LA CONFESSION
Le sacrement
Le sacrement de la confession tient, ou devrait tenir, une place importante dans la vie du chrétien orthodoxe. Il est en effet lié au sacrement de l’eucharistie, et également à cet examen de conscience que nous sommes appelés à faire pour ne pas nous endormir dans l’existence, et qui d’étape en étape, en nous purifiant de nos péchés, nous introduit toujours plus profondément dans le mystère de la vie divine.
Debout devant un lutrin où sont posés la croix et l’évangile, le pénitent s’adresse directement à Dieu, invisiblement présent. Le prêtre se tient de côté pour recevoir cette confession dont il est seulement le témoin. Il peut par ses paroles aider le pénitent à se décharger, attirer son attention sur tel point particulier, et c’est au nom du Seigneur qu’il transmet le pardon, en prononçant la prière d’absolution : « Toi seul a le pouvoir de pardonner, car Tu es bon… »
La confession, avec l’eucharistie, est le seul sacrement qui se répète tout au long de l’existence. Il s’inscrit dans la durée de la vie du chrétien, avec sa succession de chutes et de relèvements. Etant pécheurs tous les deux, confesseur et pénitent cheminent ensemble sous le regard de Dieu, approfondissant ensemble cette vie de grâce qui nous est offerte, reçoivent ensemble avec émerveillement le pardon que le Père ne refuse jamais à celui qui se repent en toute sincérité. Le pénitent peut s’abandonner avec confiance ; le prêtre assume dans la prière les péchés évoqués par les membres du troupeau qui lui a été confié et dont il devra rendre compte au Jour du Jugement. Rejeter le péché est une longue patience, un combat renouvelé jusqu’à la fin de notre vie, et dans ce combat, en dépit de nos multiples défaillances, se trouvent déjà les germes de la victoire.
On ne reçoit le pardon jamais seul. La légèreté, l’allégresse même, qui s’emparent de l’âme au moment de l’absolution, et que rien d’autre ne saurait produire en ce bas monde, nous poussent spontanément à en partager les fruits avec le prochain. C’est dans la mesure où nous sommes bouleversés par le pardon du Père, que nous ne pouvons faire autrement que de pardonner à nos frères, même à nos frères ennemis et à nos persécuteurs. Les martyrs pardonnèrent toujours à leurs bourreaux, car ils se savaient pardonnés par le Père, source unique de tout pardon.
Qu’est-ce que le péché ?
Plutôt que de dresser un inventaire des péchés, pensons d’abord au péché comme à un état qui nous éloigne, nous détourne de Dieu. Il est relativement aisé d’en prendre conscience lorsqu’au cours d’une discussion orageuse, ou en proie à une tentation où nous sentons céder notre volonté, ou dans un repliement égoïste sur nous-même, nous voyons qu’il nous est impossible de prier le Seigneur, d’ailleurs nous n’y pensons même pas. L’esprit du mal s’empare alors de nous et nous fait trébucher.
La Bible dénonce le péché comme une révolte contre Dieu. Les premiers révoltés furent les anges qui, à la suite de Lucifer, furent précipités dans les abîmes infernaux. Adam et Eve, en cédant à la tentation, furent soumis, et soumirent leur descendance à la condition de mortels, eux qui avaient reçu la vie immortelle. La rançon du péché c’est donc la mort. Mais Dieu n’a pas voulu laisser ainsi périr sa créature. L’histoire du salut est celle des tentatives de Dieu pour arracher l’homme à son péché : il envoya son propre Fils pour nous en délivrer. Lorsque nous nous confessons et communions au Corps et au Sang du Christ, nous dépouillons le vieil homme en nous, pour retrouver notre condition d’enfants du Père, promis à la vie éternelle.
L’Evangile s’ouvre sur un appel du Seigneur à la conversion : « Le Royaume de Dieu est proche. Repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ». (Marc 1/15). le repentir dont il est ici question est une transformation radicale, un changement profond de notre être intérieur, la volonté ferme, avec la grâce du Seigneur, de modifier-notre état d’esprit, de laisser le Seigneur agir dans notre vie. Chaque fois que nous nous confessons, nous devons faire un acte de conversion, repartir dans la vie d’un pied nouveau.
Ici ou là, la Bible donne des exemples précis de péchés, en dresse même des listes. Si l’orgueil, la vanité, furent à l’origine de nos maux, dans l’Ancien Testament, le peuple hébreu est fréquemment tancé par les prophètes pour son manque de foi, son esprit de rébellion, son penchant à adorer les idoles et à se détourner du vrai Dieu. Voici dans Saint Marc, un catalogue assez complet :
» Car c’est du dedans, c’est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, débauches, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, ruse, dérèglement, regard envieux, calomnie, orgueil, déraison : toutes ces vilenies sortent du dedans et rendent l’homme impur ». (Marc 7/21-23)
Le plus étonnant dans ces paroles du Christ, c’est sa façon de situer l’origine du mal, le lieu où il s’élabore, dans le dedans, dans le cœur de l’homme. Dostoievski rend compte de cette expérience lorsqu’il écrit que Dieu et Satan se livrent combat dans le cœur de l’homme (Les Frères Karamazov). La confession n’est-elle pas un retour sur notre moi intérieur, un regard sur notre cœur, une prise de conscience de tout ce qui s’y agite, bouillonne, aspire à en sortir en bien comme en mal ?
La confession et le monde d’aujourd’hui
La civilisation du monde moderne, grisée par les progrès de la technique, l’accumulation des biens matériels, entraînée dans une course au bonheur qui se dérobe sans cesse, angoissée par le mystère de la vie, cette civilisation s’éloigne des notions chrétiennes de repentir, de conversion, et surtout de péché. Ce n’est point qu’elle s’aveugle sur les manifestations du mal, dont on prend conscience de plus en plus tôt au risque de provoquer des ravages dans la jeunesse, mais il faut toujours trouver un bouc émissaire, un coupable, le plus souvent collectif, aux traits indistincts : tantôt la classe possédante, ou les groupes révolutionnaires, les immigrés, ou les professeurs, telle idéologie, ou telle agence d’espionnage d’un super-grand, telle firme multinationale, ou tel produit polluant. En oubliant que la pire des pollutions est justement celle qui s’installe dans le cœur de l’homme. Tous ces arguments peuvent contenir une parcelle de vérité, mais c’est oublier que l’homme est une personne sans doute conditionnée à des degrés divers par son entourage, mais aussi, en son fond intérieur, douée d’une liberté dans les choix décisifs. Le nier c’est, à la limite, ne voir en l’homme guère qu’un robot, une machine manipulée par les puissances de ce monde. La confession est, en définitive, un acte de liberté. L’humilité est aussi une grande puissance, capable de transformer les relations de force entre les hommes comme entre les peuples en relations de tolérance et d’amitié.
Confession et psychanalyse
L’aveu de ses péchés ne consiste pas en une exploration systématique du moi psychique, il ne dresse pas un inventaire de tout ce qui est déréglé dans la psyché, il est bien éloigné – avec quelques recoupements possibles – de l’analyse psychanalytique. Celle-ci tente d’apporter un bienfait aux êtres douloureux en proie au mal de vivre ; le sacrement de la pénitence vise le salut. Le déroulement de ce sacrement laisse au pénitent une zone d’intimité, un jardin secret, peut-être connu de Dieu seul, il évite les constants retours en arrière, jusqu’à la première enfance parfois, qui risquent de dévier vers une attitude complaisamment narcissique, contre laquelle l’apôtre Paul s’était prémuni : « oubliant ce qui est en arrière et tendant vers ce qui est en avant » (Phil. 12/13). L’essentiel de la confession réside dans la prise de conscience de son état de sujétion au péché, d’un désir sincère de repentance, d’une volonté ferme de ne pas retomber dans les mêmes égarements et de progresser dans le « renouvellement de l’homme intérieur » (2Cor. 4/16).
La psychanalyse, si elle parvient à démonter le délicat mécanisme des complexes, des transferts ou des pulsions – cela est relativement aisé – n’est pas toujours en mesure de reconstruire l’être intérieur, de redonner le goût de la vie, de pacifier le moi bondissant, de soulager le remords, cette grave maladie si souvent incurable de nos jours. La confession, par contre, si elle part d’un élan de foi, d’un abandon total en la miséricorde divine, aboutit au pardon du Père, toujours octroyé, sans limitation aucune. La promesse du salut accueillie avec humilité, la réintégration dans l’amour du Père (ce Père dans lequel l’homme moderne projette tant de fantasmes perturbants), et donc dans la communion des hommes, ouvre la voie vers une guérison à la fois du corps et de l’âme. Le pardon du péché est la pierre de touche de notre foi.
La pratique de la confession
Cette pratique a varié au long de l’histoire. Il semble que les chrétiens des premiers siècles aient pratiqué une confession publique ou mutuelle : « Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris » (Jacques 5/16). Notre mentalité voit les choses différemment.
La majorité des orthodoxes communient, hélas, rarement : pour eux la communion sera nécessairement précédée de la confession. Toutefois, dans de nombreuses églises en Russie, en Grèce, au Proche-Orient, et surtout dans les pays de la diaspora, la communion devient de plus en plus fréquente, et, comme l’écrit notre Archevêque Georges, c’est « l’un des faits les plus réjouissants de notre vie ecclésiale contemporaine. » N’oublions pas que la liturgie eucharistique est essentiellement un banquet, auquel le Christ nous invite : « Avec crainte de Dieu, foi et amour, approchez ! » Lorsqu’un orthodoxe communie à chaque liturgie, il n’est évidemment plus tenu de se confesser ‘au préalable (mais il est recommandé de lire les prières pénitentielles, de faire un examen de conscience, avant de se rendre à l’église). Il reste juge, en accord avec son confesseur, du rythme de confession, plus ou moins rapproché selon son besoin intérieur.
La confession doit être dénuée de tout esprit juridique, il ne s’agit pas de distribuer des châtiments en les proportionnant – selon quels critères ? – à des fautes, surtout s’il s’agit de prières dont on ne devrait jamais penser qu’elles puissent faire office de pensum. En se détournant de Dieu, l’homme a péché, il est tombé malade, et doit s’en retourner guéri. C’est la nature humaine dont il faut panser les blessures, qu’il faut soulager de tout le mal qui pèse sur elle et la fait souffrir. Saint Grégoire de Nazianze compare la pénitence à un baptême, le baptême des larmes, qui transforme le cœur de pierre en cœur de chair et introduit à la vie nouvelle. L’apôtre Jacques (5/15) lie la guérison de la maladie à la guérison des péchés. Pour les Pères, les espèces eucharistiques sont un « remède d’immortalité ».
Un Dieu qui pardonne dans la joie
Dieu a l’initiative du pardon, le pécheur repentant implore son immense compassion : « Aie pitié de moi, Ô Dieu, selon ta grande miséricorde », chante le psalmiste à qui Nathan le prophète vient de reprocher fermement son adultère, et il ajoute : « Crée en moi un cœur pur, ô Dieu, et renouvelle en ma poitrine un esprit droit. Ne me rejette pas loin de ta face, et ne retire pas de moi ton Esprit Saint ».
Ces importants versets du psaume 50, le plus souvent lu et médité dans les célébrations liturgiques, attestent que le pardon octroyé par Dieu dans sa justice entraîne une rénovation de l’état intérieur de l’homme, une recréation de son être profond dont l’agent efficace est l’Esprit Saint, le Consolateur qui » purifie de toute souillure « . L’abandon par l’Esprit Saint entraîne inévitablement une rechute dans le péché.
Par-delà l’image du Père juste dans son châtiment, punisseur des iniquités, jaloux des infidélités de son peuple si souvent porté à adorer des idoles, nous devons déceler les traits d’un « Dieu souffrant », dont les entrailles de miséricorde s’émeuvent devant les chutes répétées de ses fils, d’un Dieu aussi qui jubile dans l’exercice de son pardon : « il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance ». Cette parole devrait nous faire réfléchir sur ce que l’on pourrait appeler paradoxalement : « du bon usage du péché ». Car autant il faut le haïr, dans la mesure où il nous détourne de Dieu et nous offre un avant-goût de l’enfer, autant il ne faut pas le craindre, écarter toute tentation de désespoir dans la ferme assurance qu’il n’existe pas de péché si horrible qu’il ne puisse être atteint, effacé par l’inépuisable compassion divine et provoquer, par là même, dans cette entreprise victorieuse sur les assauts du mal, un état spirituel plus’ élevé que ce n’était le cas auparavant.
Père Michel EVDOKIMOV