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Synode des Evêques sur la Famille – intervention du Métropolite Stéphanos

Votre Sainteté, très respecté et vénéré Pape François,

Messieurs les Cardinaux, Eminences, Excellences, Vénérable Assemblée,

Permettez-moi tout d’abord de vous adresser les salutations très fraternelles de Sa Sainteté le Patriarche Œcuménique de Constantinople Bartholomée, que j’ai l’honneur de représenter ici, ainsi que ses vœux de pleine réussite de toutes vos entreprises  au cours de ce Synode pour la plus grande gloire de Dieu.

A l’origine, le mariage est une donnée naturelle.  Pour faire naître la vie un homme et une femme s’unissent et procréent un enfant. En établissant le mariage comme institution, la société a donné un cadre juridique à cette donnée naturelle afin de la protéger. Si le législateur décide de faire du mariage une affaire essentiellement de droit et de sentiment (le mariage- sentiment ayant tendance de nos jours de l’emporter sur le mariage-procréation) en dehors de toute donnée naturelle, il introduira dans la cité la ruine possible de toute identité propre à la famille ainsi que celle du devenir symbolique de l’être humain.

Il semblerait qu’aujourd’hui le mariage et la filiation ont changé de sens dans les sociétés d’Occident, lesquelles mettent peu à peu en place, par le biais du législateur, de nouvelles normes en matière de famille et de filiation. Ces mutations de la famille nous interpellent directement  et créent à juste titre des inquiétudes face à ces évolutions et ces diversifications des structures familiales qui se font au nom de l’égalité et du refus d’établir des discriminations.

Mais objectivement parlant, un homme et une femme ensemble ne sont pas la même chose que deux hommes ou deux femmes ensemble. Si demain on met sur le même plan hétérosexualité et homosexualité, si la société fait sienne l’idée d’une équivalence entre tous les couples (hétérosexuels et homosexuels), un processus dangereux va s’engager à savoir celui de la disparition à plus ou moins long terme de la différence sexuée.  Il y a risque de voir surgir une nouvelle humanité, fondée sur l’indifférenciation. Mais l’indifférencié est le contraire de la différence (qui est le propre du vivant), parce qu’il ne présente pas de caractéristiques suffisantes pour se différencier et pour cette raison il est un principe de mort. On peut donc légitimement se poser cette question : va-t-il désormais servir de principe pour guider l’humanité ?

Jusqu’à présent, la rationalité de la société repose sur la notion de limite et avec elle sur l’idée que tout n’est pas possible. Tout ne se décrète pas. Tout ne se fabrique pas. Limite positive autant que protectrice, l’idée que tout ne se décrète pas nous préserve du risque de la dictature du Droit et l’idée que tout ne se fabrique pas nous préserve du risque de la dictature de la Science. L’essence même du nihilisme repose sur le « Tout est possible ». Pour peu que le législateur passe à côté des vrais questions de société, pour peu qu’il cherche à bricoler une famille grâce à un montage juridico-médical et qu’il appelle cela « famille », le « Tout est possible » va devenir une réalité et, avec lui, le nihilisme sous la forme du triomphe sans partage de la Science, du Droit et de l’Homme. Au rythme où vont les choses, l’Homme va obéir à l’Homme sans que l’Homme n’obéisse plus à quoi que ce soit.

On peut répondre que le juridique confirme sans doute une réalité sociale (et que les types divers types de relation sexuelle, concubinage- homosexualité, etc…  ne lui échappent plus désormais) mais que pour l’Eglise, le sacrement de mariage, s’il est lucidement souhaité, ne relève pas d’Elle comme institution mais comme mystère de vie. Il n’a de sens que dans la foi au Christ, à l’Evangile, dans la certitude que les actions du Christ continuent dans l’Evangile, puisque tels sont justement les sacrements.

Notre première tâche est donc bien l’évangélisation. Il faut – si c’est possible et sans contrainte, même dissimulée – faire pressentir aux femmes et aux hommes d’aujourd’hui qu’ils ne sont pas orphelins, que Jésus les accueille, qu’il aime chacun comme il est, pour lui donner consistance et responsabilité, comme il aima ces femmes perdues de mœurs qu’étaient la Samaritaine et la Prostituée qui baigna ses pieds de ses larmes et de sa chevelure. Aborder nos contemporains avec un langage de jugement au sujet de la sexualité, dans la perspective du permis et du défendu, alors que dans bien des cas ils ne savent pas très bien s’ils croient réellement en Dieu, c’est absurde. C’est peut-être les éloigner pour longtemps de Dieu, du Christ, de l’Eglise. C’est seulement si nous savons trouver la parole qui convient pour  montrer aux couples la sacramentalité de l’amour qui est le leur que nous pourrons leur faire comprendre le sens du « sacrement du mariage ». Tant il est vrai que le véritable amour peut constituer un lieu privilégié d’évangélisation. Peut-être pourra-t-on ainsi les aider, jeunes ou moins jeunes, souvent incertains, parfois psychologiquement infirmes (ils ne se rencontrent pas, ils se mélangent, a dit un poète), à se regarder autrement, à se libérer d’un lien trop fusionnel, pour devenir vraiment responsables l’un de l’autre, dans l’espérance, et parfois déjà faire l’expérience de la résurrection dans la gloire des corps.

Dans ce même ordre d’idées, il ne faut pas perdre de vue qu’il n’y a pas un droit à l’enfant mais un droit de l’enfant, dont la venue au monde ne peut être que le résultat du seul couple sexuellement différencié. Il y a trop de choses dangereuses et graves, notamment en matière d’adoption, qui risqueraient de condamner les enfants  des couples séparés ou homosexuels à ne pas être des enfants comme les autres. A cela s ‘ajoute aussi le fait que la propension naturelle des enfants est de se culpabiliser quand l’équilibre familial n’est plus respecté. Qu’on le veuille ou non, Il existe des données naturelles de la famille. N’y touchons pas. Ne touchons pas à cette loi d’équilibre dynamique fondamentale de l’univers qui se fonde sur la complémentarité entre le féminin et le masculin.

C’est bien pour  cette raison qu’on ne peut en aucun cas remplacer la famille naturelle par des substituts. Leur seul mérite sera d’engendrer de la confusion et avec elle la confusion des esprits et des comportements, ce dont notre société souffre déjà. Est-il besoin d’en rajouter ?

Pour conclure je dirai que le message chrétien, dans ce domaine qui nous préoccupe, n’est pas une loi à imposer mais une aimantation à proposer.  L’Eglise n’a pas à dicter les lois de l’Etat ou à les bloquer comme un « quelconque groupe de pression ». L’Eglise inspire et sanctifie. Elle ne contraint pas. Ce qu’Elle tente de changer, ce sont les cœurs.

 

+Stéphanos, Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie

Rome, le 16 octobre 2015

 

 

+Stephanos, Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie

                                           (Patriarcat Œcuménique de Constantinople)

       

 

 

Note : Le texte de cette intervention a été établi à partir des documents suivants :

 

1. Bertrand Vergely : « Le mariage gay ou la dictature de la confusion » in www.sagesse-orthodoxe.fr

 

2. Assemblée des Evêques Orthodoxes de France : audition à l’Assemblée Nationale du 29 novembre 2012. : « Allocution » de S.E.le Métropolite Joseph.

 

3. Olivier Clément : – « Questions sur l’Homme » –  Edition Stock, Paris 1972, chapitre 5 : « Destin de l’Eros », pp.90-121

– « Sexualité et Sacrement de l’Amour»  in site de l’Eglise Orthodoxe d’Estonie, www.eoc.ee  (partie en français).

 

4. Stephanos Charalambides : – « Le mariage dans l’Eglise Orthodoxe » in Revue Contacts, Paris 1978, numéro 101, pp.52-76

– « Couple et mariage » in Chronique Sociale, Lyon 1981, collection « L’Essentiel », pp 122-129

 

– « El matrimonio en la Iglesia ortodoxa », in « Selecciones de Teologia » n° 75, Vol.19, pp.227-231, Barcelona 1980