Avaleht/Histoire/Bref aperçu de la querelle des images

Bref aperçu de la querelle des images

 

Par R.P. Boris Bobrinskoy

1. Le culte des images avant la querelle

Dès les premiers siècles, les chrétiens représentaient graphiquement divers thèmes du mystère de notre salut. L’art des catacombes a un caractère symbolique ou « significatif » (Weidlé) décrivant l’expérience sacramentelle de l’Initiation chrétienne et de la Rédemption comme par exemple le Bon Pasteur, la colombe, le Poisson, la vigne, la lyre, l’ancre l’arche, le navire et surtout la croix. Les chrétiens sont appelés les « adorateurs de la croix » (Tertullien).
A la veille de la période constantinienne, le Concile d’Elvire (300), dans son 36e canon, condamne énergiquement l’emploi des images dans les églises, probablement pour ne pas provoquer les railleries et les outrages des païens, là où les locaux de culte n’étaient pas en sûreté durant les persécutions.
Dès le triomphe du christianisme sous Constantin, se développe la coutume de représenter le Christ et les saints et de placer ces images dans les églises. Déjà St. Basile de Césarée, dans son panégyrique du martyr Barlaam, exhortait les peintres chrétiens à glorifier par leurs œuvres ce grand saint : « Venez à mon aide, peintres fameux des exploits héroïques. Rehaussez par votre art l’image imparfaite de ce stratège ; faites briller avec les couleurs de la peinture l’athlète victorieux que j’ai représenté avec trop peu d’éclat ; je voudrais être vaincu par vous dans le tableau de la vaillance du martyr : je me réjouirais d’être aujourd’hui surpassé par votre talent. Montrez-nous le lutteur brillamment en votre image ; montrez-nous les démons poussant des hurlements, car ils sont aujourd’hui, grâce à vous, abattus par les victoires des martyrs ; faites-leur voir encore cette main ardente et victorieuse. Et représentez aussi sur votre tableau Celui qui préside aux combats et donne la victoire, le Christ » (Oratio in S.Barlaam P.G. XXXI, col. 488-489).
Une autre parole de St. Basile eut une fortune particulière et devint l’un des arguments traditionnels les plus décisifs pour les défenseurs des images sacrées : « L’honneur rendu à l’image passe à celui que l’image représente »(De Spiritu Sancto, XVIII 45, P.G. 32, col. 149 C).
De même, St. Grégoire le Grand invitait Sérénus, évêque de Marseille, à remettre dans les églises les icônes qu’il avait fait enlever : « Ce n’est pas sans raison que l’antiquité a permis de peindre dans les églises la vie des saints. En défendant d’adorer ces images, vous méritez l’éloge ; en les brisant, vous êtes dignes de blâme. Autre chose est d’adorer une image, autre chose d’apprendre par le moyen de l’image à qui doivent aller nos adorations. Or ce que l’Ecriture est pour ceux qui savent lire, l’image l’est pour les illettrés…  » (St. Gregoire, Epist. 1. 9 épist. IX P.L. LXXVII col. 949).
Nous voyons donc que la défiance envers les images et la crainte de l’idolâtrie est encore fréquente. Eusèbe de Césarée traite de coutume païenne le fait d’avoir des images portatives du Christ ou des apôtres (Eusèbe Hist. eccl. 1. VIl c. XVIII, P.G. col. 680).
Au VIe siècle, le culte des images est attesté par de nombreux monuments et témoignages d’écrivains ecclésiastiques. Ainsi Léonce, évêque de Néapolis à Chypre écrivait : « Je représente le Christ et sa passion dans les églises et les maisons et sur les places publiques, et sur les images, sur la toile, dans les celliers, sur les vêtements, en tout lieu, pour qu’en les voyant, nous nous souvenions… Car nous autres, les chrétiens, possédant des images du Christ, c’est le Christ que nous baisons intérieurement et ses martyrs… Celui qui craint Dieu honore par conséquent et vénère et adore comme Fils de Dieu le Christ notre Dieu, et la représentation de sa croix et les images de ses saints »(Cité au 2nd Concile de Nicée, P.G. XCVIII, col. 1600).
Le Concile Quinisexte in Trullo (692) déclare les images vénérables, mais prescrit de ne plus représenter Jésus-Christ sous la forme d’un agneau :  » …Nous décrétons de représenter désormais sur les images le Christ notre Dieu dans sa figure humaine (et non plus sous la figure d’un agneau) afin de considérer par cette représentation la hauteur de l’humiliation du Verbe de Dieu et de se rappeler sa vie dans la chair, sa passion, sa mort salvatrice et la Rédemption de tout l’univers qui en est résultée » (Canon 82).
Souvent hélas, le culte des images se mêle de superstitions et d’abus qui expliqueront en partie la réaction iconoclaste : « Beaucoup pensent, dit Anastase le Sinaïte, que le baptême est suffisamment honoré par ceux qui entrent dans une église, baisant toutes les icônes, sans prêter attention à la liturgie et au service divin ».
Une lettre adressée en 824 par l’empereur Michel le Bègue à Louis le Débonnaire fait état de nombreux abus dans la piété populaire remontant à une époque plus ancienne : « …Ils choisissent les images de saints pour servir de parrains à leurs enfants… Quelques prêtres ont pris l’habitude de racler la couleur des images, mêlant cette poussière aux hosties et au vin et distribuent le mélange aux fidèles après la messe. D’autres placent le corps du Seigneur dans les mains des images où ceux qui communient viennent le recevoir » (Mansi, Conc. ampliss coll., t. XIV, p. 240).

2. La première période iconoclaste (723-780)

 » Les courants d’opinion hostiles aux images auxquels le caractère purement spirituel du christianisme paraissait incompatible avec leur culte étaient surtout sensibles dans les régions orientales de l’empire où s’étaient maintenus des restes importants de monophysites… Mais il fallut le contact du monde arabe pour allumer l’incendie iconoclaste… Les Arabes qui sillonnaient l’Asie Mineure depuis des dizaines d’années n’avaient pas seulement apporté le glaive à Byzance, mais aussi leur culture et, avec elle, l’horreur propre à l’Islam pour la représentation du visage humain. Voilà comment la querelle des images naquit dans les provinces orientales de l’Empire d’un croisement singulier entre une foi chrétienne avide de pure spiritualité et les doctrines sectaires iconophobes, les conceptions des vieilles hérésies christologiques et, enfin, les influences de religions non-chrétiennes, Judaïsme et en particulier Islam. Après la victoire sur la ruée guerrière de l’Orient, c’est un engagement avec les infiltrations de la culture orientale qui commence sous la forme de la querelle des images »(G. Ostrogorsky. Histoire de l’Etat byzantin, Paris 1956, pp.189-190).
Le mouvement iconoclaste part d’Asie Mineure où le calife Yézid publie en 723 un édit ordonnant de détruire toutes les images « soit dans les temples, soit dans les églises, soit dans les maisons ». La campagne sauvage de destruction se propage rapidement parmi les évêchés des provinces orientales et atteint la cour impériale de Byzance.
Devant la résistance à l’iconoclasme du patriarche Germain (de 726 à 730), l’empereur Léon 3 l’Isaurien intervient personnellement et publie en 730 un édit interdisant le culte des images et déclarant que celles-ci sont des idoles formellement réprouvées par l’Ecriture : « on ne doit pas vénérer, Dieu le défend, ce qui est fait de main d’homme, ainsi que toute représentation de ce qui est au ciel ou sur la terre »(Hefele-Leclerc Histoire des Conciles, Paris 1910, t.III, p. 664).
St. Germain est déposé et relégué en exil. En ôtant son pallium, il déclare : « Sans l’autorité d’un concile, tu ne peux, Basileus, rien changer à la foi »(Cité par Evdokimoff : l’Orthodoxie, Neuchâtel et Paris, 1959, p.217).
Le premier sang coule lors d’une émeute populaire provoquée par la destruction de l’icône du Christ de Chalcoprateia, au-dessus de l’une des portes du palais impérial. Il en résulte une persécution violente au cours de laquelle de nombreux partisans du culte des images sacrées sont torturés, bannis ou mis à mort, tandis qu’on détruit systématiquement les icônes dans les églises et les maisons.
A Rome, le pape Grégoire 2 ainsi que son successeur Grégoire 3 refuse de se soumettre à l’édit impérial : « Les dogmes de l’Eglise ne sont pas ton affaire, écrit à Léon 3 le Pape, laisse tes folies »(Cité par Evdokimoff : l’Orthodoxie, Neuchâtel et Paris, 1959, p.217).
Une décision d’un concile romain réuni en 731 spécifie que : « à l’avenir, quiconque enlèvera, anéantira, déshonorera ou insultera les images du Seigneur ou de sa sainte Mère ou des apôtres, etc… ne pourra recevoir le Corps et le Sang du Seigneur et sera exclu de l’Eglise »(Hefele-Leclerc op. cit p. 677).
C’est à cette époque que St. Jean Damascène, moine de St. Sabbas en Palestine, écrit ses Traités à la défense des saintes images dans lesquels il fournit aux défenseurs de la foi une base théologique qui sera reprise par les théologiens orthodoxes après lui. Il y déclare qu’il n’appartient pas à l’empereur de trancher la question de la légitimité des images : « c’est l’affaire des conciles et non des empereurs »(St. Jean Damascène, Traité 1 à la Défense des saintes images. P.G. XCIV, col 1281).
 »Il n’appartient pas aux empereurs de légiférer dans l’Eglise ; l’affaire des rois, c’est le bien-être politique, tandis que l’organisation de l’Eglise est l’œuvre des pasteurs et des docteurs »(Traité 2 à la défense… par.12, P.G. XCIV, col. 1296).
Le fondement du culte des images est, selon St. Jean Damascène, le dogme christologique. Le salut est lié à l’Incarnation du Verbe divin, par conséquent à la matière, car le salut est réalisé par l’union en Christ de la divinité et de la chair humaine : « jadis, Dieu, l’Incorporel et l’Invisible, n’était jamais représenté. Mais, maintenant que Dieu s’est manifesté dans la chair et a habité parmi les hommes, je représente le visible de Dieu. Je n’adore pas la matière, mais j’adore le Créateur de la matière, Qui est devenu matière à cause de moi, Qui a voulu habiter la matière et Qui, par la matière, a fait mon salut »(Op. cit. 1, 6, P.G. XCIV, col.1245).
 »Lorsque l’Invisible devient visible selon la chair, alors tu peux représenter la ressemblance de ce que tu as vu. Quand Celui qui n’a ni quantité ni grandeur, qui est incomparable en raison de la supériorité de sa nature, étant l’image de Dieu, quand Il assume la forme d’un esclave et s’humilie en cela jusqu’à la grandeur, adoptant une forme corporelle ; alors grave-le sur une planche et élève à la contemplation Celui qui a daigné être vu. Représente sa condescendance ineffable, sa naissance de la Vierge, son baptême au Jourdain, sa transfiguration au Thabor, sa passion qui communique l’impassibilité, ses miracles, symboles de sa nature divine, accomplis par l’intermédiaire de sa chair, le tombeau salvafique de notre Libérateur, son ascension aux cieux ; décris tout cela, et par la parole et par les couleurs, dans les livres et sur les planches »( op, cit. III, 8. P.G. XCIV, col. 1328-1329).
La persécution iconoclaste atteint son paroxysme sous le règne de Constantin 5 Copronyme (741-775), fils de Léon 3. On l’a considéré comme l’ennemi le plus dangereux et le plus acharné du culte des images, mais ce n’est qu’après le concile iconoclaste de Hiéria (754), que la persécution s’intensifie malgré une résistance acharnée, en particulier de la part des moines exhortés par St. Etienne le Jeune, abbé du monastère de Mont- St.-Auxence. Devant la résistance orthodoxe, l’empereur compose lui-même un traité théologique contre les images dans lequel toutes les tendances iconoclastes sont poussées à l’extrême et dont l’essentiel a été repris dans les actes du concile iconoclaste. De même que les orthodoxes, les iconoclastes veulent dépendre dans leur argumentation du dogme de Chalcédoine, mais il leur manque la nette distinction en Jésus-Christ de la nature et de la personne. Il est impossible et impie, disent-ils, de représenter la nature divine ; dans les images, les peintres ne représentent que la chair du Christ et la séparent de sa divinité. Il n’y a pas de troisième possibilité : « nous sommes convaincus, concluent les évêques réunis à Hiéria, que l’art coupable de la peinture constituait un blasphème pour le dogme fondamental de notre salut, c’est-à-dire pour l’incarnation du Christ… Quiconque fait une image du Christ représente la divinité, qui ne doit pas être représentée, et la mélange avec l’humanité (comme font les monophysites), ou encore dépeint le corps du Christ comme n’étant pas déifié, comme séparé, et comme une personne distincte ainsi que le font les Nestoriens. L’unique représentation autorisée de l’humanité du Christ est le pain et le vin de la Sainte Cène. Il a choisi cette forme et non une autre, ce type et non un autre, pour représenter son humanité… Le christianisme a renversé le paganisme tout entier; par conséquent, non seulement les sacrifices païens, mais aussi les images païennes. Les saints eux-mêmes après leur mort sont initiés auprès de Dieu à une vie qui n’aura pas de fin ; par conséquent, quiconque prétend après leur mort les rappeler à la vie par un art mort lui-même et imité des païens sera coupable de blasphème… Nous appuyant donc sur la Sainte Ecriture et sur les Pères, nous déclarons unanimement, au nom de la Sainte Trinité, que nous condamnons, rejetons et éloignons, de toutes nos forces, de l’Eglise chrétienne, toute image, de quelque manière qu’elle soit, faite avec l’artifice coupable de la peinture. Quiconque à l’avenir osera faire une pareille image, ou la vénérer, ou la placer dans une église, ou dans une maison particulière, ou même posséder en cachette une de ces images, devra, s’il est évêque, prêtre ou diacre, être déposé, et, s’il est moine ou laïque, être anathématisé ; il tombera, en outre, sous le coup des lois civiles, comme adversaire de Dieu et ennemi des dogmes que les Pères nous ont enseignés »(Hefele-Leclerc, op. cit. pp. 698-701).
A l’issue de ce concile, l’anathème fut prononcé contre ceux qui vénéraient les icônes et contre les défenseurs de leur culte, St. Germain de Constantinople, St. Jean Damascène et St. Georges de Chypre.
Fort de la sanction d’un concile dit « œcuménique », Constantin met en application ses décisions par le feu et le glaive. C’est surtout parmi les moines que s’organise une opposition acharnée et que nous trouvons le plus de martyrs pour la foi. Notamment le saint abbé et ermite du Mont-Auxence, Etienne le Jeune, relégué tout d’abord dans l’île de Proconnèse, est ramené à Constantinople où il est finalement mis en pièces par la foule le 28 novembre 764.
 »La persécution des iconoclastes prit de plus en plus, avec le temps, le caractère d’une campagne contre le monachisme… Les moines ne furent plus seulement poursuivis en raison du culte qu’ils rendaient aux images, mais du simple fait de leur condition monastique ; on les mit en demeure de renoncer à leur genre de vie. On ferma les monastères, quand on ne les convertissait pas en casernes, en bains ou autres édifices publics ; leurs immenses propriétés passèrent à la Couronne. Bref, l’iconoclasme à son apogée engagea la lutte contre la puissance du monachisme et des monastères byzantins » (G. Ostrogorsky Essai sur la théologie des icônes dans l’Eglise orthodoxe ; vol. 1, Paris, 1960, p. 138, note 1).
L’offensive iconoclaste ne se limite pas aux saintes images mais s’attaque aux reliques des saints ; l’empereur va jusqu’a interdire le culte des saints et de la Mère de Dieu.
C’est à cette époque qu’un grand nombre de moines émigrent en Occident et surtout en Italie où ils sont chaleureusement accueillis par les papes successifs de la période iconoclaste. Ceux-ci se montrent de fervents défenseurs du culte des images. C’est alors en particulier qu’est décorée. Sta Maria Antiqua, reconstruite la cathédrale de St. Marc, construites et ornées les églises Sta Maria in Dominica, Ste Praxède et Ste Cécile (cf. L. Ouspensky. Essai sur la théologie des icônes dans l’Eglise Orthodoxe, vol. 1, Paris, 1960, p. 138, note 1). Plusieurs conciles occidentaux se prononcèrent à cette époque en faveur du culte des images (Gentilly en 767 et Latran en 769).
Le persécution s’interrompt brusquement en 775 à la mort de Constantin 5. Sous son fils et successeur, Léon 4 le Khazar (775-780), bien qu’il soit un iconoclaste convaincu, la persécution diminue de violence et elle cesse totalement lorsque après sa mort, la régence est assurée par sa veuve, Irène (780-802).

3. Le VIle concile œcuménique (787) et le rétablissement des saintes images (780-813)

Irène était entièrement dévouée à la cause des images sacrées. Mais malgré la lenteur et toutes les mesures de circonspection dont le gouvernement s’était entouré, le premier essai de réunir un concile à Ste Sophie de Constantinople se solda par un échec dû à l’insurrection de troupes fidèles à l’iconoclasme « traditionnel ». Ce n’est qu’en automne 787 que le VIIè Concile œcuménique put se réunir à Nicée, dans la ville même ?ù s’était tenu le Premier Concile œcuménique sous Constantin le Grand. Sous la présidence du nouveau patriarche Taraise, de nombreux évêques et moines venus de toute la chrétienté prirent part aux sessions du Concile. Celui-ci rétablit le culte des images et en proclama le dogme.
Dès la seconde session, les Pères du concile se déclarèrent en faveur du culte des images, soulignant toutefois avec force la distinction fondamentale entre le « culte relatif » par lequel sont vénérées les images sacrées et l’adoration au sens propre qui convient à Dieu seul.
La quatrième session fut destinée à rétablir non seulement le culte des images mais aussi la légitimité de l’intercession des saints et de la Mère de Dieu : « nous saluons les paroles du Seigneur, des apôtres, des prophètes, qui nous apprennent à honorer et à magnifier en premier lieu celle qui est en vérité la Mère de Dieu, supérieure à toutes les puissances célestes, puis ces puissances célestes elles-mêmes, les apôtres, les martyrs, les docteurs, tous les saints personnages, à leur demander leur intercession, capables qu’ils sont de nous rendre Dieu favorable si toutefois nous gardons les commandements et vivons de manière vertueuse » (Mansi, t. XII, col. 1.086).
Voici enfin les principaux passages du décret dogmatique sur le culte des images tel qu’il fut promulgué par les Pères du Concile :
 »Ainsi donc, marchant sur la voie royale et suivant l’enseignement divinement inspiré de nos saints Pères et la Tradition de l’Eglise catholique… Nous décidons en toute exactitude et après examen complet que, de même que la sainte et vivifiante croix, les saintes et précieuses icônes peintes avec des couleurs, faites avec de petites pierres ou avec toute autre matière correspondant à ce but, doivent être placées dans les saintes églises de Dieu, sur les vases et les vêtements sacrés, sur les murs et les planches, dans les maisons et sur les routes, que ce soient les icônes de Notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ, ou de notre souveraine sans tache, la Sainte Mère de Dieu, ou des saints anges et des hommes saints et vénérables. Car, chaque fois qu’on voit leur représentation par l’image, chaque fois on est incité en les contemplant à se rappeler les prototypes, on acquiert plus d’amour pour eux et on est davantage incité à leur rendre hommage en les baisant et en témoignant sa vénération, non la vraie adoration qui, selon notre foi, convient à la seule nature divine, mais de la même façon que nous rendons hommage à l’image de la précieuse et vivifiante croix, au Saint Evangile et à d’autres objets sacrés auxquels on rend hommage par l’encensement et les cierges selon la pieuse coutume des anciens. Car l’honneur rendu à l’image va à son prototype, et celui qui vénère les icônes, vénère la personne qui est représentée… »(Ibid. col. 377-380, trad. franç. de Ouspensky, op. cit. pp. 157-159).
Si, au plus fort de la persécution contre le culte des icônes, l’Orthodoxie avait trouvé en la personne des pontifes romains des partisans courageux et déterminés des images, très paradoxalement, il n’en fut plus de même lors du triomphe de l’orthodoxie à Byzance.
Les actes du Concile de Nicée parvinrent en Occident dans une traduction si grossière et inexacte (en particulier vénération des icônes fut traduit par adoration), qu’ils provoquèrent la violente réaction et même l’hostilité de la part de Charlemagne et de ses théologiens francs. Malgré toutes ses exhortations, c’est finalement le pape Hadrien 1er qui dut céder devant l’obstination de Charlemagne. Le Concile de Francfort en 794 voulut se poser en arbitre entre le concile iconoclaste de 754 et le Septième Concile œcuménique, aussi prescrivit-il de ne pas détruire les icônes, mais pourtant de ne pas les vénérer. Le rôle des images fut limité à une pédagogie d’enseignement et d’édification morale, dénuée de tout fondement sotériologique : « ni l’un ni l’autre concile ne mérite assurément le titre de Septième : attachés à la doctrine orthodoxe qui veut que les images ne servent qu’à l’ornementation des églises et à la mémoire des actions passées… nous ne voulons pas plus prohiber les images avec l’un des conciles que les adorer avec l’autre et nous rejetons les écrits de ce concile ridicule » (Hefele-Leclerc op. cit. p. 1068).
En 825, le Concile de Paris entérina les décisions du Concile de Francfort et l’on peut dire que l’Occident a pratiquement ignoré (du moins jusqu’a une époque récente) la théologie orthodoxe des icônes, fondée sur le mystère de l’Incarnation et le dogme christologique.

4. La réaction iconoclaste (813-842)

En dépit de la victoire de l’orthodoxie sur le terrain dogmatique, l’iconoclasme était loin d’être définitivement éliminé au sein de l’administration et de l’armée et il se releva avec une vigueur nouvelle sous le règne de l’empereur Léon 5 l’Arménien (813-820). Jean le Grammairien fut chargé de composer un recueil de textes en utilisant les décisions du concile iconoclaste de 754.
La résistance s’organisa de nouveau sous l’impulsion du patriarche de Constantinople Nicéphore et des moines du Stoudion dirigés par leur abbé St. Théodore. Au cours d’une entrevue avec l’empereur et ses partisans, non seulement Nicéphore et Théodore défendirent les décisions du VIIème Concile œcuménique, mais ils contestèrent de nouveau la compétence de l’empereur en matière religieuse :
 »Plus clairement encore qu’au VIIIe siècle, la deuxième période de la querelle des images souligne le fond politique du mouvement iconoclaste : les efforts du pouvoir impérial pour se soumettre la vie de l’Eglise et la résistance opiniâtre de l’Eglise, surtout de son aile intransigeante, à ces efforts »(G. Ostrogorsky, op. cit., p. 231).
En 815, Nicéphore fut déposé et exilé sur la rive asiatique du Bosphore, et c’est St. Théodore qui assura dès lors la défense des saintes images. Le Dimanche des Rameaux de la même année, les mille moines du Stoudion descendirent dans les rues de la capitale en une immense procession, portant des bannières et les saintes icônes. Le défi à l’empereur était lancé et celui-ci réagit avec la dernière rigueur. Peu après Pâques, un concile se réunissait à Ste Sophie, rejetait le concile de Nicée et se ralliait aux décisions du concile iconoclaste de 754.
Ce synode soulignait, il est vrai, qu’il ne considérait pas les images comme des idoles, mais il n’en ordonnait pas moins la destruction. Si sur le plan doctrinal, ce concile fit preuve d’une impuissance totale, par contre, les persécutions n’en furent que plus violentes. C’est tout d’abord le Stoudion qui fut l’objet de la vindicte impériale. St. Théodore fut lui-même traîné dans les prisons, flagellé cruellement à plusieurs reprises, puis déporté à Smyrne où il fut victime des sévices de l’évêque iconoclaste. Un extrait de sa lettre au pape Pascal 1er fait état de la persécution : « le patriarche est prisonnier, les métropolites et les évêques sont bannis, les moines et les religieuses sont dans les fers, sous la menace de la torture et de la mort ; l’image du Sauveur, devant laquelle les démons eux-mêmes tremblent, est devenue un objet de dérision ; les autels et les églises sont dévastés et beaucoup de sang a déjà coulé »(St. Théodore Studite. Lettre au pape Pascal 1er, Epist. II, xii. P.G. XCIX, col. 1152-1153).
La persécution sanglante fit plus de victimes que celle de Copronyme : des dizaines d’évêques furent déportés, des moines furent noyés cousus dans des sacs ou torturés à mort dans des cachots. Les persécutions continuèrent avec moins de violence sous les successeurs de Léon V, Michel 2 (820-829) et surtout Théophile (829-842). Parmi les victimes de la fureur iconoclaste, mentionnons encore le chroniqueur Théophane et son frère Théodore : ils furent non seulement battus de verges mais on leur grava sur le front des vers injurieux ; aussi reçurent-ils postérieurement le surnom de « marqués ».

5. Le Triomphe de l’Orthodoxie

La victoire définitive de l’Orthodoxie ne fut effective qu’après la mort de Théophile, lorsque sa veuve Théodora assuma la régence. Sous le patriarche Méthode, l’un des confesseurs de la foi, un concile rétablit définitivement en 842 à Constantinople le culte des images en réaffirmant les décisions promulguées par le Concile de Nicée ; il jeta également l’anathème contre les iconoclastes. Le premier dimanche de Carême, le 11 mars 843, fut proclamé à Ste Sophie le rétablissement du culte des images. Depuis lors, l’Eglise commémore chaque année en ce jour « le Triomphe de l’Orthodoxie » sur les iconoclastes, en même temps que sur les hérésies antérieures.
Voici, tiré de l’Office du Dimanche de l’Orthodoxie » un chant dû a la plume de Théophane le Marqué, confesseur de la foi sous Léon 5 : « gardant les lois de l’Eglise observées par nos pères, nous peignons les images, nous les vénérons de notre bouche, de notre cœur, de notre volonté, celles du Christ et de tous les saints. L’honneur et la vénération adressés à l’image remontent au prototype : c’est la doctrine des Pères inspirés de Dieu, c’est celle que nous suivons… » (chant 6 du canon des matines).
Le kontakion de ce dimanche, écrit certainement par un contemporain, est encore plus caractéristique et plus riche de substance dogmatique : « le Verbe indescriptible du Père s’est fait descriptible, en s’incarnant de Toi, ô Mère de Dieu ; et, ayant rétabli l’image souillée dans son antique dignité, Il l’unit à la beauté divine. Et confessant le salut, nous représentons cela par l’action et la parole » (la traduction française de ce kontakion est empruntée à l’ouvrage de L. Ouspensky, p. 180).
Ce kontakion adressé à la Mère de Dieu est plus explicite à la lecture du raisonnement suivant de St.Théodore le Studite qui fonde précisément la représentation du Dieu-Homme sur l’humanité représentable de Sa Mère : « puisque le Christ est né du Père Indescriptible, Il ne peut avoir d’image… Mais du moment que le Christ est né d’une Mère descriptible, Il a naturellement une image qui correspond à celle de Sa Mère. Et s’Il ne pouvait être représenté par l’art, cela voudrait dire qu’Il est né seulement du Père et ne S’est pas incarné. Mais ceci est contraire à toute l’économie divine de notre salut » (St. Théodore le Studite, 3e réfutation, ch. 2. P.G. XCIX, col. 417 C).

 

In Revue « Contacts » N° spécial « l’Icône » N°32, 1960