalte ses sentiments, mais elle les dénature aussi en brisant l’unité de l’homme et en opposant à une divinité inhumaine une humanité sacrifiée.) et à Freud, il ne faut pas partir de l’homme pour expliquer Dieu mais partir de Dieu pour comprendre l’homme.
… Créateur du ciel et de la terre, de toutes les réalités aussi bien visibles …
Dieu crée le monde en ce sens qu’il le fait exister ex nihilo, à partir de rien. Créer, ce n’est pas fabriquer. L’idée de création connote la distinction radicale entre Dieu et le monde, la transcendance fondamentale du Créateur. Cette idée n’est pas une idée spontanée, naturelle à la pensée humaine. Dès le premier verset du livre de la Genèse : » Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Gn 1/1) la Sainte Ecriture se sépare de toutes les mythologies et cosmogonies de l’Orient ancien ainsi que de la philosophie grecque antique. Il est intéressant de remarquer que le verbe hébreu » bara « , que les Septante ont traduit par » époièsen » et la Vulgate par » creavit » ne s’emploie dans la Bible que pour désigner l’action divine produisant quelque chose de nouveau, de prodigieux ou d’inouï. La Science nous a appris qu’il y a une infinité de commencements : la genèse des macromolécules, la biogenèse, le commencement de la vie, celui des reptiles, celui des primates, etc… Mais la Bible est encore plus affirmative : selon elle, la matière primitive elle-même n’échappe pas au processus de la genèse, le substrat de l’Univers n’est pas éternel. Dans la philosophie grecque antique, c’était le Démiurge qui donnait à la matière informe et éternelle les formes diverses et successives et qui imposait l’ordre à ce désordre primitif Démiurge est le terme par lequel Platon, dans le Timée, désigne le dieu fabricateur de l’univers. Le même mot avait déjà été pris comme terme de comparaison par Socrate en parlant de la fabrication du corps humain. Le Démiurge, ce n’est pas le Créateur, mais le Fabricateur suprême. Dans la cosmogonie babylonienne, il y avait deux principes antagonistes et co-éternels, le Chaos et le dieu Démiurge. La Bible refuse catégoriquement cette dualité des principes à la source de la réalité concrète ainsi que le dualisme substantiel qui en résulte. Ce faisant, elle distingue radicalement la création et la fabrication. Saint Irénée écrit » attribuer la matière des êtres créés à la puissances et à la volonté du Dieu de toutes choses, c’est croyable, admissible et cohérent. C’est ici qu’on peut dire avec raison : » Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu » (citation de Luc 18/27). Les hommes ne peuvent pas faire quelque chose de rien, mais seulement à partir d’une matière préalable ; Dieu l’emporte sur les hommes en ceci d’abord qu’il pose lui-même la matière de son ouvrage alors qu’elle n’existait pas auparavant » (Irénée de Lyon Contre les hérésies. Dénonciation de la gnose au nom menteur II, 10, 4 Trad. frçse. par A. Rousseau Ed. du Cerf, Paris, 1984 p.166) . L’homme est homo faber. Et saint Irénée nous fait saisir l’identité qu’il y a, dans le Credo, entre l’affirmation que Dieu est tout-puissant et celle selon laquelle il est créateur. Ici encore, science et foi chrétienne ne doivent pas être opposées. L’idée d’une éternité de la matière n’est pas une vérité relevant de la connaissance scientifique, mais un postulat d’origine philosophique et religieuse. On ne voit pas en quoi cette idée serait plus rationnelle — cohérente, dit saint Irénée — que l’idée de création ex nihilo. Alors que la science moderne et contemporaine nous enseigne que toutes les réalités visibles commencent à un moment donné du devenir de l’univers — il y eut un moment où la terre a commencé, où la vie a commencé, où les poissons ont commencé, etc… — on ne voit pas en quoi il serait anti scientifique de considérer que la matière primitive elle-même a commencé. Le conflit ne réside pas entre la Science et la foi chrétienne, mais entre la foi chrétienne et la vision du monde des Grecs de l’Antiquité, des anciens babyloniens et du rationalisme et de l’athéisme modernes et contemporains.
Et l’idée que la matière est éternelle signifiait pour les Grecs que la matière est également incorruptible. C’est ainsi que, pour Aristote, les astres sont indestructibles aussi bien qu’éternels. Le cosmos apparaissait aux Grecs de l’Antiquité comme la réalité consistante par excellence, immobile à sa place ou bien tournant sur soi-même, éternellement pareille à elle-même. Pour la Bible, au contraire, seul Iahvé est la Réalité consistante par excellence. Dès la première page de la Bible, les astres qu’on adorait dans tout le Moyen-Orient de l’époque, à Babylone, en Canaan, comme en Egypte, sont déchus du rang divin : » Dieu fit les deux grands luminaires, le grand luminaire pour présider au jour » (en Egypte, il était adoré sous le nom de Râ ou Rê), le petit luminaire pour présider à la nuit » (chez les Phéniciens et en Chaldée, on l’adorait sous le nom d’Astarté, d’Astaroth, d’Astar ou encore d’Ishtar), et aussi les étoiles » (Gn 1/16). Et si l’univers tout entier a été créé ex nihilo, il peut tout aussi bien être annihilé par le Créateur tout-puissant. La Bible affirme un commencement du monde. » Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » et aussi une fin de ce monde, une consommation de l’Univers en un paroxysme où il sera transformé et renouvelé, la fin du monde dont parle Mt. 24, 3. La fin du monde, c’est l’achèvement de la genèse, c’est l’accomplissement de la création. Pour la Sainte Ecriture, la réalité matérielle n’a pas cette indestructible solidité, ce caractère inamovible qui tient, dans le cosmos grec antique, à son éternité. Affirmer que le Dieu en lequel nous croyons est le Créateur, c’est dire que l’Univers physique (toutes les réalités visibles) n’est pas ce qu’il y a de plus solide, ni de plus consistant. » Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas « , affirme Jésus en Mt. 24, 35. Jamais un Grec de l’Antiquité n’eût osé dire cela. Le seul qui soit le Rocher inébranlable, la Consistance, c’est Iahvé, le Dieu unique, le Créateur du ciel et de la terre. Remarquons au passage qu’en disant ce qu’il dit en Mt. 24, 35, Jésus affirme de manière à peine voilée, pour qui connaît bien sa Bible (et ses adversaires scribes, pharisiens et sadducéens la connaissaient bien !) sa divinité, sa mystérieuse identité avec le Dieu d’Israël, ce qui, pour les docteurs et les officiels du Judaïsme était inouï, impie et tout à fait inadmissible.
… qu’invisibles.
Le Credo ne se contente pas d’affirmer que Dieu est le créateur des galaxies et des macromolécules. Il est tout autant celui des réalités invisibles. Le texte grec emploie le neutre pluriel (oraton té panton ké aoraton) qu’il ne faut pas rendre en français par choses, mais par réalités. En effet, un cèdre, a fortiori un chien, et surtout le corps humain ne sont pas des choses. Encore moins peut-on parler de choses invisibles si, par là on entend désigner le fait que le Dieu auquel nous croyons est le Créateur des personnes humaines et des anges, donc des réalités spirituelles. C’est Dieu qui, en le créant à l’image de son Fils, a mis dans le cœur de l’homme le fait de préférer mourir plutôt que de continuer à vivre en ayant perdu les raisons de vivre, la passion de la justice, le sens de l’honneur, la capacité d’aimer. Il est particulièrement important de remarquer que Dieu est ainsi le Créateur de la liberté de l’homme. Dieu n’est pas la cause efficiente de la liberté humaine comme si celle-ci était un objet, une chose. Il en est plutôt la Source vivifiante. C’est ce qu’ont oublié les chrétiens lorsqu’ils ont compris la prédestination sur le mode du déterminisme. Le Dieu créateur des réalités invisibles n’est pas cette sorte d’espion céleste dont l’omnipotence et l’omniscience réduiraient nécessairement l’histoire des hommes à un jeu de marionnettes. Il y a une manière d’attribuer à Dieu une omniscience intégrale qui ne laisse aucune place au surgissement de la liberté humaine. On se représente l’omniscience divine comme une science humaine dilatée à l’infini et ce Dieu omniscient-là transforme en quelque sorte le temps en espace, pose des questions mais connaît d’avance les réponses, semble dialoguer avec l’homme, mais ne parle en somme qu’à lui-même connaît déjà l’avenir d’une connaissance contraignante (Olivier Clément Dionysos et le Ressuscité, in Evangile et révolution, Ed du Centurion, 1968, p.83) et qui ne laisse pas la moindre place à la liberté humaine. Les théologies déterministes de la prédestination sont tout simplement passées à côté du fait qui constitue l’essence même du christianisme, à savoir que, de toute éternité, Dieu est Amour (1Jn 4/8 et 16) et qu’en conséquence lorsqu’il crée l’homme capable de liberté, il devient le Mendiant d’amour frappant à la porte du cœur de l’homme. Paul Evdokimov a pu parler excellemment de » la faiblesse du Dieu tout-puissant » (P. Evdokimov. L’amour fou de Dieu, Paris Ed. du Seuil, 1973, p.35). Parce qu’il est Amour le Créateur tout-puissant se veut, par » manikos eros « , par amour fou de l’homme, impuissant devant la liberté qu’a l’homme de se refuser à l’étreinte divine. » La voix de Dieu est silencieuse, elle exerce une pression infiniment légère, jamais irrésistibles » (P.Evdokimov. op.cit. p.31).
Pour conclure notre commentaire de cette première partie du Credo sur Dieu le Père, il faut encore remarquer que l’acte divin créateur n’est pas un acte du passé, que Dieu aurait posé une fois pour toutes, laissant ensuite l’Univers suivre son cours inexorable. Dieu ne cesse pas d’être créateur. Dieu crée chaque fois qu’un homme et une femme procréent, chaque fois que l’homme pose un acte de liberté dont Dieu est la Source. Que si Dieu venait à détourner son regard du monde ne serait-ce qu’une seconde, le monde retournerait au néant. Aux juifs qui lui reprochent d’avoir opéré une guérison un jour de shabbat, Jésus rétorque » mon Père travaille toujours » (Jn 5/17). Il veut signifier par là le fait que si le shabbat a été établi en Israël comme une imitation du repos divin après la création (cf. Gn 2/1-3 ; Ex 20/11 et 31/17) il n’en reste pas moins qu’en Dieu il n’y a rien de successif, Dieu ne cesse pas de créer et d’agir, de même qu’il ne cesse pas d’être en repos. Autrement il ne serait pas le Dieu vivant. » Mon Père agit jusqu’à présent » signifie : Mon Père continue à agir, c’est-à-dire à créer. En Gn. 1, 1, l’hébreu et le grec ne disent pas : Au commencement… mais » en un commencement, Dieu créa le ciel et la terre « . En effet, il s’agit d’un commencement dans lequel Dieu crée l’Univers, mais non de l’unique commencement. Maintenant aussi se produisent une multiplicité de commencements. L’Univers tout entier ne cesse de commencer, chaque fois que naît un enfant, un animal, chaque fois que surgit d’un bourgeon une fleur. Chaque instant de la durée marque un commencement. Le temps toujours nouveau, toujours vierge signifie que la création ne cesse pas de s’effectuer. Lorsque, dans Le Cimetière marin, Paul Valéry s’écrie » La mer, la mer toujours recommencée « , il ne faut pas réduire l’expressîon à une allusion à l’immensité spatiale de la Méditerranée. Il faut y voir plutôt une allusion au fait que, pour un artiste, un peintre, un poète, la mer n’est jamais la même : il y a la mer le matin, il y a la mer à midi, il y a la mer le soir, il y a la mer aujourd’hui, qui n’est pas celle d’hier ni celle de demain. Quand la création sera parvenue à son achèvement, il n’y aura plus de temps, tout comme il n’y en avait pas avant la création. Le temps est né avec le monde créé et s’achèvera avec lui. Le temps de la création est enraciné dans l’éternité d’où il procède par la liberté du Créateur aimant follement ses créatures, mais il porte sa cime et dépose ses fruits dans le sein de l’éternité où il s’achève en s’accomplissant, par excès de plénitude. Présentement, nous vivons entre le commencement et la fin, dans le régime provisoire de la durée créatrice, inachevée, en marche vers le Royaume qui ne passera pas. Rien de ce qui sera advenu à l’être au sein de la création ne sera perdu. Rien ne sera évacué de la saveur du monde — … et Dieu vit que cela était bon… rudement bon –. Au contraire, dans le Royaume, tout sera porté à sa plénitude. Au moment de passer de ce monde dans l’autre, Jésus ne dit pas à ses disciples qu’il ne boira jamais plus du fruit de la vigne mais plutôt » Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’à ce jour où j’en boirai du nouveau avec vous, dans le Royaume de mon Père » (Mt 26/29).
Et en un seul Seigneur…
Du Père le Credo affirme qu’il est Dieu. Du Fils il dit ensuite qu’il est Seigneur. Est-ce à dire que le Fils n’est pas Dieu ? Aucunement. Le mot qu’en français nous traduisons par Seigneur est kurios(Kyrios). Si peu helléniste qu’ils soient, tous les orthodoxes — et naguère encore tous les catholiques — supplient le Dieu tri-unique en lui disant : kurie eleison(Kyrie eleison ), ce qui veut dire : Seigneur, aie pitié ( de nous ). Dans la Bible grecque, kurioV rend systématiquement IHVH, le tétragramme sacré, Iahvé, Adonaï. Lorsqu’en Mt. 22, 43, citant le psaume 110, 1 — Le Seigneur a dit à mon Seigneur : « Siège à ma droite… » — Jésus s’applique à lui-même le titre de Seigneur, laissant ainsi soupçonner sa nature divine. Et l’Eglise primitive utilisera le même psaume pour proclamer la seigneurie, C’est-à-dire la divinité du Christ ressuscité (cf. Ac 2, 34 ; Ro 10, 9 ; 1Co 12, 3 ; Col 12, 6). En confessant la seigneurie de Jésus Christ, le Credo de l’Eglise exprime, à la suite de saint Paul, sa conviction qu’en inaugurant par sa mort et sa résurrection le Royaume de Dieu, et en recevant de son Père céleste la souveraineté suprême, le Christ est devenu le Seigneur des Seigneurs, reconnu par l’univers tout entier et infiniment supérieur aux prétendus kurioi que sont les empereurs. «Possédant forme (le Dieu, le Christ Jésus n’a pas regardé comme une prérogative d’être égal à Dieu, mais il s’est anéanti en prenant forme d’esclave, en devenant pareil aux hommes. Et quand il a eu figure humaine, il s’est abaissé à obéir jusqu’à mourir et mourir en croix. Aussi Dieu exalté et lui a-t-il accordé le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour qu’au Nom de Jésus, tout genou plie, dans les cieux, sur terre et sous terre, et que toute langue confesse que Jésus Chrisl est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père» (Ph 2, 5-11).
… Jésus …
Le français Jésus est une transcription de l’hébreu Iéshoua, nom propre signifiant Iahvé est salutaire, Iahvé sauve. Avant Jésus de Nazareth, ce nom fut porté par de nombreux Israélites, notamment par le fils de Nun ( Josué ), auxiliaire de Moïse durant la marche au désert (cf Nb 13, 8 et 16 et 32, 28 ; Ex 17, 8-16 et 24, 3) et par le grand prêtre Josué (Za 3, 1) et par le Siracide (Si 50, 27cf également IIChr 31, 15 ; Ichr 24, 11 et Esdr 3, 9). Dans le Nouveau Testament, ce nom est également porté par Jésus Barabbas, tout au moins selon de bons manuscrits qui désignent ainsi le brigand dont il est question en Mc. 15, 7 et Lc. 23, 18-19. Mais ces manuscrits n’ont pas été suivis très certainement par respect pour le Christ. Dans l’épître Aux Colossiens, il est question d’un Jésus surnommé Justus, collaborateur de St. Paul (Col 4, 11). Dans le christianisme seuls les Espagnols ont osé donner ce nom à des catéchumènes. Mais, quand les Corses ou les Grecs appellent un homme Sauveur, ils lui donnent un nom qui a le même sens que Jésus. Dans le récit du songe de Joseph en Mt. 1, 21 l’auteur du premier Evangile se réfère à l’étymologie du nom Jésus lorsqu’il fait dire à l’ange … Elle enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jésus, car il sauvera (autoV gar swsei) son peuple de leurs péchés. Jésus est annoncé à Joseph comme le Sauveur, non point des oppresseurs étrangers, mais de ses péchés.
… Christ…
Avant de devenir, dans le christianisme, un nom propre, ce mot a désigné une fonction. C’est la transcription du mot grec CristoV (Christos), lui-même traduction du mot hébreu mashiah, devenu en français messie. En grec, Christos signifie : oint, enduit, graissé, qui a reçu l’onction d’huile sainte. Cet adjectif — car c’est un adjectif avant d’être un substantif — vient du verbe criw ( chriô ) qui signifie : oindre, notamment pour consacrer. Dans l’Ancien Testament, les rois d’Israël étaient consacrés par une onction d’huile sainte signifiant que leur fonction royale faisait d’eux les lieutenants de Iahvé en Israël. Après l’exil, la royauté ayant disparu, on se mit à oindre le Grand Prêtre qui était devenu le chef de la communauté israélite. Jésus fut baptisé par Jean dans le Jourdain, mais il ne reçut aucune onction d’huile. Et pourtant, les chrétiens le considèrent comme l’Oint par excellence. C’est que Jésus Christ est essentiellement celui sur lequel, de toute éternité — avant tous les siècles — repose la plénitude du saint Esprit qui procède du Père. Dans la synagogue de Nazareth, Jésus lit le texte d’Is. 6 1, 1 sq. : L’Esprit du Seigneur est sur moi.. Or, il a la prétention — absolument exorbitante pour ses auditeurs ! — de s’appliquer le texte à lui-même. A la fin, tous dans la synagogue furent remplis de colère, et s’étant levés ils le poussèrent hors de la ville et le conduisirent jusqu’au sommet de la colline sur laquelle leur ville était bâtie, pour le précipiter (Lc 4, 28-29). Cette fois-là, Jésus échappa à la mort. Mais nous savons que l’Acte V de la tragédie sera le Vendredi saint. Or, si Jésus fut mis à mort, ce ne fut pas parce qu’il prétendit être le Messie attendu depuis si longtemps et avec quelle impatience par Israël, mais essentiellement parce qu’il prétendit être le Messie d’une manière totalement inattendue pour les Juifs. Jésus est mort d’avoir osé s’affirmer comme Messie oint par le Père d’une manière telle qu’elle faisait de lui le Réceptacle éternel de l’Esprit, et, en conséquence, son Dispensateur unique et incontournable ici-bas, parmi les hommes.
… le Fils de Dieu, son unique-engendré, né du Père avant tous les siècles.
On se contente, dans toutes nos traductions en français, de rendre le mot grec monogenhV (monogénèse), par Fils unique. Le grec est beaucoup plus précis : il s’agit du Fils unique engendré. Ce n’est pas un pléonasme. En effet, si un couple adopte un. enfant, ce dernier sera légalement, juridiquement et surtout affectivement fils mais non pas engendré : si vous adoptez un asiatique ou un africain, tout le monde le considèrera comme votre fils, vous-même l’aimerez autant que vos autres enfants, si vous en avez déjà, mais il sautera aux yeux de tout le monde que cet enfant n’est pas biologiquement votre fils ! Le Credo de l’Eglise affirme que de toute éternité Dieu est Père d’un Fils qu’il engendre en lui communiquant toute sa Puissance vitale de Père — c’est-à-dire l’Esprit saint dont il sera question dans la troisième partie — et que, lorsque ce Fils coéternel à lui est devenu l’un des hommes, il fut encore son unique Père au plan de la génération biologique humaine : Jésus de Nazareth est le fils biologique de la vierge Marie, mais il n’est pas le fils engendré de Joseph, il n’en est que son fils adoptif. L’homme Jésus étant la même personne que le Fils coéternel au Père, il n’a pu avoir qu’un Père ici-bas, celui qui est dans les cieux.
Dans les Evangiles, Jésus nous demande de nous adresser à Dieu en lui disant : Notre Père… Il dit Mon Père. Mais il ne dit jamais Notre Père en se comptant lui-même avec ses disciples. Après sa résurrection, il dit à Marie de Magdala en Jn. 20, 17: … va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Et d’ailleurs, tout au long des quatre Evangiles nous voyons bien que le regard que les disciples avaient sur la personnalité si mystérieuse de Jésus, les laissait pénétrés de crainte et de respect. Certes, ils avaient auprès de lui chaud au cœur, d’une manière que ni un ami, ni une femme, ni leurs parents, ni leurs vignes ni leurs figuiers ne leur avaient jamais laissé pressentir. Mais ce n’était pas de la camaraderie. Ils avaient besoin de lui, un besoin de toute l’âme; il parlait très fortement à tout ce que leur être fruste avait de meilleur, de cet Autre obscur qu’attend secrètement tout homme. Mais lui n’avait nul besoin d’eux. Il y avait un plan de son être où ils ne pénétraient pas. Du côté de la terre, il était seul, mystérieusement seul. Mais il ne l’était pas du côté de Dieu, du côté de celui qu’il appelait, avec un accent étrange et qui n’était qu’à lui, son Père.
Lumière issue de la Lumière, Dieu véritable issu du Dieu véritable…
En Jn 8, 12, Jésus affirme Moi, je suis la Lumière du monde. A l’office des vêpres, l’Eglise chante : Lumière joyeuse de la sainte gloire du Père immortel, céleste, saint et bienheureux, ô Jésus Christ !Jésus Christ est la Lumière du monde, c’est-à-dire des hommes, en ce sens très précis qu’il est le Révélateur du Père et le Dispensateur de l’Esprit que, de toute éternité, il reçoit de son Père. En créant le monde et les hommes, le Père céleste a répandu dans sa création comme dans le cœur de tout homme, la Lumière et la Vie dont le Père comble de toute éternité son Fils en lui faisant le don de son saint Esprit. Le Fils est le Modèle divin dont le Père reproduit quelques traits, quelques pâles reflets en chaque réalité qu’il crée. Le Père des lumières répand la splendeur infinie de son être en son Fils, et de son Fils, par le prisme de l’acte créateur, il fait sortir des êtres qui tous participent de quelque manière à la lumière, à la beauté, à la gloire de l’Etre unique, mais ne peuvent en être qu’un aspect fini, limité. Toute réalité créée est le reflet du Fils unique-engendré. Toute réalité créée est l’image du Père, un fragment de l’icône du Père qu’est le Fils unique-engendré. Toute réalité créée — le corps d’une femme, la musique de Mozart, les montagnes de Corse dans le soleil de juillet — répand quelque chose de la Lumière véritable qu’est le Père réverbérée en son Fils. Et, en ce qui nous concerne nous, les êtres humains, tout notre être personnel n’a de signification que pour être plongé un jour totalement dans la Vie divine qui est lumière, pour être immergé dans la Vie divine qu’est l’Esprit saint et qui jaillit de la génération du Fils unique-engendré par le Père. La Vie était Lumière des hommes, dit le Prologue du quatrième Evangile. «Et la Lumière dans la ténébre brille» (Jn 1, 4-5).
… engendré, non créé…
C’est à cause de l’hérésie d’Arius que l’Eglise a été amenée à formuler sa foi en Christ en opérant cette distinction fondamentale entre engendré et créé. Originaire de Libye, Arius ( 256-336 ) reçut sa formation théologique à Antioche. D’Antioche, il se rendit à Alexandrie où il fut ordonné diacre puis prêtre. A partir de l’an 318 environ, il se mit à provoquer de nombreuses discussions, en raison d’une doctrine théologique individuelle qu’il proposait dans ses homélies comme la foi de l’Eglise.
A la base de la théologie d’Arius se trouve un postulat qui, dès le départ, l’empêchait de saisir la véritable relation unissant Dieu le Père et Dieu le Fils. Ce postulat était que la divinité devait non seulement être incréée, mais aussi agennhtoV ( agennètos ), inengendrée. Il s’ensuivait que le Fils ne peut être vraiment Dieu. Il n’est que la première des créatures deDieu et, comme elles toutes, il fut tiré du néant, et non point de la substance même du Père. Aussi diffère-t-il essentiellement de lui, Il y eut un temps, selon Arius, où le Fils n’existait pas. Il est le Fils de Dieu au sens moral du terme, mais non pas au sens métaphysique. C’est improprement qu’on lui décerne le titre de Dieu, car l’unique Dieu véritable, le Père, l’a adopté comme fils. De cette filiation par adoption ne résulte aucune participation effective à la divinité du Père, aucune véritable ressemblance avec celle-ci. Le Fils occupe une place intermédiaire entre le monde et Dieu le Père qui l’a créé pour en faire l’instrument de sa création. Le saint Esprit est encore moins divin que le Fils. Le Fils est devenu Jésus de Nazareth en ce sens qu’il a rempli en Jésus la fonction de l’âme. Mais si Jésus de Nazareth n’est pas Dieu, c’est tout l’édifice chrétien qui s’effondre comme un château de cartes. Car enfin, toute la nouveauté du christianisme par rapport à toutes les autres religions, consiste à affirmer que l’humanité a été atteinte et de part en part pénétrée par la divinité, qu’elle a été divinisée. Si ce n’est pas Dieu lui-même qui, en la personne du Fils, est devenu l’un des hommes, l’homme n’a aucune possibilité de devenir ce que Dieu est, d’être divinisé, d’être introduit dans l’intimité même de la vie divine. L’homme ne peut être atteint et rejoint par Dieu autrement que par Dieu le Fils devenu l’un des hommes. L’homme étant un corps est rejoint corporellement par Dieu. L’humanité est divinisée par le seul fait que Dieu le Fils est entré en elle. Dans le corps humain de Jésus de Nazareth habite toute la plénitude de la divinité du Père. Et si tout homme est sauvé, c’est en ce sens que Dieu le Fils étant réellement devenu corporellement l’un des hommes, tout homme a pour destinée, toute humaine existence a pour sens ultime de pénétrer dans l’intimité de l’Acte générateur éternel par lequel Dieu le Père communique à Dieu le Fils la plénitude de sa Vie divine de Père, à savoir Dieu le saint Esprit.
consubstantiel au Père…
La plupart du temps, à l’heure actuelle, les chrétiens traduisent très mal ce passage du Credo en disant, au lieu de consubstantiel au Père: de même nature que le Père. En effet, les milliards d’hommes et de femmes que nous sommes fragmentent la nature humaine. Chacun de nous a plus ou moins de mémoire, d’intelligence, de santé, de vertu. Nous sommes plus ou moins des hommes, aucun de nous ne possède la plénitude de l’humanité. Seul Jésus de Nazareth a possédé cette plénitude. Seul Jésus de Nazareth a été un homme en plénitude parce qu’il était pleinement Dieu. En Jésus de Nazareth nous a été révélé que Dieu seul est pleinement humain. Jésus de Nazareth fut plus pleinement, plus complètement humain que ne l’avait cru Arius.
Mais dire que l’Un de la Trinité devenu l’un des hommes était pleinement, totalement Dieu tout en étant pleinement homme, et plus généralement dire que Dieu est simultanément trois personnes et un Dieu unique, c’est dire que chacune des trois divines personnes est si totalement, si complètement, si pleinement Dieu que toutes trois réunies ne constituent pas trois dieux mais un Dieu unique : chacune des trois personnes divines possède toute la nature divine.
par l’entremise de qui tout a été fait.
Le Credo cite ici le Prologue de l’Evangile selon saint Jean qui, en son troisième verset, affirme au sujet du Fils: Tout fut fait par son entremise, et sans lui rien n’a été fait de ce qui fut fait. Dieu le Père tout-puissant a créé le ciel et la terre, toutes les réalités aussi bien visibles qu’invisibles, par la médiation de son Fils. Le Fils est, de toute éternité, le Miroir du Père (l’image du Dieu invisible) (Col 1, 15), c’est pourquoi il en a été ici-bas l’unique Révélateur –. Il est donc comme la représentation devant le Père de toutes les possibilités infinies de réalités que le Père est en mesure de créer. Et en créant ces réalités, Dieu le Père contemple le Modèle de toutes choses en son Fils unique engendré. Son Unique-engendré est, nous dit saint Paul dans son épître Aux Colossiens, le Premier-né de toute la création (Col 1, 15). L’expression paulinienne n’est pas sans équivoque. En effet, faut-il comprendre que le Fils est le premier-né de toute créature — ce que dirait volontiers Arius –, ou bien qu’il est le premier-né, le premier-engendré du Père avant toute créature ? St.Paul n’est pas encore arrivé, ici, à la plénitude de clarté dans l’expression du mystère divin. Au contraire, saint Jean, dans son Prologue, a atteint cette plénitude. Le Fils est Dieu, il est le Miroir du Père, le resplendissement de la gloire divine du Père, la splendeur de sa substance. L’admirable anaphore de saint Basile le Grand s’adresse au Père au sujet de son Fils en lui disant : «Il est l’Icône de ta bonté, le Sceau qui le reproduit fidèlement. En lui-même il montre que tu es son Père. Il est la Parole vivante, Dieu véritable, la Sagesse d’avant les siècles, la Vie, la sanctification, la puissance, la Lumière véritable». Et un peu plus loin la même anaphore dit encore au Père au sujet de son Fils : «Lorsque vint la plénitude des temps, c’est par ton propre Fils que tu nous as parlé, par l’entremise de qui tu as créé les siècles (c’est-à-dire le monde). Lui qui, étant resplendissement de ta gloire, et empreinte de ta réalité personnelle, lui qui porte l’univers par la puissance de sa Parole, il n’a pas estimé comme une prérogative d’être ton égal, ô Dieu son Père». De toute éternité, Dieu le Père engendre son Fils unique comme le Miroir, la représentation de tout ce qui peut exister, de toutes les créatures possibles que Dieu a le dessein providentiel de créer. Dieu le Père pense son Fils, et en pensant son Fils, il pense toutes les créatures qu’il va amener à l’existence avec la Puissance de vie dont, de toute éternité, il comble son Fils et qui est son saint Esprit. De toute éternité, le Fils est en Dieu le Réceptacle de la Vie du Père. C’est pourquoi, ce serait une grave erreur de croire que les réalités cosmiques, la splendeur du monde créé, et donc la physico-chimie mathématique et la biologie, ainsi que l’astronomie, la matière se situent en dehors de Dieu, comme si Dieu s’était contenté de les créer pour les abandonner ensuite à elles-mêmes et les condamner à exister sans relation vivante et étroite avec lui. En réalité, le Credo affirme — et déjà saint Jean en son Prologue -que toutes les merveilleuses découvertes de nos savants modernes et contemporains sur le cosmos, sur la terre, sur les étoiles, sur les atomes, sur l’univers prodigieux de la cellule vivante, que tout cela est l’oeuvre du Fils consubstantiel et coéternel au Père.
Par conséquent, lorsque nous communions au Corps et au sang du Fils ressuscité, nous communions à Celui qui a créé le ciel et la terre, qui ne cesse de les créer, de les maintenir dans l’être. Nous devons adopter sur le mystère de notre foi un point de perspective cosmique. Le Fils est le Prisme de la Lumière divine et incréée du Père, qui dans l’acte créateur se polarise en un nombre apparemment infini de créatures. Par elle-même, la lumière est blanche, mais à travers un prisme elle se décompose dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel : le rouge, le vert, etc… C’est un peu ainsi, mutatis mutandis, que le Fils est celui par l’entremise de qui tout a été fait. Le Fils est infiniment au-dessus des anges, infiniment au-dessus des saints, infiniment au-dessus de tout être créé parce que «à l’origine était la parole, et la Parole était auprès de Dieu, et la Parole était Dieu. Elle-même était à l’origine près de Dieu. Tout fut fait par son entremise et sans elle rien n’a été fait de ce qui fut fait (Jn 1, 1-3). Le Père est bien le créateur du ciel et de la terre, de toutes les réalités visibles aussi bien qu’invisibles, mais il ne l’est pas autrement que par l’entremise co-créatrice de son Fils unique-engendré. Dieu crée en prononçant son Fils. En tant que nous sommes des créatures du Père tout-puissant, nous sommes marqué du sceau de son Fils. Et donc, tout ce qui survient en chacune de nos pauvres vies, toutes les épreuves que nous expérimentons, toutes les souffrances, parfois atroces, que nous éprouvons, toutes les vicissitudes de chacune de nos existences tourmentées, tout est, mystérieusement mais très effectivement, en relation intime avec l’Acte générateur éternel par lequel le Père communique à son Fils la plénitude de Vie qu’est son Souffle paternel, son très saint, bon et vivifiant Esprit. Si tout est advenu à l’existence par l’entremise co-créatrice du Fils, cela signifie que tout ce qui nous advient, même la souffrance, même la maladie, même la mort inéluctable, est directement ordonné à notre entré dans l’Acte générateur et divinisant du Père sur son Fils.
A nous de prendre conscience de notre grandeur infinie et de notre infinie dignité du fait que nous sommes sortis des Mains du Père par son Fils. «Agnosce, o christiane, dignitatem tuam» nous dit le pape saint Léon le Grand (Reconnais, ô chrétien, ta dignité, St Léon le Grand, Premier sermon en la Nativité du Seigneur. In Sermons t1 Coll Sources chrétiennes, n°22bis Ed. du Cerf 1964 2ème éd. p.72). A nous de méditer avec toute notre foi et tout notre amour sur la toute-puissance du Fils en nous comme créateur et rédempteur, c’est-à-dire libérateur et divinisateur. A nous de nous soumettre totalement à son action divinisatrice pour que nous vivions jour après jour dans l’attente de sa gloire. A nous de voir le cours du monde et l’odyssée de chacune de nos existences conduits par le Père selon l’ordre de son Fils.
Père André Borrély, recteur de la Paroisse St Irénée à Marseille (France) Revue « Orthodoxes à Marseille »