Avaleht/Monastère/L’EXPERIENCE DE DIEU DANS LA VIE DU MOINE

L’EXPERIENCE DE DIEU DANS LA VIE DU MOINE

Par le P. Matta El-Maskine

Supplément au SOP N° 239, juin 1999

Par expérience de Dieu dans la vie du moine, nous entendons signifier l’expérience chrétienne dans son intégrité. D’après ma propre expérience de moine, je n’ai jamais pu séparer mon expérience de Dieu dans ma vie intérieure personnelle de mon expérience de Dieu dans la vie des autres, comme je la ressentais en eux. Chacune des deux expériences découle de l’autre et affecte l’autre, et toutes deux forment ensemble une seule et même expérience qui est l’expérience de Dieu dans la vie de l’homme.

Le moine héritier de l’histoire spirituelle de l’humanité

A mon avis, l’expérience de Dieu dans l’Ego, et dans l’Autre, ressentie par un homme spirituel, est l’héritage de l’humanité depuis le commencement de la création. Dans les périodes où cette expérience était entièrement perdue par les hommes au cours des siècles de ténèbres et de péché, elle revenait avec plus de vigueur dans la vie des prophètes.
Ainsi l’humanité n’a jamais complètement perdu l’expérience de Dieu. Je crois également que la succession des siècles de ténèbres chez le peuple de Dieu et la lumière de l’expérience divine dans la vie des prophètes représentent, sous une forme anticipée et élargie, la vie présente de chaque homme dans le Christ, avec toutes ses périodes de tiédeur et de lumière. Au cours de sa vie, le moine associe à la fois la vie d’un peuple ignorant et celle d’un prophète. Il représente ainsi de façon générale et perpétuelle, le retour de l’homme vers Dieu et son attachement à Lui.
Aussi désireux que j’ai toujours été de voir en moi le monachisme comme une simple vie chrétienne, qui ne se distingue en rien de la vie de n’importe quel chrétien dans le monde, je ne peux ignorer une réalité spirituelle que je sens et expérimente en moi-même, mais dont je trouve rarement l’équivalent dans la vie des chrétiens vivant dans le monde. Cette réalité est la profondeur et l’étendue de mon expérience de Dieu dans les autres.

L’expérience de Dieu dans les autres

J’ai découvert que parmi les personnes vivant dans le monde, beaucoup possèdent une vie intérieure chrétienne plus forte et plus profonde que la mienne, mais j’ai rarement trouvé parmi elles, des personnes possédant mon expérience de Dieu dans les autres, avec toute sa force et pour mieux le dire avec toute sa violence et sa profondeur. J’ai acquis cette expérience dans ma vie monastique comme le résultat immédiat d’une vie de solitude, d’intimité, de prière et de méditation profonde de l’Ancien et du Nouveau Testament et des Vies des premiers Pères du monachisme.
Je peux donc affirmer que l’étendue de « l’expérience de Dieu dans les autres » est une distinction qui caractérise la vie chrétienne dans l’état monastique. Ceci est contraire à tout ce que pensent les gens, et à ce que pense le moine lui-même. C’est même contraire à la raison traditionnelle et immédiate qui, jusqu’à présent, a motivé des hommes à devenir moines : « Pourquoi veux-tu être moine ?  » « Pour sauver mon âme ».
Cela n’est pas exclusivement mon expérience ; c’est en fait, à un certain degré, mais d’une façon très profonde, la réalité expérimentale de chaque moine, qu’il le sache ou non, qu’il le veuille ou non. Son expérience de Dieu dans sa vie intérieure, aussi nouvelle et importante qu’elle puisse lui sembler, est relativement moindre que ce qu’il acquiert effectivement à partir de l’expérience de Dieu dans la vie des autres ou plutôt dans la vie de l’humanité prise dans son ensemble, indépendamment de son désir de retraite dans son propre intérêt, et de sa crainte pour son propre salut.
Mon argument pour affirmer cela est que l’expérience de Dieu dans les autres, acquise par tous les saints Pères du désert dont la vie monastique ou plutôt la vie chrétienne, a été réussie, a dépassé de loin leur expérience personnelle. Ce fait est attesté, de leur propre aveu. Je n’ai pas l’intention de discuter de ce fait en citant leurs écrits, qui sont bien connus, manifestes et nombreux. Il n’y a probablement pas de saint qui, dans les derniers jours de sa vie, n’ait confessé ses limites, en affirmant que ce qu’il a écrit et dit à partir de son expérience de Dieu dans les autres ou dans l’homme en général, surpassait tout ce qu’il avait expérimenté personnellement.
Puis-je, ici, appuyer cet aveu des saints par une confidence personnelle ? Ce que Dieu m’a accordé en fait d’expérience concernant les âmes des autres dépasse tellement ce qu’il m’a donné en ce qui me concerne personnellement, que, pour ainsi dire, je mange les miettes qui tombent de la table que Dieu a préparée pour les autres par mon entremise.
Nous nous trouvons ici devant un fait que nous ne pouvons et ne devons ignorer: l’expérience de Dieu dans la vie du moine en ce qui le concerne personnellement est toujours limitée, tandis que l’expérience de Dieu qui grandit en lui en ce qui regarde les autres est sans limite. Cependant, c’est le progrès de la vie intérieure du moine, dans son expérience personnelle avec Dieu, qui développe en lui l’expérience, plus grande et plus profonde, concernant les autres. Celle-ci surpasse toujours ses possibilités personnelles.
Il s’avère donc que la vie monastique, grâce à son expérience d’intimité et de solitude personnelle avec le Christ – à condition que celles-ci soient authentiques – est une réalité apostolique ou prophétique grâce à l’œuvre de l’Esprit Saint dans l’âme totalement soumise à Dieu. L’âme est alors spontanément amenée à vivre l’expérience de Dieu au moyen du don de soi plutôt qu’en cherchant à en recevoir quelque chose. Par don de soi, nous n’entendons pas nécessairement agir, prêcher, enseigner ou écrire, mais être prêt et disponible.
Ainsi, pour parler de l’expérience de Dieu dans la vie du moine, nous sommes obligés de la traiter à deux niveaux : celui de l’expérience de Dieu que le moine acquiert pour lui-même et celui de l’expérience de Dieu qu’il acquiert pour les autres. Nous ne nous occuperons ici que du premier niveau.

L’expérience de Dieu dans la vie du moine en ce qui le concerne personnellement

Nous ne voulons pas parler ici de tous les moines, comme si la vie monastique, par ses formes extérieures et ses observances, pouvait octroyer certains dons à n’importe quelle personne ; ceci serait, à la fois inacceptable et déraisonnable.
Le moine dont nous parlons est un homme qui s’est coupé du monde et demeure en cet état, au sens où il a émigré de sa patrie terrestre pour toujours et sans retour pour faire du ciel sa demeure. C’est un exode semblable à celui d’Abraham, d’Ur en Chaldée. Il n’est pas inspiré toutefois, comme celui d’Abraham, par une voix audible ou une vision, mais plutôt par l’appel de l’éternité. Cet exode est une réponse à une vocation que le moine sent dans le profondeur de l’Homme Nouveau créé en lui par le Christ Ressuscité. Celui-ci a insufflé Son Esprit Saint, lui a préparé le chemin de l’éternité et lui a ouvert les portes du ciel.

Renoncer au monde, pour retourner à Dieu

Nous nous trouvons spontanément ici, face à la première expérience de Dieu dans la vie du moine: celle qu’il expérimente en s’éloignant du monde.
Il peut sembler aux autres ou au moine lui-même qu’il fuit le monde, pour éviter toute responsabilité, se débarrasser de devoirs qu’il juge trop contraignants, ou déserter à la suite d’un choc qui lui a fait perdre confiance en lui-même ou dans les autres, ou à cause d’un sentiment dévastateur de culpabilité qui pousse à goûter les souffrances monastiques et les privations comme compensation psychique.
Au mieux il peut sembler au moine qu’il s’éloigne du monde pour l’amour du Christ, en quête de calme et de prière, ou poussé par un vif désir de sainteté et du célibat pour l’amour de Dieu.
Que ce soit pour une raison ou pour une autre, que ce soit dans la meilleure ou la pire des hypothèses, quelles que soient les causes immédiates et évidentes de son exode loin du monde, il existe pour tout homme cherchant à vivre avec Dieu en tant que moine une cause radicale, commune, profondément cachée derrière tout exode. Cette cause peut être consciente ou ne pas l’être. Tel est l’instinct du retour de l’homme vers Dieu, instinct inscrit dans le tréfonds de la nature humaine et qui en chaque homme apparaît sous une forme limitée, comme un état de repentance envers Dieu, profondément ressenti dans le cœur, qu’on y réponde ou non.
Cet instinct du retour de l’homme vers Dieu est une partie intégrante de la nature même de l’homme. En réalité, c’est l’instinct le plus vital et le plus sacré dont est doté l’homme dans sa nature créée, car c’est presque le seul instinct qui ait assuré jusqu’à présent la survie de l’homme sur la terre et qui ait préservé sa vie de l’anéantissement causé par la colère de Dieu.
Ainsi, quelles que soient les causes visibles et immédiates qui poussent un homme à quitter le monde pour mener la vie monastique, l’instinct du retour de l’homme vers Dieu les domine toutes. Sans cet instinct naturel, inhérent à notre existence même, aucun motif, aussi puissant et convaincant soit-il, ne pourrait diriger nos pas hors du monde.
Abraham quitta Ur en Chaldée « ne sachant où il allait… » (Epître aux Hébreux 11,8). Il ne s’en préoccupait pas, car son exode transcendait le changement de lieu. Il partait pour aller avec Dieu, à Dieu, à l’endroit choisi par Dieu. Lorsque Abraham fut capable de s’établir en Dieu, il put abandonner sa terre natale, et non pas l’inverse. Le sentiment de désaffection à l’égard de la terre (qui est une vertu monastique) ne peut pas précéder le sentiment d’être citoyen du ciel. Autrement il ne serait pas authentique et risquerait d’égarer le moine.
L’exode d’Abraham d’Ur en Chaldée est le modèle de la réponse de l’être humain à cet instinct du retour de l’homme vers Dieu.
Le moine est un homme en qui cet instinct s’est éveillé, soit sous l’action d’une cause secondaire, soit sans cause manifeste. Dans son abandon du monde, il représente un prototype de l’humanité dans son expression la plus noble qui préfère s’établir en Dieu et confirmer en actes une vérité évangélique : la précarité de ce monde, avant que ce monde ne disparaisse.

La valeur spirituelle de l’expérience du moine dans son exode du monde

Tout comme il n’y a jamais eu dans toute l’histoire de l’humanité une expérience de Dieu plus malheureuse que celle d’Adam et d’Eve, chassés hors de la présence de Dieu, et poussés par l’ange hors du jardin d’Eden, ainsi il n’est aucune expérience de Dieu dans l’histoire de l’homme, plus exquise et plus noble, que celle d’un jeune homme ou d’une jeune fille qui quitte le monde en toute liberté et retourne à Dieu avec un brûlant désir de vivre et de demeurer avec Lui pour toujours.
Il peut sembler aux autres, et même à celui qui recherche la vie monastique, qu’il déserte le monde à cause d’un sentiment de manque, de détresse, de vide intérieur, pour rechercher plénitude, réconfort, et faveur de Dieu. Mais ceci est une pure illusion, provenant de la disproportion flagrante entre ce que nous abandonnons et ce que nous acquérons, car apparemment nous quittons le monde, ses tracas et ses soucis pour obtenir la vie éternelle et sa joie. Ainsi se présente apparemment l’exode du moine vers le monastère.
Cependant la réalité est différente des apparences. L’énergie spirituelle qui nous remplit au moment de notre exode et qui nous mène au monastère est, en fait, d’une très grande puissance. Par sa force, son efficacité, sa persuasion et sa joie, elle nous donne tout ce qui nous qualifie pour une vie perpétuelle avec Dieu. En d’autres termes, cette énergie anime à elle seule la vie monastique dans son intégralité et dans sa forme la plus réussie. Cependant, elle ne s’arrête pas à sa phase initiale de force nécessaire pour quitter le monde et pour s’établir en Dieu. Elle se développe en nous, dans notre vie monastique, afin de nous procurer toute la puissance dont nous avons besoin pour nous défaire du moi et pour surmonter les nombreux obstacles qui s’y opposent, les causes de faux pas, et pour croître dans l’amour et le sacrifice.
Ainsi, l’expérience de Dieu, chez le moine, dans son exode du monde, peut être considérée comme le fondement sur lequel il bâtira toutes ses expériences ultérieures de Dieu, surtout si, dès le début, il l’a saisie et assimilée, chérie comme un don de Dieu, et qu’il la garde dans son cœur et dans son esprit, et la médite chaque jour devant Dieu. Il répond ainsi, de tout son cœur, de tout son esprit et de toute sa volonté, à l’instinct du retour vers Dieu : « Accomplissant mes vœux jour après joue’ (Psaume 60,9).
C’est ainsi que, tout au long du cheminement, nous pouvons conserver cette énergie d’abandon du monde pour nous établir en Dieu avec tout son dynamisme initial.

Quitter le monde est un aspect de la « plénitude du Christ » (Ephésiens 4,13)

Lorsque le Seigneur quitta le Jourdain, « tout rempli de l’Esprit Saint » (Luc 4,1), on s’attendait à ce qu’il aille prêcher, enseigner, guérir les infirmités de l’homme, car tout cela s’accordait avec un état de plénitude. On le voit, au contraire, s’enfoncer seul dans le désert, jeûnant, s’isolant du monde, de ses proches, et même de ses propres disciples.
Il est donc évident qu’il ne s’est pas retiré par besoin de plénitude, ni pour quelque autre nécessité. Sa démarche prouve ici que l’exode et l’éloignement du monde sont un des aspects de la pleine maturité du Christ, au même titre que le Baptême, la Crucifixion et la Résurrection. Au cours de ces quarante jours de jeûne, le Christ a inaugure pour l’humanité, un aspect nécessaire de la plénitude dans l’Esprit. Sa solitude n’avait pas pour but d’acquérir cette plénitude, mais en était plutôt une conséquence.
Au cours de ces quarante jours, le Christ quitta le monde dans l’intérêt du monde ; il s’éloigna des hommes dans l’intérêt des hommes; il abandonna ses disciples dans l’intérêt de ses disciples. Le Christ prit avec Lui toute l’humanité – en Lui-même – hors de ce monde qui la trompait ; Il la conduisit hors de sa demeure terrestre pour s’établir avec elle, dans le désert, avec le Père, loin des convoitises de la chair, de la concupiscence des yeux et de l’orgueil de la vie. Dans cet exode et dans cette solitude bénie, le Christ a transmis à l’homme Sa victoire sur Satan, au cours des trois combats représentant les trois points faibles de l’humanité qui la conduisent à sa défaite.
C’est pourquoi les quarante jours sont devenus un aspect de la pleine maturité de l’Homme Nouveau. Cet aspect est hérité du Christ dans sa perfection et sa victoire, au même titre que le Baptême, la Crucifixion et la Résurrection. Le monachisme a repris cet aspect et l’a transformé en une vie entière : pour le moine, ce n’est plus le Carême des quarante jours, mais le Carême de la vie.

Entraîner avec soi le monde dans le lieu de Dieu

Le monachisme dans le Christ est en soi un aspect de pleine maturité ; il ne résulte pas de l’impuissance ou du vide intérieur, du désespoir ou de l’ambition, mais il est la plénitude du Christ, le Christ du désert, rempli de l’Esprit, le Christ des quarante jours et des quarante nuits, le Christ du jeûne, de la solitude et de l’éloignement du monde.
Aussi la vie monastique consiste-t-elle à sortir du monde avec le Christ, dans l’intérêt du monde -, à s’isoler des hommes avec le Christ, dans l’intérêt des hommes.
En fait, un moine ne sort pas du monde, même s’il lui semble agir ainsi, mais en réalité il fait sortir le monde à sa suite pour le mener vers Dieu. Dans son exode, le moine ne se retire pas loin des hommes, mais loin de lui-même afin de pouvoir les attirer tous vers Dieu.
Toutefois, en sortant du monde et en se coupant des hommes, le moine ne peut sentir ou croire qu’il mène le monde vers Dieu ou qu’il attire les hommes vers Dieu : il se trouve profondément concentré sur lui-même, s’arrachant au monde avec une extrême difficulté, alors que le monde avec ses convoitises s’accroche à sa peau ; les voix de la famille, de ses amis, de ses conseillers, de ceux qui l’aiment, l’arrêtent, font obstacle à sa route, le bouleversent et embrouillent tellement, dans son cœur, l’appel de l’éternité, qu’il est sur le point d’en perdre l’esprit.
Cependant s’il réussit à sortir du monde et à accomplir son exode, le moine prouve qu’il a transcendé le monde et ceci, à son tour, veut dire qu’il a acquis le pouvoir nécessaire pour attirer le monde à sa suite et le présenter à Dieu.
De même, la séparation de sa famille, de ses amis, de ceux qui l’aiment et qui lui sont chers signifie que le moine s’est maîtrisé et s’est anéanti lui-même. Cette maîtrise et cet anéantissement accomplis avec sa séparation du monde, le moine prouve qu’il est parvenu à se dégager de son propre moi et qu’il s’est qualifié ainsi pour unir toute l’humanité dans son esprit et la présenter à Dieu.

Maturité spirituelle du moine

Tout ceci s’accomplit dans l’être même du moine au cours de l’expérience de son exode du monde. Toutefois il ne le sent pas et ne le réalise pas, car cela demeure enfoui en lui : c’est une puissance spirituelle majeure, dont il ne perçoit qu’une partie infime, cette violente coupure d’avec le monde et d’avec ses engagements.
Ainsi le moine qui a réussi à quitter le monde et à s’éloigner des hommes peut être considéré comme possédant une maturité spirituelle d’une importance vitale pour l’humanité et pour l’Eglise. Cette maturité est unique, et rares sont ceux qui en sont dotés. C’est l’un des aspects de la « maturité du Christ dans sa plénitude » (Ephésiens 4,13), transmise à l’humanité pour faire face au pouvoir du monde, du démon et de ses tentations. « Gardez courage. J’ai vaincu le monde » (Jean 16,33). « Je ne suis pas du monde » (Jean 17,16).
En disant « maturité du Christ dans sa plénitude », nous désirons souligner que cet exode du monde devient pour le moine source de rayonnement spirituel, de don de soi et d’attraction des autres vers Dieu. Cependant un moine qui, grâce a son exode, est parvenu à cette maturité spirituelle du Christ, avec son immense pouvoir sur le monde et sur les personnes, reste exposé au danger de voir sa démarche réduite à sa propre libération du monde et à son dégagement des relations personnelles avec les hommes.
Néanmoins, avant que le moine n’ait découvert son énergie intérieure et ses possibilités, c’est-à-dire sa propre plénitude, et avant qu’il ne soit déjà confirmé dan son exode perpétuel et dans son dépassement du monde, et assuré de sa solitude intérieure et de son abnégation intime, il ne lui est pas demandé de rayonner, de combler les autres, de les attirer vers Dieu ou de rectifier le cours du monde. Ceci est une condition du développement et du rayonnement de son énergie spirituelle.

Solitude et rayonnement spirituel du moine

En conclusion, l’énergie qui remplit le moine au moment où il quitte le monde consiste en deux forces : celle des motifs qui le poussent vers l’exode et en assurent la réalisation jusqu’à la fin, et celle qui résulte de l’exode et qui continue à croître proportionnellement à la fidélité du moine et à son assiduité à développer cette énergie de l’exode et de la solitude. Dans le rayonnement du moine sur les autres et sur le monde, cette énergie au double aspect demeure à l’état latent. Elle œuvre uniquement dans le cœur du moine et dans sa vie intérieure, si bien qu’il apparaît comme un être égoïste, uniquement préoccupé de son propre salut.
Mais soudain, lorsque le moine prend conscience, par la grâce du Christ, de la pleine maturité qui lui a été donnée dans son exode et son éloignement des hommes, il commence à rayonner la plénitude de cette maturité spirituelle illimitée du Christ. Peu à peu, il perçoit et réalise son immense responsabilité à l’égard du monde et des autres. Cette responsabilité résulte spontanément de sa maturité spirituelle.
Même après que le moine aura pleinement réalisé son exode et sa solitude, et qu’il aura acquis la pleine maturité du Christ par cette expérience unique qui transcende le monde et la société humaine, il ne lui sera pas demandé davantage que de se tenir prêt au don et au sacrifice, sans quitter sa demeure. L’appel à agir ne nécessite pas d’aller au monde ni de s’approcher des personnes. S’il est bien conscient de sa plénitude dans le Christ, un moine peut attirer le monde à lui, élever les gens a son niveau, sans autant quitter le lieu de sa solitude.

Ce texte fait partie d’un dossier sur La vie monastique, publié dans le n097 (avril 1999) de la revue Louvain. (Place de l’Université, 1, B 1348 Louvain-la Neuve ; le n° : 100 FB), et établi par les soins de Jean-Claude POLET. Au sommaire, outre le texte ci-dessus : Qu’est-ce qu’un moine ? par un laïc (Jean-Claude POLET), Les origines du monachisme chrétien (Armand VEILLEUX), Vers le cœur profond de l’Eglise. Une vocation (sœur Monique SIMON), Les Bénédictins dans le monde et à nos portes (frère Dieudonné DUFRASNE).

Premier copte universitaire à se faire moine (1948), le père MATTA EL-MASKINE (Matthieu le Pauvre) est l’un des piliers du renouveau monastique que connaît aujourd’hui l’Eglise copte. Depuis 1969, il est le père spirituel du monastère de Saint-Macaire dans le désert du Wadi Natroun (Egypte). Il a écrit de très nombreux livres et articles d’une haute qualité spirituelle. Cinq de ses livres sont disponibles en langue française aux Editions de Bellefontaine (Abbaye de Bellefontaine, F 49122 Bégrolles-en-Mauges), dans la collection « Spiritualité orientale » : Prière, Esprit Saint et unité chrétienne (n° 48), La communion d’amour (n° 55), Saint Antoine, ascète selon l’Evangile (n° 57), L’expérience de Dieu dans la vie de prière (n° 71), La nouvelle création de l’homme (n° 74).