Vicissitudes de l’Eglise Orthodoxe d’Estonie entre 1940 et 1945
Vicissitudes de l’Eglise Orthodoxe d’Estonie entre 1940 et 1945
La révolution russe a provoqué un changement dans la vie de l’Eglise Orthodoxe, d’Eglise d’Etat elle est devenue Eglise du peuple. La communauté orthodoxe demanda, dès 1917, que le siège suffragant de Tallinn (Estonie) soit placé sous la juridiction du diocèse de Riga. Une fois la demande satisfaite, Paul Kulbush, archiprêtre de la paroisse orthodoxe estonienne de St. Petersbourg, a été unanimement élu chef du nouveau siège suffragant et il en a été consacré évêque le 31 décembre 1917 à Tallinn. Le premier prélat orthodoxe d’origine estonienne, l’évêque Platon, n’a pu servir l’Eglise d’Estonie qu’un an, car il a été exécuté par les soldats Rouges le 14 janvier 1919. L’assemblée générale de l’EAÕK (1)du 21 mars 1919 institue, sous le nom de » Eglise Apostolique Orthodoxe d’Estonie » (le mot « apostolique » étant un complément purement linguistique estonien et n’a aucune connotation religieuse), le diocèse de Tallinn et le Conseil du diocèse d’Estonie. Les dirigeants de l’Eglise d’Estonie ont commencé à adresser une pétition à l’Eglise russe afin d’obtenir un statut d’indépendance pour l’Eglise d’Estonie. Lors de leur rencontre commune le 10 mai 1920 le Saint synode et la haute assemblée de l’Eglise Orthodoxe russe, ont discuté des anciens territoires du diocèse de Pskov et du siège suffragant de Tallinn, qui se situent sur le territoire de la République d’Estonie et ont adopté la résolution suivante :
1) Puisque l’Eglise d’Estonie est située dans les frontières d’un état indépendant, l’Eglise y était, pour la plus grande part déjà indépendante en termes économiques, administratifs, éducatifs et autres. Donc par la résolution No 183 du 17 avril 1920 du Saint synode et de la haute assemblée, l’Eglise Orthodoxe d’Estonie est reconnue autonome jusqu’à ce que l’assemblée générale de l’Eglise Orthodoxe russe soit convoquée pour lui accorder l’autocéphalie.
2) A cause du précédant de l’Eglise Orthodoxe de Finlande, le Saint synode et la haute assemblée a accordé à l’Administration de l’Eglise d’Estonie le droit de permettre aux paroisses orthodoxes de célébrer les fêtes religieuses selon le nouveau calendrier (grégorien).
Le 15 juin 1920 le Saint Synode et la haute assemblée de l’Eglise Orthodoxe russe, avec la bénédiction de Sa Sainteté le Patriarche Tikhon, a adopté la résolution No 1780, qui a reconnu l’autonomie de l’Eglise Orthodoxe d’Estonie. Ainsi l’Eglise Orthodoxe d’Estonie acquît son autonomie en 1920. Les mois suivants furent consacrés à l’organisation de l’Eglise en attentant la consécration d’un évêque. A l’assemblée générale du 1er septembre 1920, le Président et le Prêtre Nikolaï Päts poussèrent le prêtre Alexandre Paulus, devant la tombe de l’évêque Platon à la Cathédrale de la Transfiguration du Christ à Tallinn, à accepter la charge de l’Eglise. Finalement, le prêtre Alexandre Paulus a donné son consentement et il a été, séance tenante, unanimement élu (110 voix en sa faveur) archevêque de l’EAÕK.
Pour l’essentiel, l’autonomie accordée par le Patriarcat de Moscou n’a apporté aucun changement dans la vie de l’Eglise locale. D’une part, depuis l’époque de l’évêque Platon, l’Eglise Orthodoxe d’Estonie avait assuré l’administration et la vie de l’Eglise sans l’intervention du Patriarcat de Moscou. D’autre part, le Patriarche de Moscou a gardé le contrôle sur la partie la plus importante de la vie de l’Eglise, c’est lui qui donne son accord pour la nomination des évêques et qui organise la consécration. Enfin, l’archevêque d’Estonie a été placé sous la juridiction du Patriarche et du Conseil des évêques de Moscou, ainsi l’Eglise d’Estonie n’était aucunement différente des autres diocèses russes en termes de loi canonique. L’Eglise Orthodoxe d’Estonie, tout comme les autres diocèses russes, n’avait pas le droit de raccourcir la liturgie, de diffuser les hymnes plus largement, de réciter les prières secrètes distinctement, et d’effectuer d’autres changements liturgiques mineurs.
Evidemment, le conseil d’administration de l’Eglise était insatisfait de cet état des choses. Donc, la première assemblée générale de l’Eglise d’Estonie du 18-22 mars 1919 a posé une requête unanime en vue de la création d’une Eglise entièrement indépendante en Estonie. Cette demande devait être approuvée par l’administration ou le Conseil du diocèse. Le Patriarche de Moscou a notifié plus tard, en 1920 que l’on avait accordé l’autonomie à l’Eglise d’Estonie dans les domaines économiques et éducatifs. Cependant, la résolution finale sur la pleine indépendance c’est-à-dire l’autocéphalie de l’Eglise d’Estonie relevait de l’assemblée générale de l’Eglise russe qui serait convoquée à une date ultérieure.
A cause de l’obstruction par les autorités soviétiques de la communication avec le Patriarche de Moscou, à cause de l’arrestation de Patriarche Tikhon, à cause de l’abolition de l’ancienne administration de l’Eglise de Russie, et à cause également des interventions du synode russe hors frontières (dénommé le synode Karlovac) ; l’assemblée générale de l’EAÕK du 14 au 16 septembre 1922 a décidé, de chercher ailleurs la reconnaissance canonique de l’Eglise d’Estonie et de se transférer sous la juridiction du Patriarche de Constantinople.
Autorisé par l’assemblée générale de l’ EAÕK, l’Evêque Alexandre et son synode contactèrent le Patriarche Meletios IV de Constantinople et tous les patriarches orthodoxes des Eglises d’Orient le 17 avril 1923 avec une demande de protection spirituelle et de tutelle perpétuelle et canonique. Lors de la réunion solennelle du synode le 7 juillet 1923, l’Archevêque de Constantinople, Nouvelle Rome et Patriarche Œcuménique Meletios IV a annoncé l’octroi à l’Eglise Orthodoxe-Apostolique d’Estonie de l’acte d’autonomie (Tomos No 3348, 7.7.1923), érigeant ainsi l’EAÕK comme Eglise autonome sous la juridiction du Patriarcat de Constantinople. L’Eglise de Finlande a obtenu un tomos semblable. Le même jour l’archevêque Alexandre a été élevé au rang de Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie. L’Eglise d’Estonie est devenue autonome : la Métropole d’Estonie (« Uus Elu », juillet 1923). Avec cet acte historique du Patriarche Meletios IV, l’EAÕK avait aboutit sur le plan de sa reconnaissance sur le plan extérieur. Selon le Tomos, le Patriarche Meletios IV a proposé de diviser l’EAÕK en trois diocèses : Tallinn, Narva et Petseri. Le diocèse de Tallinn existait depuis 1920. Le diocèse de Narva a été créé sous le nom de diocèse (russe) de Narva et Irboska le 24 septembre 1923 et l’ancien archevêque de Pskov Eusebius (Grozdov) y devint le premier évêque, le 1er décembre 1925. Le diocèse de Petseri a été créé sur la base du Tomos du Patriarche de Constantinople le 9 juillet 1923 (compte-rendu du synode de l’EAÕK No 12 du 29.12.1924).
Selon la clause 32 de la loi sur les Eglises et les associations religieuses, adoptée le 24 décembre 1934, toutes les Eglises devaient soumettre leurs statuts à l’approbation du gouvernement de la République dans les trois mois. Les statuts de l’EAÕK amendés et améliorés furent approuvés par décision du gouvernement de la République d’Estonie et ont été enregistrés par le ministère des affaires intérieures le 22 mai 1935.
Jusqu’au au 16 juin 1940, tous les fidèles orthodoxes en Estonie étaient membres de l’Eglise autonome sous la juridiction du Patriarcat de Constantinople. En 1940, l’Eglise comprenait deux diocèses et le siège suffragant de Petseri :
1) Le diocèse de Tallinn avec neuf doyennés, dans les 127 paroisses et quatre monastères et couvents : le monastère de Petseri (Pechory), les couvents de Narva et Pühitsa (Kuremäe) et le prieuré de Pühitsa à Tallinn.
2) Le diocèse de Narva avec 29 paroisses.
En résumé, l’EAÕK comprenait 156 paroisses où officiaient 140 prêtres et 30 diacres. En 1938, 3 évêques étaient en fonction et un en retraite. Sur la base des statuts de l’EAÕK de 1935, le Métropolite gouverne l’Eglise avec l’aide du synode (l’administration de l’Eglise), il comprenait les évêques de tous les diocèses, cinq ecclésiastiques et trois laïcs, élus par l’assemblée générale de l’Eglise.
La formation du clergé était assuré par le Séminaire de théologie de Petseri (1933-1940 au monastère de Petseri, le Recteur en était l’archevêque Nikolaï) et la Chaire de théologie orthodoxe de la Faculté de théologie de l’Université de Tartu (dirigée par l’archiprêtre et professeur Karp Tiisik et l’archiprêtre et professeur Vassili Martinson respectivement à partir de 1919 et 1922) (Raid. 1995; Kaljukosk, 1967).
Les revues de théologie suivantes étaient publiées : « Uus Elu » (Nouvelle Vie) (1918-1933), « Usk ja Elu » (Foi et Vie) (1933-1940), « Laste Elu » (Vie des enfants) (1933-1938), « Vaimulik Laul » (Hymne Sacré) (1936-1940), « Elutõde » (La Vérité de la Vie) (1936-1940) et, en langue russe, « Pravoslavny Sobesednik » (1931-1940).
Avec l’annexion de l’Estonie par l’URSS le 19 juin, Andrei Zhdanov, un membre du Comité Central du PCUS, est arrivé à Tallinn pour former un gouvernement communiste et placer la République d’Estonie dans l’Union soviétique.
Le 5 juillet le Parlement (Riigikogu) a été dissous et les élections du nouveau Riigikogu ont été annoncées. Ces élections se sont déroulées les 14 et 15 juillet. Le 22 juillet le parlement communiste vota une résolution pour approcher le Soviet Suprême de l’URSS avec une demande de l’Estonie d’être incorporé à l’URSS. Le 23 juillet le parlement vota une résolution pour nationaliser la terre, les grandes sociétés privées et a accepté la démission du Président K. Päts (il a été déporté en Union soviétique le 30 juillet). Le 6 août 1940, la république socialiste soviétique d’Estonie a été acceptée dans l’URSS comme seizième république soviétique.
Dans les années 1939-1940 il y avait environ 3000 paroisses orthodoxes dans le territoire occupé par l’URSS (Estonie, Lituanie, Lettonie, Bessarabie, Pologne), qui ont été bientôt unies au Patriarcat de Moscou. Prenant prétexte de la nationalisation, les terrains, les immeubles et les dépôts bancaires de l’EAÕK furent confisqués par les nouvelles autorités dès le 23 juillet 1940. On imposa plus lourdement les ecclésiastiques (impôt sur le revenu et impôts indirects), ce qui provoqua une réponse indignée et unanime de la part du clergé de l’EAÕK.
Dans sa correspondance avec les doyens, le Métropolite Alexandre avait discuté de la possibilité, à cause de la pression des autorités, de l’union avec le Patriarcat de Moscou dès septembre 1940. La correspondance révèle que la majorité des doyens n’a pas exclu l’union, mais a souligné qu’elle devait se réaliser à l’initiative de l’EAÕK et par ses propres moyens, dans un esprit de compréhension fraternelle, sans pression, ni dénigrement, ni restriction des droits de l’EAÕK et de son chef.
Le 23 septembre 1940 le synode de l’EAÕK, pour anticiper une intervention du gouvernement dans les affaires de l’Eglise, a décidé de contacter le Métropolite Serge (Stragorodsky), vicaire du Patriarche de Moscou, avec la demande d’accepter l’EAÕK dans le Patriarcat de Moscou sur la base de la résolution No 1780 (15 juin 1920) du Patriarche Tikhon et du synode, acceptant l’EAÕK comme Eglise autonome. Un extrait de cette résolution (No 2139) a été envoyé au Métropolite Serge, le vicaire du Patriarche de Moscou le 16 septembre 1940. Le Métropolite Alexandre a cru que l’union avec Moscou était possible à ces seules conditions : l’EAÕK conserverait le nouveau calendrier ; Pavel (Dmitrovsky) resterait l’évêque de Narva ; le Métropolite Alexandre conserverait le titre de Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie ; et une nouvelle procédure d’administration et de direction de l’Eglise serait préparée en collaboration avec Moscou.
En décembre 1940 le vicaire du Patriarche Serge (Stragorodsky) envoya au Métropolite Alexandre sa réponse, disant qu’il ne pourrait y avoir aucune union dans de telles conditions et que deux Eglises orthodoxes ne pourraient pas exister en parallèle dans le même pays.
En se référant au « Livre des résolutions » du Métropolite Alexandre, au total 76 ecclésiastiques (un archevêque, 25 archiprêtres, 44 prêtres et 6 diacres) quittèrent leur ministère, à leur demande, à partir du 10 mai 1940 et jusqu’au 25 mars 1941. De plus, le Ministère de l’Education nationale de la République socialiste soviétique d’Estonie a licencié le Professeur de l’Université de Tartu l’archiprêtre Vassili Martinson le 9 septembre 1940.
Ivan Nelson a écrit sur cela dans la propagande Soviétique : « Plus de 50 % du clergé a déposé une requête presque en même temps, demandant à être radié de leur charge de recteurs de paroisses. Plus de la moitié des églises n’ont plus d’offices célébrés. Les paroissiens ont commencé à exprimer leur mécontentement, parce qu’il était clair pour eux que c’était une marque d’hostilité contre le nouveau pouvoir, bien que ces prêtres se soient retirés à leur seule initiative …. »
En toute probabilité, ce n’était non seulement une expression d’hostilité contre le nouveau pouvoir, mais c’était aussi l’expression du refus d’aller vers une union avec le Patriarcat de Moscou, ainsi qu’une peur des répressions. De toute façon, cette importante diminution du clergé, qui a atteint un niveau maximum en août – décembre 1940, était la raison principale du refus, par la direction de l’EAÕK, de l’union. A la réunion conjointe du synode de l’EAÕK et des doyens, le 27 décembre 1940 il a été décidé de retarder délibérément l’exécution de la résolution d’unification. Pointait l’espoir d’une amélioration de la situation politique et de la reconquête de l’indépendance de l’Estonie, ainsi l’EAÕK pourrait conserver sa position.
Fin décembre 1940, le Patriarcat de Moscou a envoyé l’archevêque Serge (Voskresensky) de Dmitrov en Estonie et en Lettonie avec pour mission d’examiner l’état des Eglises Orthodoxes estonienne et lettonne et d’unir celles-ci. Plus tard, Serge (Voskresensky) est devenu archevêque de Lituanie et de Vilnius. Le 17 janvier 1941, l’archevêque Serge (Voskresensky), représentant du vicaire du Patriarche de Moscou fit une visite inattendue à Tallinn. Serge a exigé qu’une réunion du synode de l’EAÕK soit convoquée sans retard afin de dicter la formulation du transfert de l’EAÕK sous la juridiction du Patriarcat de Moscou. Le synode s’est réuni, mais le quorum, pour le vote des résolutions, n’a pas été atteint. Le document (No 2322 du 17 janvier 1941) révèle que le synode rappela d’abord son désir de se rapprocher du Patriarcat de Moscou et de placer l’EAÕK sous sa juridiction, sur la base de la clause 45 des statuts de l’EAÕK de 1935, et ensuite que cette réunion était nulle et non avenue puisque seulement 2 ecclésiastiques, membres du synode, étaient présents, – les archiprêtres Konstantin Gustavson et Ioann Bogoyavlensky. Ni le président ni le vice-président n’étaient présents. Les résolutions sus-nommées ne pouvaient donc pas représenter le libre désir ni du synode de l’EAÕK, ni de la communauté de l’Eglise. Ainsi, erronée, est la déclaration du Patriarche Alexis II qui prétend que le synode de l’EAÕK conduit par le Métropolite Alexandre avait réitéré, le 17 janvier 1941, sa demande d’union avec le Patriarcat de Moscou.
Fin janvier 1941 l’archevêque Serge retourna à Moscou et annonça que les schismatiques lettons et estoniens avaient fait « une demande d’union ». En conséquence, le Patriarcat de Moscou a décidé d’unir les Eglises estonienne et lettonne et résolut de ne reconnaître ni le Métropolite Alexandre de Tallinn et de toute l’Estonie, ni le Métropolite Augustin de Riga et toute la Lettonie comme les chefs, respectivement, de l’EAÕK et de l’Eglise lettonne, avant qu’ils ne se repentent de leur schisme.
Le 24 février 1941, l’EAÕK et l’Eglise Orthodoxe de Lettonie ont été supprimées par la résolution No 10 de Patriarcat de Moscou et en lieu et place fut créé un Exarchat du Patriarcat de Moscou avec statut de Métropole. Elle devait comprendre les diocèses lituanien, letton et estonien. Par l’ukase N° 387 du Patriarcat de Moscou le nouveau Métropolite Serge (Voskresensky) de Lituanie et de Vilnius a été nommé chef de l’Exarchat nouvellement créé le 2 mars 1941 avec le titre d’Exarque pour la Lettonie et l’Estonie. La tâche principale du Métropolite Serge était de dissoudre le synode de l’EAÕK, le synode de l’Eglise lettonne et l’administration du diocèse lituanien et d’établir en lieu et place, l’administration de l’Exarchat, c’est-à-dire que sa mission était d’organiser un ordre nouveau dans l’Eglise. Les évêques lituaniens, lettons et estoniens et les métropolites Alexandre et Augustin furent placés, comme suffragants, directement sous l’autorité de l’Exarque Serge. Riga est devenu le centre de l’Exarchat du Patriarcat de Moscou et la résidence de l’Exarque. Le 9 avril 1941 le Métropolite Serge est arrivé à Riga et commença à diriger l’Exarchat. Avant cela, le 26 mars 1941 l’Exarque Serge avait visité Tallinn où il avait confirmé la dissolution du synode de l’EAÕK et avait commencé à organiser l’administration de l’Exarchat. Le 28 mars 1941 le Métropolite Serge, vicaire du Patriarche de Moscou, invite les métropolites Alexandre et Augustin à Moscou afin de résoudre des questions d’organisation de l’Eglise, mais en fait, pour réaliser, de force, l’unification des Eglises estonienne et lettonne. Le 30 mars les métropolites Alexandre et Augustin concélèbrent la Divine Liturgie à la Cathédrale Patriarcale de la Manifestation du Christ, là, le Métropolite Alexandre a été forcé de signer une résolution, préparée à l’avance, où il renonce à l’autocéphalie de l’EAÕK (cet acte d’union mentionne l’EAÕK comme l’Eglise Autonome d’Estonie), où il se repent et se place, comme chef de l’EAÕK, sous la juridiction du Patriarcat de Moscou. Il doit être noté ici, que jamais l’autocéphalie n’a été accordée à l’EAÕK ni par Moscou, ni par les patriarches de Constantinople et, pour cette raison, cet acte est nul et non avenu, à la fois canoniquement et juridiquement (l’archevêque Cyril d’Alexandrie, règle III). A la réunion du conseil d’administration de l’Eglise russe le 31 mars, l’EAÕK a été acceptée comme un diocèse du Patriarcat de Moscou et l’autonomie de l’Eglise d’Estonie a été supprimée. Serge (Stragorodsky), le vicaire du Patriarche, a présidé cette réunion, où le Métropolite Serge (Voskresensky) a fait un plus long discours, expliquant que Moscou a le pouvoir civil et, par conséquent l’Eglise russe a le pouvoir ecclésiastique, et donc les Eglises baltes ne pourraient plus être indépendantes. Le Métropolite Serge a ajouté qu’il avait été nommé Métropolite de Lituanie et de Vilnius et, en même temps, Exarque pour l’Estonie et la Lettonie. Les résolutions pour l’unification des Eglises estonienne et lettonne avec le Patriarcat de Moscou avaient été préparées à l’avance et ont été lues à haute voix. Le Métropolite Alexandre posa encore une demande écrite afin de reconsidérer la situation, de permettre aux paroisses estoniennes de procéder suivant leur propre culture et d’autoriser les orthodoxes estoniens à célébrer les fêtes religieuses selon le nouveau calendrier, mais sa demande a été rejetée. Sur la base de cet » accord « , on a permis au Métropolite Alexandre, en tant qu’évêque, de s’occuper des paroisses estoniennes tandis que les paroisses russes ont été confiées à l’Evêque Pavel de Narva. L’exarque Serge lui-même s’occupa des paroisses russes en Lettonie, tandis que le Métropolite Augustin et l’Evêque Alexandre de Jersika sont devenus responsables des paroisses lettonnes.
Le Métropolite Alexandre donna aussi sa version des faits :
» Le 17 janvier 1941 l’archevêque Serge Voskresensky, le représentant du Métropolite Serge, le vicaire du Patriarche de Moscou, vient à Tallinn. Il était déjà allé à Riga dans le but d’unifier les Eglises, et la réunification de l’Eglise de Lettonie avec l’Eglise de Moscou avait déjà été réalisée de force. Donc, bon gré mal gré, nous avons été obligés d’accepter l’union avec l’Eglise de Moscou, parce que l’archevêque Serge semblait, de plus, avoir l’appui du Gouvernement de l’Union soviétique dans l’exécution de cette tâche. Après, est venue l’invitation (par un télégramme du vicaire) à me rendre à Moscou, le 29 mars pour résoudre les questions d’organisation de l’Eglise. Le 30 mars, avec le vicaire du Patriarche et d’autres évêques, j’ai concélébré la Divine Liturgie, qui a été suivie par la reddition de l’autonomie. Le 31 mars 1941 j’ai reçu une ordonnance du vicaire du Patriarche de Moscou, déclarant que l’Eglise Orthodoxe-Apostolique d’Estonie avait été unie à l’Eglise de Moscou comme diocèse et non pas comme Eglise autonome, ce qui était en pleine contradiction avec les résolutions et les demandes du gouvernement et des représentants de la république d’Estonie … L’ordonnance suivante nomma un évêque venant de Moscou en Estonie – l’archevêque Serge a été nommé Exarque, parce que, prétendument, on leur avait demandé ( au Patriarcat de Moscou) d’agir ainsi (Vassiliev, Koulikov, Shkolov, Shvedov et Archiprêtre Verkhoustinsky …).
Je peux prouver indubitablement que les orthodoxes estoniens sont, sans exception, contre l’union avec le Patriarcat de Moscou, ainsi qu’une grande partie des orthodoxes russes d’Estonie.
Le 26 mars 1941, l’Exarque Serge fit sa deuxième visite à Tallinn et a déclaré le synode de l’Eglise d’Estonie dissout, l’administration temporaire de l’Exarchat s’installa et a commencé à prendre, sans me consulter, des décisions irréalistes et inopportunes. Par exemple, il a nommé Doyen de Petserimaa, l’archiprêtre E. Verkhoustinsky, qui ne convenait absolument pas pour cette charge … »
L’union forcée de l’Eglise Estonienne Apostolique Orthodoxe avec le Patriarcat de Moscou en mars 1941 a, en réalité, marqué la fin de l’EAÕK comme Eglise autonome. Le synode de l’EAÕK a été dissous. L’union a été effectuée dans le cadre du plan, qui regroupait tous les pays récemment annexés. L’Estonie s’est avérée être en fin de liste après la Bessarabie, la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. Les propriétés de l’Eglise avaient été nationalisées dès le 23 juillet 1940. Les dépôts en banque de l’EAÕK et les valeurs avaient été expropriés également. L’entrepôt où les publications de l’Eglise étaient stockées fut confisqué ainsi que les bâtiments de certaines paroisses. Pendant la première occupation soviétique dans les années 1940-1941 avant l’entrée des troupes allemandes en Estonie, 5 églises avec leurs annexes furent incendiées, 9 églises ont subi des dégâts si importants qu’il était impossible d’y célébrer des offices. Les bâtiments de 4 autres églises ont été sévèrement endommagés. Cependant, le fardeau le plus pénible pour l’EAÕK était les pertes parmi le clergé. 16 ecclésiastiques et 2 laïcs du synode EAÕK (Ioann Lagovsky, Aadu Birk) ont été arrêtés, la majorité d’entre eux ont été ou bien exécutés ou bien déportés. Encore 2 ecclésiastiques ont été exécutés, 8 autres été enrôlés de force et enfin 2 ont été tués dans un bombardement. De plus, environ 2 500 paroissiens ont été déportés en juin 1941. Le Séminaire de Petseri et la Chaire d’Orthodoxie de la Faculté de Théologie de l’Université de Tartu ont été fermés. L’instruction religieuse a été supprimée du programme des écoles. La publication des périodiques à contenu religieux fut interdite.
Ainsi, erronée est la déclaration de Patriarche Alexis II que l’union avec le Patriarcat de Moscou avait été réalisée à la demande de l’EAÕK et qu’elle fut le fruit de négociations. Les troubles politiques de 1940-1941 brisa l’EAÕK et la subordination à Moscou a causé de nombreux problèmes. Cependant, pendant la première occupation soviétique, l’Eglise conserva de facto l’autonomie accordée par le Patriarche Tikhon et le Patriarche Oecuménique et mit fin à la lutte pour l’autonomie pendant l’occupation allemande.
Pour conclure, on peut noter que quand l’Estonie a été annexée à l’URSS, l’idée d’union avec le Patriarcat de Moscou est venue à l’ordre du jour, mais qu’elle fut le résultat des changements politiques plutôt que l’expression d’une volonté libre. En 1940 seuls la paroisse des Quarante Martyrs de Petseri et quelques ecclésiastiques russes de l’EAÕK avaient demandé une réunification directe avec le Patriarcat de Moscou.
Avec l’abolition de l’EAÕK et l’établissement de l’Exarchat en février-mars 1941, le Patriarcat de Moscou niait constamment les droits des Eglises locales et a rencontré de nombreuses difficultés, particulièrement avec la formation de l’administration de l’Exarchat. Les évêques locaux (les métropolites Alexandre et Augustin) ensemble avec leur clergé ont exprimé leur désaccord avec la situation actuelle et la subordination de l’EAÕK à l’Exarque Serge du Patriarche de Moscou. Jusqu’à la fin de l’occupation soviétique en 1941, l’Exarque Serge ne réussit jamais à soumettre l’Eglise estonienne une fois pour toute. Il n’arriva pas à réorganiser l’EAÕK dans le diocèse estonien, à la différence de la Lettonie où la soumission de l’Eglise a été obtenue plus rapidement.
Au tout début de la deuxième guerre mondiale, le 9 juillet, les troupes allemandes ont pris Petseri et le 28 août 1941 elles prirent Tallinn. Dès les premiers jours de la guerre entre l’Allemagne et l’Union soviétique (le 30 juin 1941) le Métropolite Alexandre s’est proclamé chef de l’EAÕK indépendante et a réaffirmé les liens de l’EAÕK avec le Patriarcat Œcuménique. Le Métropolite Alexandre avait l’appui des paroisses estoniennes et du gouvernement autoproclamé d’Estonie et, à un moindre degré, du Generalkommissariat allemand. En septembre-décembre 1941, 24 des 76 ecclésiastiques qui avaient quitté leurs paroisses en 1940 sont revenus au service de l’Eglise. Pendant l’occupation allemande, les rangs du clergé de l’EAÕK s’accru d’un évêque. Le 25 juillet 1943 le Métropolite Alexandre et l’ancien archevêque Nikolaï de Petseri ont consacré le Doyen Peeter (Pähkel) de Petserimaa à la Cathédrale de la Transfiguration du Christ à Tallinn comme évêque de Petseri et de Tartu, lui confiant tout le sud-est de l’Estonie. La vie de l’Eglise a été rétablie. L’EAÕK récupéra les bâtiments de l’administration de l’Eglise et quelques autres bâtiments et terrains, qui avaient été nationalisés par le pouvoir soviétique. Le 19 juin 1942 le Reichskommissar Ostland ordonna l’enregistrement de toutes les associations religieuses. Elles devaient, à une date fixée, fournir au Reichskommissar, une demande d’enregistrement ainsi qu’un rapport détaillé sur leurs activités religieuses. Guidé par la résolution de la réunion du synode du 23 juillet 1942, le 20 octobre 1942, le Métropolite Alexandre enregistra auprès du Generalkommissar d’Estonie la Métropole Orthodoxe d’Estonie sous la juridiction de Constantinople. Le 28 octobre 1942 la résolution du Generalkommissar a donné au clergé et aux paroisses le choix, ou bien rester dans l’EAÕK dirigée par le Métropolite Alexandre, ou bien d’aller dans le diocèse russe de Narva dirigé par l’évêque Pavel.
Avec cette résolution les autorités d’occupation allemandes ont officiellement enregistré l’EAÕK. Celle-ci se vit octroyer le droit d’agir sur les bases de 1935 comme : Métropole Orthodoxe d’Estonie (en allemand : Orthodoxe Kirche Estlands) et le Métropolite Alexandre a été reconnu comme le chef de la Métropole (en allemand : Metropolit der Orthodoxe Metropolie Estlands). Ainsi le Métropolite Alexandre et la direction de l’EAÕK obtinrent l’autorisation d’agir de manière autonome sur les bases d’avant-guerre, malgré la sympathie du Reichskommissar Ostland pour l’Exarchat de Moscou.
Le diocèse de Narva avec 24 paroisses a été enregistré par les autorités allemandes le 10 novembre 1942 comme un diocèse du Patriarcat de Moscou sous l’autorité de l’Exarque Serge de Lettonie et d’Estonie. Une partie du clergé du diocèse Narva et 7 paroisses furent transférées au diocèse de Tallinn sous l’autorité du Métropolite Alexandre, exprimant ainsi leur désaccord avec l’Evêque Pavel de Narva, de s’être placé sous l’autorité de l’Exarchat de Moscou et d’avoir ainsi détruit l’unité de l’EAÕK. La politique des autorités allemandes était, que le choix devait être libre et sans pression d’aucune sorte, malgré cela, l’évêque Pavel de Narva a exercé d’importantes pressions sur les paroisses pour les forcer à s’unir avec l’Exarchat de Moscou. Il a anathématisé les ecclésiastiques qui avaient choisi l’EAÕK et leur a interdit d’exercer leur charge paroissiale. Pour mettre fin aux actions anti-EAÕK de l’évêque Pavel, qui avait refusé de reconnaître et de respecter les statuts de l’EAÕK, en août 1942, le Métropolite Alexandre a décidé de le déposer de son poste d’évêque du diocèse Narva et lui a interdit de célébrer dans les paroisses et les établissements religieux de l’Eglise Orthodoxe d’Estonie. Dans ces circonstances, le Métropolite Alexandre assuma temporairement l’administration du diocèse de Narva.
Le 23 juillet 1942, les évêques de l’Exarchat de Moscou ont tenu leur première réunion où ils ont vivement critiqué le Métropolite Alexandre. A cette première réunion, convoquée à Riga avec l’aide de la police de sécurité allemande, les évêques de l’Exarchat ont télégraphié leurs salutations à Adolf Hitler, dénonçant publiquement la collusion du Patriarcat de Moscou avec le pouvoir soviétique. Il a été décidé de ne plus commémorer le vicaire du Patriarche aux offices divins.
Plus tard, lors de la deuxième assemblée des évêques de l’Exarchat de Moscou à Riga les 2-6 novembre 1942, le Métropolite Alexandre a été illégalement anathématisé et écarté de son poste d’évêque et de la direction du diocèse estonien. Le Métropolite Alexandre a été accusé de rupture avec l’Eglise Mère et de schisme dans l’EAÕK au moment de la République d’Estonie. Par abus de pouvoir, il a été décidé sur la base de la critique faite par l’assemblée des évêques du 23 juillet 1942 et sur la résolution No 129-IV de l’Exarque Serge (en date du 5 novembre 1942) d’interdire au chef de l’EAÕK de célébrer. La même mesure a été prise à l’encontre du Métropolite Augustin, le chef de l’Eglise orthodoxe lettonne (résolution No 515 du 25 octobre 1941). Avec ces mesures, l’Exarchat de Moscou refusa de reconnaître toute consécration de métropolites, à l’avenir. Le vicaire du Patriarche de Moscou ne pouvait plus longtemps ignorer le comportement de l’Exarque Serge et particulièrement son orientation antisoviétique, donc il a fortement condamné la réunion des évêques de l’Exarchat Balte du 23 juillet, dans son message du 22 septembre 1942. Dans celui-ci le vicaire du Patriarche, avec 12 autres évêques, a lancé un appel aux membres de l’Exarchat de l’Eglise Balte et a noté que la cour de justice ecclésiastique ne pouvait pas tolérer dans l’Eglise une telle désobéissance, insubordination et calomnie de la part des évêques. Le même jour, le vicaire du Patriarche et les autres évêques ont signé la résolution No 27 « sur le Métropolite Serge Voskresensky et autres évêques », dans laquelle, cependant, un accord a été conclu pour suspendre la décision finale sur cette question (c’est-à-dire la condamnation) jusqu’à ce que les détails aient été clarifiés. La résolution exigea que :
1) L’Exarque Serge et les autres prélats – participants à cette réunion devaient annoncer et expliquer (aussi par voie de presse) la véracité de l’information reçue par le Patriarcat sur l’assemblée des évêques à Riga.
2) Si l’information reçue par le Patriarcat s’avérait juste, alors toute mesure devait être prise afin de remédier à la transgression…afin que la cour de justice ecclésiastique puisse tenir compte, non seulement des erreurs, mais aussi de leurs corrections …
Et le Métropolite Serge (Voskresensky) n’a pas été anathématisé, à la différence des autres prélats qui faisaient des déclarations favorables aux allemands dans les territoires occupés. En avril 1944, le saint synode a décidé de reconnaître comme valides les consécrations de l’Exarque et des évêques dépendant de lui.
Cependant, il est raisonnable de penser que la critique de l’Exarque Serge faite par le Patriarcat de Moscou en 1942, devrait remettre en question et les résolutions de la réunion des évêques du 23 juillet 1942 et leur validité (y compris la condamnation et anathémisation du Métropolite Alexandre).
En résumé, après la retraite des troupes soviétiques d’Estonie, le 28 août 1941 l’EOÃK s’est déclarée indépendante des liens imposés, de force, par Moscou, et a cessé de reconnaître l’administration de l’Exarque. La tentative faite par l’Exarque Serge pour soumettre l’EAÕK en 1941-1942 a échoué et la dure bataille pour l’enregistrement de l’EAÕK s’est terminée par la reconnaissance de l’indépendance de l’EAÕK par le Generalkommissar le 20 octobre 1942. Cependant, le conflit a abouti à un schisme dans l’EAÕK, parce que l’Evêque de Narva et 24 paroisses se sont placés sous la juridiction du Patriarcat de Moscou et se sont fait inscrire comme diocèse de l’Exarchat en 1942. En automne 1944 quand la guerre s’est étendue au territoire estonien, le Métropolite Alexandre ainsi que 23 autres ecclésiastiques de l’EAÕK ont dû quitter leur patrie et s’exiler en Allemagne de l’Ouest, d’où le Métropolite Alexandre continua à diriger l’EAÕK. Il s’est rendu compte qu’à cause de l’occupation Soviétique, l’EAÕK ne pouvait pas conserver son statut d’autonomie. Le Métropolite lui-même organisa l’activité des églises en Allemagne. En mars 1944 le Métropolite Alexandre partit pour la Suède d’où, avec le synode nouvellement établi, il a commencé à diriger l’EOÃK en exil. A la fin de la deuxième guerre mondiale, la question des Eglises orthodoxes en Estonie, Lettonie et Pologne était de nouveau à l’ordre du jour. Le destin de l’Eglise Orthodoxe d’Estonie avait été scellé, comme celui d’autres églises orthodoxes en Europe de l’Est. Cependant, la condition préalable à l’unification était le repentir pour « le schisme » – cela s’appliqua à l’EAÕK, à l’Eglise orthodoxe d’Amérique et à l’Archevêché russe en Europe occidentale (sous la juridiction du Patriarcat de Constantinople). Le 10 décembre 1944, après avoir examiné la situation de l’orthodoxie estonienne, le synode de Patriarcat de Moscou décida (résolution N° 2074) de :
1. Mettre fin à l’existence du synode de la Métropole d’Estonie à Tallinn,
2. Créer un conseil temporaire du diocèse comprenant 4 membres issus du clergé (2 russes et 2 estoniens) et un Président. Il avait été décidé, d’avance, de nommer l’archiprêtre Ioann Bogoyavlensky comme président.
La tâche principale du conseil diocésain nouvellement établi était d’accepter, après repentir et inscription, le clergé et les paroisses schismatiques de l’EAÕK. Le 6 mars 1945 se déroula une liturgie pontificale à l’église St Nicolas à Tallinn, présidée par l’archevêque Grégory et assisté par une majorité du clergé des paroisses de Tallinn. Au nom de tout le clergé schismatique de l’EAÕK, un ancien membre du synode de l’EAÕK l’archiprêtre Christofor Vink a dû lire à haute voix l’acte de repentir et de réunification, dans lequel il exprima les remords pour le schisme et la rupture d’avec le Patriarcat de Moscou. Ensuite un acte a été préparé concernant la réunification du clergé russo-estonien et de la communauté laïque du diocèse estonien avec le Patriarcat de Moscou, qui s’était arbitrairement séparé de l’Eglise Mère.
Le 9 mars 1945 une réunion conjointe du conseil du diocèse de Narva et du synode de la Métropole d’Estonie s’est tenue dans les locaux du conseil du diocèse de Narva. L’archevêque Grégory (Chukov) de Novgorod et Porkhov lut à haute voix l’ukase (décret) sur la dissolution du synode de l’EAÕK et la fin de l’activité du synode. Le même jour, un conseil de cinq membres du diocèse d’Estonie et de Tallinn de l’Eglise russe a été nommé et les tâches de cette nouvelle institution ont été définies. Le même jour, le conseil nouvellement établi s’est rencontré pour passer une résolution sur la reprise de la gestion et des propriétés de l’EAÕK. L’archevêque Pavel (Dimitrovsky) est devenu le Président du Conseil du diocèse et est demeuré en fonction jusqu’à sa mort le 1er février 1946.
Le 16 avril 1945 le Patriarche de Moscou a mis fin à l’existence légale de la Métropole, de son synode et du diocèse de Narva, et créa le diocèse de Tallinn sous la juridiction du Patriarche de Moscou. L’ancien évêque du diocèse de Narva, Pavel fut nommé à la tête du diocèse de Tallinn en mars 1945. L’archevêque Pavel imprima un grand nombre de messages séditieux, critiquant l’action du Métropolite Alexandre et invitant la communauté orthodoxe estonienne à s’unir avec le Patriarcat de Moscou. De nouveau, des mesures coercitives furent prises, un bon exemple en est la réintroduction obligatoire du vieux calendrier. Pendant son administration ; il ferma 16 paroisses – dont 4 étaient en activité et 12 qui avaient eu leurs églises détruites au cours de la guerre. Vers la fin de la guerre, 12 ecclésiastiques avaient été arrêtés et 12 de plus après la guerre, y compris l’évêque Peeter (Pähkel) de Tartu et Petseri. L’évêque Peeter (Pähkel) a été arrêté le 26 juin 1945 et a été condamné à 10 ans de déportation (il est mort le 20 août 1948). De plus, 2 membres du synode de l’EAÕK ont été arrêtés : R. Koemets et Andrei Punsun.
De plus il faut noter que le diocèse estonien n’a fonctionné que 4 ans, parce que le 19 décembre 1949 il est devenu le siège suffragant estonien du diocèse de Leningrad sous la direction du Métropolite de Leningrad et Novgorod et sous la supervision du représentant, mandaté par le conseil pour les questions concernant l’Eglise russe, au conseil des ministres de l’URSS. Suite à la modification de la frontière de la république socialiste soviétique d’Estonie en octobre 1946, le diocèse local orthodoxe a perdu 15 % de ses paroisses, soit 20 paroisses : à Irboska, les paroisses de la Mère de Dieu et de St Nicolas ; à Kolpino ; à Krivasoo (Kriusha) ; à Kulye ; à Lisye ; à Myla, les paroisses de la Nativité du Christ et de St Onuphre ; à Nizy ; à Olga-Risti ; à Pankyavitsa, les paroisses de St Nicolas et de la Sainte Trinité ; à Petseri, les paroisses de la Mère de Dieu et des quarante martyrs ; à Petshki ; à Salesye ; à Senno ; à Skamya ; à Venkyla et à Shcheremitsa. Au mépris des statuts de l’EAÕK de 1935, le Patriarche de Moscou a nommé évêques de Tallinn et d’Estonie, les évêques suivants : en 1947, Isidor (Bogoyavlensky), qui ferma 3 paroisses ; en 1950, l’évêque Roman (Tang) de Tallinn sous la Métropole de Léningrad, fut évêque de Tallinn et d’Estonie à partir de 1951, il a fermé 15 paroisses. De 1945 à 1953, le nombre de paroisses orthodoxes estoniennes diminua de 54 (32 ont été fermées, 20 ont été annexées par d’autres diocèses suite à la modification des frontières) ; le nombre d’ecclésiastiques d’origine estonienne baissa de 69 à 38.
En conclusion, on peut dire que ce sont les changements politiques plutôt qu’un choix libre qui fit germer l’idée de l’union avec le Patriarcat de Moscou, au sein de l’EAÕK pendant la première occupation soviétique. Seule une paroisse orthodoxe de langue russe et quelques ecclésiastiques russes ont demandé l’unification de l’EAÕK avec le Patriarcat de Moscou en 1940. Avec l’abolition de l’EAÕK en 1941 et l’établissement de l’Exarchat en février-mars 1941, le Patriarcat de Moscou a singulièrement méconnu les droits des Eglises de Lettonie et d’Estonie ce qui a, par la suite, compliqué la situation. Les évêques locaux et tout le clergé ont exprimé leur désaccord sur la situation d’alors, et cela a été explicitement démontré par le départ de 76 ecclésiastiques de leurs paroisses (soit plus de la moitié du clergé de l’EAÕK) de mai 1940 à mars 1941. Bien que le Patriarcat de Moscou ait supprimé l’EAÕK dès mars 1941, l’Exarque Serge n’a pas réussi à soumettre complètement l’EAÕK vers la fin de la première occupation Soviétique en 1941 et a échoué dans la réorganisation du diocèse estonien. Dans son combat pour son enregistrement pendant l’occupation allemande, l’EAÕK a réussi à s’adapter à la nouvelle situation, a rétabli l’autonomie qui lui avait été supprimée en 1941, a dénoncé les relations imposées par la force avec le Patriarcat de Moscou et ainsi, est restée liée au Patriarcat Œcuménique. L’autonomie et la vie religieuse de l’EAÕK ont été reconstituées pendant l’occupation allemande, bien que l’unité interne de l’EAÕK ait été troublée par l’établissement du nouveau diocèse dépendant du Patriarcat de Moscou, dirigée par l’évêque Pavel de Narva et comprenant 24 paroisses. Avec la deuxième abolition de l’EAÕK, achevée en mars 1945, l’histoire de l’EAÕK a été rompue. Dans la confusion de la guerre, le Métropolite Alexandre et 23 ecclésiastiques ont quitté l’Estonie pour établir l’Eglise orthodoxe d’Estonie en exil.
L’histoire de l’Eglise orthodoxe en Estonie dans les années 1940-1945 mène à la conclusion que, malgré les changements politiques et les troubles de la guerre, l’EAÕK fut capable de s’adapter aux conditions de la première occupation Soviétique et de l’occupation allemande et à conserver son autonomie sur son sol jusqu’en 1945 et plus tard en exil.
(1) Eesti Apostlik-Õigeusu Kirik en estonien, ou Eglise Orthodoxe d’Estonie en français.
Résumé de la thèse d’Andrei Sychov, soutenue en juin 2001 devant l’Université de Tartu